Les archéologues y trouvent chaque jour de nouvelles merveilles. Chaque centimètre carré de terre y met quotidiennement à jour les beautés du passé, si bien que les bras (et les finances) manquent pour révéler tous ses splendides secrets. Une île pas comme les autres... Je vous emmène ce WE au pays des Mille Colonnes... La Sicile.
Mille Cultures
Le Bassin Méditerranéen : une mer riche en histoire, voyages et mélanges de cultures. Les diverses civilisations s’y sont croisées, mêlées et confrontées depuis toujours. Et franchement, lorsque l’on découvre ses rivages ensoleillés et ses richesses naturelles, on aurait aussi envie de s’y installer. Une île volcanique en particulier a fait la convoitise de pas mal de peuples, et sa situation géographique relativement centrale n’a fait qu’accentuer son attrait pour les navigateurs de passage vers de nouveaux rivages. Phéniciens originaires du Liban actuel et Carthaginois d'abord. Ensuite Grecs, Romains, Byzantins et Musulmans. Suivent alors Normands, Germains, Français puis Italiens. Tous ont fini par poser leurs tentes et leur dévolu sur ce lopin de terre flottant au milieu de... la Mer du Milieu.
Chacune de ces civilisations y a laissé ses empreintes et un héritage culturellement et architecturalement fertile. La diversité de ses conquérants respectifs ont ainsi fait de l'île un savant patchwork, mélange du meilleur de chacun de ses dominateurs.
Mille Colonnes
Il y a dans ce monde, quelques endroits qui ont marqué ma mémoire... Quatre sites archéologiques gréco-romains en font partie : Phaselis et Thermessos en Asie mineure (Turquie actuelle) - Segesta (Ségeste) et Selinunte en Sicile... Ces quatres endroits m’ont interpellée de par leur situation géographique particulière : en pleine nature, loin des hommes et de leur civilisation, dans leur état quasiment originel. On s'y croirait revenus à l'époque de leur construction.
Et souvent comme à Selinunte, les défis relevés par les archéologues me laissent sans mots, face à leur incroyable savoir-faire pour recomposer un bâtiment au départ de milliers de morceaux de pierres éparpillées dans un puzzle géant. Le résultat en est tout simplement époustouflant pour rendre vie à ces vieilles pierres (et dans le bon ordre, s'il vous plaît ! ). Avec parfois, encore même le gardien du temple lui-même (comme ce petit vigile fourreux, aux yeux dorés et écailles de tortue, qui n'a pas manqué de me réclamer mon offrande aux Dieux (à savoir : quelques caresses ! ) avant d'entrer dans le lieu sacré... Dû que je me suis empressée de lui donner sans rechigner aucunement ! ).
© Photos - Rêvesdemarins
Les Mille Couleurs
En sus des magnifiques temples, stades et théâtres érigés par les Grecs (comme ceux de Taormina ou Syracuse), les Romains, eux aussi, ont laissé à la Sicile des oeuvres d'art fabuleuses. Notamment à l'aide de milliers de petites pierres colorées : les mosaïques. Preuve d'un raffinement sans précédent et d'une vie prospère. La villa romaine de Casale en demeure une preuve indéniable.
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Les Mille Pavés
Lors de l'époque phénicienne, une colonnie s'est installée sur l'île de Mozia (ou Mothia) en face de Marsala au Nord-Ouest de la Sicile. Je vous en avais quelque peu parlé en vous présentant les marais salants dans un billet précédent. A cet endroit, la lagune est très peu profonde. A l'époque phénicienne, une route reliait les îles... On peut aujourd'hui encore la deviner sous l'eau. Mille pavés pour joindre les hommes. Les fouilles y ont encore lieu actuellement et on y retrouve des témoignages de toute finesse de cette peuplade aux moeurs pourtant relativement brutales (adorateurs de Baal où les sacrifices humains faisaient partie des offrandes courantes au Dieu du feu).
Mille pavés également pour Erice, la ville médiévale fortifiée perchée sur son promontoire. Des ruelles chaleureuses malgré le brouillard qui entoure souvent la cité. Un petit voyage qui nous replonge dans le Moyen-Âge.
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Les Mille Kashbas
Mazzaro del Vallo. Selon les dires, la ville au plus haut taux d'émigration de toute la Sicile, spécifiquement dans l'industrie poissonnière. Petit port de pêche du Sud, la cité abrite un quartier arabe : la Kashba. Un dédale de ruelles charmantes, un labyrinthe délicieusement décoré de céramiques colorées aux motifs marins, jusqu'aux marches des escaliers ! Un endroit où il fait bon se perdre et y entendre le muezzin à côté des cloches des églises toutes proches et y déguster un couscous local au poisson. Un bon mélange de cultures, juste comme je les aime.
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Je pourrais encore vous parler des mille autres endroits splendides de cette petite île, des mille plats succulents que les Siciliens savent préparer et des mille autres photos que j'y ai prises... Seul bémol, les mille sacs de détritus le long des routes que l'on retrouve absolument partout sur l'île...
Mais, je m'en tiendrai là, histoire de ne pas vous donner une indigestion de la Sicile. N'empêche... Aux amoureux des vieilles pierres, de la culture, du soleil et de la proverbiale convivialité méridioniale : à mettre sur votre liste de voyages ! Je vous souhaite mille bonnes choses ce dimanche.
1 Comment
En mangeant ma salade de fruits ce matin, je me faisais la réflexion : quel long voyage mes bananes ont-elles donc dû réaliser en mer pour arriver jusque dans mon bol ? (J'imagine déjà mon filleul me demander avec son air espiègle si les bananes, elles aussi, ont le mal de mer ;-)... ). En règle générale, nous tentons d'acheter des produits locaux. Mais certains aliments ne peuvent vraiment pas provenir de nos serres belges. Alors, c'est parti pour parler du voyage de mes bananes...
Selon les dires, ce fruit aurait été découvert par Alexandre Le Grand lors d'une expédition dans la vallée de l'Indus, alors que d'autres sources en donnent le privilège de la découverte à Marco Polo en Chine. Qui sait... Une chose est certaine, c'est que la banane ne vient pas de notre plat plays et a dû faire un long périple avant de se retrouver sur ma table de petit déjeûner. Aujourd'hui, on la trouve principalement en Amérique centrale, en Asie du Sud-Est, en Afrique et dans le Pacifique Sud. Elle aurait fait son premier voyage vers l'Europe occidentale au premier siècle via les Arabes. A la fin du XIXe siècle, sa culture devient un enjeu économique important et influant. En Amérique du Sud, notamment en Jamaïque, la culture s'intensifie. Une société, la United Fruit Company, se fonde pour sa commercialisation vers les Etats-Unis, dont la puissance devient magistrale, avec des enjeux conflictuels entre la puissance américaine et les pays d'Amérique centrale. C'est de là que daterait l'expression "républiques bananières".
Les bananes exportées représentent le numéro 4 des produits alimentaires de base et posent au podium des fruits (avec les oranges et les raisins). Son convoyage (délicat car ces denrées sont fortement périssables) forment donc un enjeu de taille dans l’économie mondiale. "Plus de 400 millions de personnes de 120 pays en développement dépendent de la banane, à la fois comme aliment de base et comme produit important pour le commerce local et international. De plus, les exportations de la banane sont une source de devises essentielle à l'économie de pays africains et américains, au point qu'elle y est qualifiée d'« or vert » (Source : Wikipedia).
Mes bananes de ce matin auront donc parcouru des milles et des milles en mer pour arriver jusqu’a moi, sur des océans tanguants et tempétueux. Dans des cageots, sacs ou caisses au fond d’une cale ou d’un conteneur, sans trop d’air ni de lumière, mais bien emmitouflées, pour ne pas trop souffrir de la gîte. Je mange donc des bananes au pied marin.
Alors, une petite devinette, quel est le mot manquant dans la suite logique suivante : convoyage en mer > cargaison > débarquement > sacs > quais > .... ???
Non, ce n’est pas « bar du port » ou « steak frites » ;-)... Il s’agit du « docker », sans lequel les bananes ne parviendraient jamais jusque dans nos cuisines.
Le mot "docker" (contraction du mot anglais "dock worker", ou "longshoreman" ), en français puriste "débardeur", représente bien la mondialisation du métier et de l'internationalisation du commerce par la mer. Certaines variantes du métier sont nommées "portefaix", ou "aconier", selon qu'il était également responsable de la manutention, de l'arrimage des navires ou de la préparation de l'acheminement des marchandises à terre.
Le travail manuel, à dos d'homme, représentait un dur labeur. De nature temporaire et précaire (dépendant notamment des conditions météorologiques) également, la profession a vu l'émergence de mouvements sociaux et corporations fortes pour la défense des conditions de travail dans les ports. Ce dernier point n'a pas changé aujourd'hui. Mais entre-temps, ces conditions se sont généralement améliorées dans l'hémisphère Nord et pas mal de pays encore en voie de développément tentent d'y alléger l'environnement du métier.
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Le Chant des Dockers
Par tous les temps et températures, le navire doit être chargé et déchargé. Si aujourd'hui, ce travail a été remplacé par des machines dans la plupart des pays (riches), il fut une époque où c'était bien à la force de l'huile de bras (au lieu de celle de moteur) que les navires déplaçaient leur cargaison à terre et vice-versa, via des passerelles pas toujours très stables. Le travail des dockers n'était pas moindre. Et si le métier existe plus que jamais aujourd'hui (il suffit de vous rendre au port de Bruxelles ou d'Anvers pour une démonstration), il a relativement changé, s'étant technicalisé. Les anciens dockers aux tatouages marins sur les biceps sont à présent souvent des mécaniciens (toujours aux mêmes tatouages), dans des cabines de grues et aux commandes de forklifts.
Quoi de plus motivant qu'une petite chanson pour se donner du courage en portant les lourds sacs de bananes ? Vous souvenez-vous de ces airs que l'on sifflotte encore aujourd'hui ? Quelques belles chansons en relation avec la vie de ces marins et dockers du passé. (Et pour le plaisir, trouvez l'erreur dans les quatres chansons ci-après).
Day-O (The Banana Boat Song)
Harry Belafonte Day-o, day-o Daylight come and me wan' go home Day, me say day, me say day, me say day Me say day, me say day-o Daylight come and me wan' go home Work all night on a drink of rum Daylight come and me wan' go home Stack banana 'til de mornin' come (...) Come, mister tally man, tally me banana (...) Lift six foot, seven foot, eight foot bunch Daylight come and me wan' go home (...)
Que ces quelques refrains illuminent votre dimanche de grisaille, et sans peau de banane ! Et soyez prudents si vous comptez quitter les quais pour prendre la mer ce WE, on annonce du gros temps...
Un excellent dimanche à tous.
La Mer en regorge. Et il finit souvent dans notre assiette... Alors pourquoi ne pas lui consacrer un billet. Le quoi? Le Poisson, dites-vous ? Et non, pas cette fois-ci... Le sujet d’aujourd’hui vous emmène découvrir une denrée rare et précieuse : l’Or Rose.
Il fait flotter les bateaux et nous parfume les lèvres. Depuis des millénaires, l’homme le récolte comme un objet de culte. Formé de riche évaporite, ce cristal fait l’objet de commerce et de convoitise depuis la préhistoire. Ses propriétés de préservation et conservation alimentaire ont joué un rôle crucial dans les grandes conquêtes et navigations au long cours. Il a dès lors revêtu un aspect stratégique dans pas mal de découvertes de nouveaux mondes et de batailles sans possibilités de ravitaillement. Il a même servi de monnaie ou d’impôt et les Normands ont été jusqu’à en faire un monopole. Il existe dans notre corps, en préserve un certain équilibre, notamment pour son hydratation et se retrouve jusque dans nos larmes. Sans lui, certains aliments (notamment le pain) paraissent bien fades. Et comme pour toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser.
Son petit nom ? Na Cl, ou chlorure de sodium. Sur votre table, il prend le sobriquet de "sel", ou encore "saumure" en référence au procédé qui lui permet la conservation de produits périssables.
Entre Terre, Ciel et Mer
Le sel peut provenir de trois sources principales : la mer (salines ou marais salants - les mers et océans constituant la plus grande réserve de sel au monde), la terre (les mines ou salins) ou la synthèse artificielle.
Dans le premier cas de figure, qui nous intéresse aujourd’hui, l’environnement doit être propice à cette culture et compter les quelques conditions nécessaires, à savoir : une eau de mer riche en cet élément chimique, des eaux stagnantes ou peu profondes, un climat aride, chaud et venteux. Ce condiment traverse alors diverses phases pour sa récolte. L’eau stagnante passe par une série de bassins de profondeurs diverses, du plus profond (et froid) au moins profond, environ 30 cm (et donc plus chaud), ce qui permet l’évaporation et la hausse du taux de salinité. Des moulins à vent gèrent le drainage de l’eau vers les bassins et sa moulure. Le sel ainsi sédimenté est ensuite récolté à la main, cela depuis l’antiquité et placé pour sécher en tas autour des bassins. Il est récolté environ trois fois par an. « L'eau de mer contient environ 35 grammes de sel par litre d'eau, ce qui représenterait si toute l'eau des océans s'évaporait une hauteur de 60 mètres de sel répartie sur 71 % de la surface du globe (soit la superficie actuelle occupée par les eaux). » (source - Wikipedia)
La Route du Sel Sicilienne
Dans nos pays du Nord, on connaît souvent les marais salants de Guérande, de l’Île de Ré ou de Noirmoutier, ou à la limite, le sel rose de l’Himalaya (mais pas marin celui-là... ) pour les plus férus d’exploration et d’exotisme culinaire. À moins d’avoir, comme moi, de la proche famille dans ce très beau pays qu’est celui de Dante Alighieri, le sel italien, par contre, nous est moins familier et atterrit moins fréquemment sur notre table.
Si le monde gréco-romain disposait du miel et autres produits sucrés pour la conservation des aliments, ces derniers étaient onéreux. Le sel fut donc considéré comme un produit beaucoup plus abordable et très répandu à cet effet. Il était également utilisé pour des rituels religieux et des offrandes aux dieux. Chez les Phéniciens, en particulier ceux s’étant installés en Sicile et aux alentours de Marsala, Trapani (Nord-Ouest) et de l’île de Mozia (ou Mothia, de l’akkadien "Metu"signifiant "eaux stagnantes"), on parlait parfois du sel local comme de « l’Or Rose »... Ce surnom reflèterait sa teinte en fin de cycle en raison des micro-organismes marins qui entrent dans sa composition (crustacés ou autres) à cet endroit spécifique. Si le sel de la région de Trapani généralement commercialisé, surtout pour la haute gastronomie, est bel et bien blanc et intégral, il en existe en effet, une variété - produite en toutes petites quantités - qui peut se targuer de détenir cette couleur singulière rosée (ainsi qu’un goût hors du commun). Mais les locaux conservent ce met précieux principalement pour leur propre consommation. La légende affirme qu’il possèderait des vertus de longévité. Qui sait...
Cette appellation d’ « Or Rose » convient particulièrement bien aux marais salants de cette localité sicilienne, surtout au coucher du soleil, qui les transforme en lieu féerique en termes de jeux d’ombres et de coloris pastels, dont le... rose. Voyez plutôt.
« Sea, Salt and Sun... »
© Photos - Rêvesdemarins
Alors, sans vouloir y mettre mon grain de sel, je vous invite à prendre votre bâton de pèlerin et à aller faire un tour sur cette île où les Grecs, Romains, Phéniciens et Normands firent un jour escale en y laissant des vestiges fabuleux que je vous ferai découvrir dans une prochaine note (qui ne sera pas salée ;-)).
Enfin, le sel est aussi un symbole antique d'amitié, de finesse et de gaieté… Alors, pourquoi pas l’occasion de préparer cette semaine un bon poisson grillé en croûte... de sel. Je vous souhaite un excellent dimanche, salé juste à souhait.
Un peu de mythologie ce dimanche. Histoire de nous remémorer nos ancêtres gréco-latins. Et puis surtout, de suivre mon envie de vous emmener quelque part sur un archipel ensoleillé, riche en récits de volcans et de créatures fantastiques (et non, ce ne sont pas les Açores cette fois-ci).
Eole avait Sept Filles...
Le Dieu Eole avait sept filles, toutes plus belles les unes que les autres. Elles se prénommaient Vulcano, Lipari, Stromboli, Panarea, Salina, Filicudi et Alicudi. Elles vivaient dans une région reculée de la mer du Milieu, sur un continent aujourd’hui disparu. Eole tenait tellement à sa progéniture qu’il ne laissait personne s’approcher de ses filles ni ne leur permettait d’aller se promener hors de cette partie de son royaume. Et les pauvrettes se lamentaient en silence de devoir demeurer en marge du reste du monde. Cependant, Eole aimait tendrement ses filles et il finit par écouter leurs souhaits de sortir de leur prison dorée pour aller prendre l’air.
Lors d’une de leurs balades, l’une d’elles, la plus jeune des sept, Stromboli, à la longue chevelure couleur de feu, tomba éperdument amoureuse de Polyphème, un Cyclope venu d’une lointaine contrée du Levant. Polyphème était un berger. Il était laid, avait l’air d’une brute et faisait peur aux habitants par son air repoussant. Mais il avait bon cœur. Et Stromboli l’avait remarqué. Au fond de son gros œil unique, brillait une lueur de grande gentillesse et de tristesse aussi. S’il était un demi-Dieu, la nature ne l’avait pas doté là d’un physique très attirant. Stromboli n’avait cure de son aspect et elle sut que son cœur lui appartiendrait. Elle avait beau se pavaner devant lui et se parer de ses plus beaux atours, ce dernier ne semblait pas la remarquer. Des semaines durant, elle lui montra sa tendresse et son attention. Elle lui envoyait des pétales de fleurs et des senteurs délicieuses, en vain. Le géant demeurait insensible à ses charmes. En réalité, Polyphème ne pouvait pas voir Stromboli car elle, tout comme ses sœurs et son père, avaient une forme éthérée, donc invisible aux yeux des autres. Il pouvait, tout au plus, sentir la caresse de sa main sur sa joue, sans se douter qu’il s’agissait là d’un geste d’amour, En outre, Polyphème ne partageait pas les sentiments de la belle. Le géant n’avait d’yeux (au singulier... ) que pour une nymphe au regard couleur de l’océan se prénommant Galatea. Et la fille d’Eole se lamentait de son malheur. Elle en devint tellement triste qu’elle en pleurait à chaudes larmes toutes les nuits. Et de ses larmes naissait une nature verdoyante. Son père décida alors de régler la situation une fois pour toutes en éliminant la cause du problème : il lui fallait trouver un moyen de rendre Stromboli visible à son prétendant et de lui faire comprendre à quel point sa fille cadette était un bon parti. Eole se mit donc en route pour rencontrer le Cyclope, lui montrer le chemin de son palais et lui parler en tête à tête, Arrivé en bord de mer où le géant faisait paître ses moutons, il commença à lui souffler à l’oreille la route vers le continent éolien ainsi que toutes les qualités de sa fille, doucement puis avec plus d’insistance. Cependant, puisque Polyphème ne pouvait pas distinguer Eole non plus, il ne remarqua qu’une forte brise, se muant ensuite en bourrasques dans les voiles des navires croisant au large. Et plus Eole s’appliquait dans son discours, plus le Cyclope prenait peur en voyant la houle monter et les arbres se plier sous le vent de manière incontrôlable. Par crainte d’afronter un ouragan, le géant prit ainsi parti de s’enfuir. Voyant son futur beau-fils prendre la poudre d’escampette face à ses insistances, Eole en prit ombrage et se mit à crier si fort que toute la mer se leva d’un coup. Et ce n’est que par miracle que le géant réchappa à la vague titanesque que le Dieu des vents avait ainsi soulevée jusque sur la terre.
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Blessé dans son égo divin et sa fierté de père, le Dieu des Vents décida alors de se venger. Et pour se faire, il lui fallait éliminer la cause du problème, a savoir, Galatea. Sans Galatea, Polyphème allait certainement épancher son chagrin chez Stromboli et le tour serait joué. Il imagina alors un stratagème machiavélique pour écarter la nymphe. Il susurra alors à l’oreille d’un autre berger, le très beau Acis, que Galatea ne rêvait que de lui et qu’il lui fallait à tout prix conquérir la damoiselle. Aussitôt murmuré, aussitôt fait. Il mit Acis sur le chemin de la jolie nymphe. À leur rencontre, près de la rivière au pied de la montagne toute proche, l’Etna, ils tombèrent tous deux immédiatement sous le charme et décidèrent de s’enfuir ensemble. En découvrant que sa belle lui échappait ainsi pour un autre, le Cyclope poussa un cri inhumain, déracina les arbres à mains nues et arracha un énorme rocher de basalte pour le précipiter sur les deux tourtereaux. Galatea parvint à s’enfuir de justesse et alla se jeter dans les flots de la mer toute proche. Acis, lui, ne survécu pas à la fureur du géant et son sang se versa dans la rivière. Et les méandres de la rivière se mêlent aujourd’hui encore aux vagues marines, réunissant ainsi les deux infortunés à jamais.
Eole, voyant le résultat de ses manigances, se retira, se frottant les mains, l’air guilleret, la rivale ayant ainsi été prestement éliminée. Le Cyclope allait certainement oublier son chagrin dans les bras de sa fille Stromboli. Cependant, il restait un souci, et pas un moindre : comment Stromboli allait-elle se faire aimer du géant sans qu’il ne puisse la voir ??? Eole avait beau réfléchir, il ne voyait pas de solution. Alors, il s’en alla demander conseil au Dieu du feu, Ephaïstos, son ami de toujours. Ephaïstos tenait sa forge dans l’Etna. Ephaïstos sourit en entendant son récit et lui dit : « Mon cher Eole, si tu acceptes de me donner ta fille Vulcano en noces, je rendrai Stromboli visible pour Polyphème. Acceptes-tu? ». Et comme Eole ne pouvait rien refuser à sa fille cadette, il accepta le marché.
En rentrant chez lui, au lieu de retrouver ses filles diaphanes sur une mer bleue sans fin, il aperçut sept formes noires se dresser dans la brume du petit matin sur son royaume. Et la plus haute d’entre elles brillait d’une chevelure de feu volant dans les nuages. Il reconnut alors immédiatement Stromboli et ses cheveux flavescents. Ephaïstos avait tenu parole, il avait bel et bien donné une forme visible à sa fille. Et à ses six autres sœurs.... Et non, le Dieu avait un peu trop bien fait les choses. À présent toutes ses filles avaient un aspect bien tangible et formaient un incroyable archipel au Nord de la montagne Etna. Les sept îles se dressaient fièrement dans leur écrin marin sur un océan miroité des lumières rosées du soleil couchant. Eole gémit de tout son être en réalisant qu’il venait de laisser pétrifier ses filles à jamais et continue encore aujourd’hui à geindre entre les différentes îles éoliennes. Tres fréquemment avec une force imprévue, lorsqu’il ne peut contenir sa colère vis à vis d’Ephaïstos. Et le Cyclope, me direz-vous? Polyphème, pour épancher son chagrin, s’assied depuis toutes les nuits en bord de mer pour admirer le mont Stromboli au loin, ses gerbes de feu et ses torrents rougeâtres de lave en fusion. Sans le savoir, il est finalement tombé amoureux de la belle Stromboli, qu’il peut à présent contempler de son œil triste et s’émerveiller. On prétend qu’il ne s’en est jamais lassé depuis et que la belle continue depuis les millénaires à offrir son spectacle de feu toutes les. nuits à son berger.
”All ships, all ships, all ships. This is Tarifa marina, Tarifa marina, Tarifa marina. This is an emergency call. A rib containing a number of people is currently sailing across the zone. All vessels in their neighbourhood are requested to lend immediate assistance if circumstances prove necessary.... »
Voici bientôt deux heures que la VHF diffuse en boucle ce message. En espagnol, que je comprends à demi mais que mes compagnons à bord maîtrisent parfaitement. Puis dans un anglais sommaire aux consonances hispaniques. Le jour se lève. Nous arrivons à cet endroit mythique à la pointe de l’Europe. Ce petit bras de mer entre deux continents. À bâbord, l’Europe et ses rivages brûlés par le soleil estival. À tribord, l’Afrique et ses splendides montagnes qui se profilent dans la brume matinale.
La vue est imprenable. Entre les monts brumeux de l’Atlas et les côtes andalouses, nous avons l’impression de nous trouver au bout du monde. Ou plutôt, au début du monde... Au loin derrière, le cap portugais de Saint Vincent, pointe mythique d’où partirent jadis les navigateurs à la découverte du Nouveau Monde et de l’Océan Atlantique, que nous venons de traverser. Puis, l’anse de la baie de Cadix, la belle. Au loin devant, l’entrée vers le Monde du Milieu et la mer des navigateurs carthaginois et phéniciens, Ulysse et les autres. Une expérience fabuleuse. Un sentiment de faire partie de ces grands navigateurs de cet univers.
© RevesdeMarins
Quelque voiliers derrière. Un peu moins devant nous. Une bonne brise, en poupe, juste ce qu’il nous faut pour pouvoir franchir le fameux détroit qui nous attend quelques milles plus loin sous son célèbre rocher aux singes avant qu’Eole ne décide de changer à nouveau de direction et en bloque, pour quelques jours, l’entrée aux marins venant de l’Ouest. À bâbord, la navette Tarifa-Tanger, écarlate et vrombissante. Le code D, notre ersatz de spinnaker, orangé de la lumière du Levant, nous guide sans faille vers l’Est. Notre périple va bientôt se terminer.
A tribord, le rail des cargos. Ils se suivent à la queue leu-leu. Les uns plus gigantesques que les autres. Et de temps à autre, un preux et intrépide voilier ou catamaran lilliputien qui se risque à venir s’insérer entre eux dans la file des Titans. Nous avons beau scruter les flots avec les jumelles, pas de trace de ce fameux radeau itinérant au milieu de cette petite flaque que représente le territoire nautique reliant le Maroc au Sud de l’Espagne. Encore des malheureux qui tentent leur chance vers l’Europe et la soi-disant Terre Promise.
Vient alors la question : “Et si en fin de compte, nous croisons leur route et les apercevons, alors que faire ??? “. Je regarde mes compagnons de bord avec un regard empli d’incertitude. Mon cœur me dit : “On ne peut tout de même pas les laisser voguer ainsi, au petit bonheur la chance (ou au grand malheur la malchance, serait-il plus approprié de dire dans ce cas... ) ! Peut-on les prendre à bord? Les réchauffer, les nourrir, les rassurer? “. Mais la réponse sensée et rationnelle est différente... Les aider, oui, mais à distance. Ne pas les laisser monter à bord pour éviter le danger. Le risque de chavirer par le poids ou la gîte incontrôlée. Pire, le risque, bien réel, qu’ils se noient en tentant de rejoindre le voilier. Le risque de violence et de gestes désespérés. Se tenir à une distance de sécurité tout en les gardant à vue et prévenir les autorités côtières en urgence via la VHF. Et espérer qu’un cargo plus grand et plus solide que notre frêle voilier, capable de les accueillir, les fasse monter à bord pour les amener à une destination côtière où ils pourront trouver asile. Reflexion déconcertante.
Je me demande pourquoi les gardes-côtes de Tarifa continuent à inviter les navires croisant au large à porter assistance à ce rafiot au lieu d’agir eux-mêmes et de leur venir en secours. Puis, je me souviens... La crise des migrants. La fameuse crise ou les pays, les uns après les autres refusent l’asile aux migrants clandestins qui tentent de rallier le continent du Nord au départ de l’Afrique ou du Moyen-Orient. Et l’Espagne en fait partie. “Not in my backyard... Pas chez nous... “. Les autorités portuaires locales n’ont sans doute pas obtenu l’autorisation de les ramener à quai.
Alors, tour d’abord ballottés par les flots, ensuite ballottés par les politiques, ces marins malgré eux, attendent et attendent encore que les décideurs de ce monde de nantis décident de leur sort et qu’une nation limitrophe daigne enfin accepter de les accueillir dans leurs ports ou de les renvoyer d’où ils viennent pour, dans les deux cas, un avenir on ne peut plus incertain. Les mal-aimés, les mal-venus, les mal-reçus. Et pourtant, la traversée de la Méditerranée et la migration à tout prix n’est pas forcément la solution miracle... Et les loups aux longues dents sans scrupules font légion parmi les passeurs.
Après de longs jours de discussions parlementaires et de négoce humain (la traite des hommes ne serait-elle donc pas encore un trait du passé?), Malte accepte enfin de recueillir les navigateurs sous conditions strictes, Cependant, Malte est bien loin de l’endroit où nous nous trouvions. Quasiment impossible à rejoindre sur une embarcation de fortune...
Très bientôt, je serai à nouveau en mer, en navigation cette fois-ci entre la Sicile et les îles éoliennes... Encore un endroit où le hasard nous fera, qui sait..., là également croiser un radeau de la Méduse, en route probablement vers l’Italie. Quelque part, la peur en moi me fait appréhender telle rencontre pour ne pas avoir à décider. Néanmoins, j’espère, tout de même, le cas échéant, pouvoir agir au mieux avec mes compagnons de bord pour les aider, sans mettre l’équipage (ni le leur, ni le nôtre) en danger et prendre les bonnes décisions pour tous.
Nous ne saurons pas ce qu’il est advenu de ce petit bateau clandestin croisé à Tarifa. J’espère qu’ils ont eu cette chance de pouvoir accoster sains et saufs sur un rivage bienveillant et leur souhaite le meilleur.
Ce billet ne se veut ni juge ni polémique politique ou économique quant à la crise des migrants. Il reflète simplement une question humaine, à laquelle nous pourrions tous nous trouver confrontés un jour, en mer ou ailleurs.
Sur cette réflexion, je vous souhaite un excellent dimanche. |
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August 2023
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