"Connaissez-vous le Schtroumpf qui schtroumpfe du schtroumpf ? ". (Le Pays Maudit, Peyo)
De quoi allons-nous donc schtroumpfer dans ce soixante-sixième schtroumpf dominical ? De schtroumpf, parschtroumpf ! Comment ? Vous n'avez pas encore schtroumpfé de quoi je veux schtroumpfer aujourd'hui ? Allons bon... Faites encore un petit schtroumpf...
D'accord, je cesse de vous casser la tête avec la langue schtroumpf (pourtant très claire ! ). Et non, je ne compte pas vous entretenir de salsepareille, de maisonnettes en champignons, ni de Gargamel, Azraël ou pas même d'une certaine flûte à six schtr... Je vous emmène aujourd'hui dans le monde des coloris. Et vous aurez entre-temps, bien entendu, deviné lequel ! "Dieu a créé la mer et il l'a peinte en bleu pour qu'on soit bien dessus". (Bernard Moitessier)
De quelle couleur est donc la mer ? Bleue ! Me direz-vous. Mais... en êtes-vous réellement certain ? Ne serait-ce plutôt azur, turquoise, indigo, ardoise, pervenche, saphir, nuit, marine pétrole ou encore cobalt ?
La robe de l'océan varie selon divers paramètres, ce qui lui procure sa beauté unique, dont jamais les marins ne se lassent : la femme de leurs désirs change constamment d'atours (serait-ce pour leur enlever toute lassitude et ainsi parvenir à les séduire toujours ? ). La mer transforme ainsi la teinte de sa parure selon l'angle de la lumière, les particules dans l'eau, les sels minéraux, la nature du sol, l'humeur du ciel, le jeu avec les objets qui y flottent ou encore la densité des éléments qui la composent. Et même parfois, lorsque le plancton s'y met, les algues se transforment en bleuté luminescent.
© Photos - Rêves de Marins
Heure Bleue & Blue Moon
Parbleu ! Sacrebleu ! Ventrebleu ! Foutrebleu ! Morbleu ! Et bien d'autres encore... La liste des jurons est longue où l'on a remplacé le nom de Dieu par ce petit adjectif de couleur... Histoire de ne pas altérer le nom du Saint Homme siégant dans les hauteurs célestes.
En parlant de ciel, connaissez-vous "la Lune Bleue" ? La 13e du nom, lorsque l'année compte une pleine lune de plus que les douze mois. Ainsi que la superbe "Heure bleue". Ce moment '"entre chien et loup", entre le jour et la nuit, où le bleu du ciel est particulièrement plus soutenu que durant la journée, où monte en puissance le parfum des fleurs et où l'ensemble des oiseaux se met à chanter. Sans oublier la teinte très particulière des latitudes nordiques en été, que j'ai eu la chance d'observer lors de mes divers séjours en Scandinavie. Ces nuits où l'obscurité ne tombe jamais vraiment et où tout semble plongé dans un océan tamisé de lumière cérulescente.
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Bleu jusqu'au Bout des Ongles
© Photos - Rêves de Marins
Si habituellement, le Vert représente la couleur de l'espoir, pour moi, c'est le Bleu qui l'incarne en réalité. Celle que j'arbore dans mon autre job, celui que je consacre au soutien des patients et à la lutte contre le cancer chaque semaine à l'hôpital. Un coloris qui m'a valu un sobriquet gentillet de la part de quelques patients et collègues infirmiers: "la schtroumpfette"... (Tant que je ne dois pas porter le bonnet ou manger de la salsepareille, tout va bien ! )
Je vois donc la vie en bleu... A moins que ma vision ne soit déformée par la teinte de mon regard (dépendant de mon humeur et de mon état général, car le bleu peut rapidement se transformer en gris ou vert selon les circonstances. A vous de parvenir à en déchiffrer le language).
Peur Bleue
Cela dit, la teinte de l'océan peut parfois dissimuler des craintes ancestrales... Par exemple, impossible de me rendre dans un carwash sans revoir devant moi les fameuses brosses bleues de ma petite enfance qui me faisaient ... une peur bleue... C'est idiot, mais ces immenses bras touffus couleur de cobalt me donnaient toujours l'impression de monstres marins qui tentaient d'entrer dans la voiture, dans un vacarme assourdissant de trombes d'eau. Alors, des années durant, j'ai repoussé cette appréhension en mettant la musique à fond dans l'habitacle pour ne pas y penser... Je vous rassure, j'ai entre-temps vaincu cette phobie juvénile - et non... Pas en passant au vélo ;-) !
Fleur Bleue
Dans la nature, le bleu constitue une couleur relativement peu représentée par rapport à d'autres teintes telles que le rouge ou le jaune, que ce soit dans la flore ou la faune. Quelques exceptions font, cela dit, honneur à leur rareté... Difficile dès lors de ne pas aimer le bleu tendre lorqu'on porte le nom d'une petite fleur sauvage de ce coloris... Mes parents auraient tout aussi bien pu me prénommer Marguerite, Rose ou encore Violette...
© Photos paon - Rêves de Marins, © Photos fleurs - Wikipedia,
Et d'ailleurs, vous savez déjà que j'apprécie le style "Fleur Bleue", ces indécrottables tendres romantiques qui aiment à refaire le monde, que ce soit en voilier ou ailleurs. Cela dit, mon patronyme ne m'empêche nullement d'aimer d'autres teintes (souvenez-vous ainsi de la couleur de mes souliers dans un billet précédent ) !
Rhapsody in Blue
Le Blues. Une de ces musiques qui vous donnent la chair de poule et des papillons dans le ventre. Mélancolie du coeur. Alors, voici ici quelques beaux extraits, qui vous donneront peut-être... le Blues.
Et puisque Memphis (Tenessee, US) est considéré comme le berceau du Blues, voici en prime "Memphis Stomp", un petit bijou de Dave Grusin, un peu plus boogie que blues, je vous l'accorde...
Enfin, si la musique constitue un couloir vers l'âme, les yeux font tout pareil. Alors, qu'ils soient bruns-chataîgne, verts d'or, gris-acier ou encore noirs d'ébène, je les vois toujours d'un bleu profond. Un regard, c'est un océan où l'on se perd dans les vagues de l'âme. Une fenêtre qui s'ouvre sur un ciel azurin. Un gouffre de lumière pervenche. Regard d'ange, je suis toujours bleue de toi !
Sur ces quelques réflexions en couleur, je vous souhaite un agréable dimanche de ciel... bleu, bien entendu ! Et pour les amateurs, qui sait, l'occasion de jouer de vos talents de cordon- ... bleu pour un bon barbecue (on devine aisément quel type de cuisson sera d'application... ). A la semaine prochaine !
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Il était une fois trois frères...
Il était une fois trois frères...
Les frères avaient quelques années de différence et un caractère relativement dissemblable. Cependant, ils aimaient tous trois passionnément la mer. Et ce trait les rapprochait. Les trois hommes avaient, chacun à leur tour, dû affronter de nombreux revers de la vie, qui les avaient non seulement durement éprouvés, mais les avaient quelque peu contraints à s'éloigner de leur passion commune.
Première Rencontre
L'aîné des trois frères était un ancien capitaine de navire. Privé de son violon d'Ingres, il se sentait quelque peu infirme et se désolait car l'océan lui manquait cruellement. Même s'il avait repris une vie normale à terre, le moindre effort le fatiguait à présent. Son impuissance face à sa situation le rendait rageur et irritable. Son égo en avait pris ombrage. Tout ce qu'il ne pouvait contrôler le chagrinait. Et plus l'homme se désolait de sa posture, plus il se renfermait sur lui-même. Il avait désormais peu à peu repoussé la sollicitude de ses anciens compagnons et amis. Il ne les écoutait plus que d'une oreille distraite lorsque ces derniers lui rendaient visite et lui parlaient de leurs navigations et de leurs vies. Au contraire, le rappel à cette vie passée le peinait et leurs récits semblaient ne plus guère l'intéresser. Son esprit était totalement préoccupé par son état et il ne trouvait plus la force d'utiliser son énergie pour gérer quelqu' autre chose que sa propre situation. Il se sentait incompris de tous. En réalité, il souffrait cruellement de la privation de son ancien métier et il refusait le sentiment de manque de quelque chose qu'il pensait ne plus jamais pouvoir obtenir. Les seuls moments où il se sentait mieux étaient ceux où il se retrouvait seul. Il avait ainsi pris l'habitude d'aller se promener le long du rivage. Il ne désirait pas être dérangé dans ses pensées.
Un beau matin, lors de sa promenade quotidienne en bord de mer, alors qu'il maugréait de sa situation assis sur un rocher près de la grève, il entendit du bruit derrière lui. Il se retourna subrepticement. Il eut beau regarder du mieux qu'il pouvait et écarquiller les yeux tout grands, il ne décela point ce qui interrompait sa solitude. - Qui ose ainsi perturber ma méditation ? Réagit-il. Mais le bruissement se poursuivit : doux et discret. L'ancien marin remarqua alors une forme fluette aux longues ailes diaphanes, virevoltant d'abord de ses pieds nus dans le sable à ses genoux, puis un peu plus téméraire, de son épaule à sa chevelure grisonnante. Sa première réaction fut de chasser la créature indésirable de grands mouvements de bras. Mais la demoiselle insista et finit par venir se poser sur sa joue rugueuse, puis atterrit... sur le bout de son grand nez en rhombe ! L'homme loucha de toute ses forces pour tenter d'identifier l'intrus. Toutefois, il ne put ainsi aperçevoir que deux grands yeux qui le regardaient d'un air doux mais inquisiteur, qu'il interpréta comme narquois. Il le chassa d'un vif geste de la main. "Je ne veux pas avoir envie de ce que je ne peux plus avoir. Je refuse le sentiment de manque... "
- Sâle bête. Tu viens me narguer du haut de ta petite taille ! Cependant, je ne suis pas encore mort ! Sors de ma vue, immédiatement !
Mais la petite bête resta impassible et fit fi du regard courroucé de l'homme. Elle prit simplement ses distances et alla s'installer sur une grosse pierre en face de lui. Elle l'examina à son tour. Malgré la température de l'air relativement clémente pour la saison, l'ambiance était glaciale. - J'ai déjà bien assez de soucis ainsi. Je n'ai pas besoin de toi. Fiche-moi la paix et sors de ma vue ! Je n'ai pas envie de te voir. Je ne t'ai pas invitée ici. D'ailleurs, c'est ma plage ! La petite créature ne se laissa pas intimider par la gestuelle bourrue de l'homme. Elle ne bougea point de son promontoire et continua de fixer l'homme du haut de sa menue carrure.
Exaspéré et désespéré par la détermination de l'animal, l'homme finit par cesser ses plaintes et se contenta de rester assis en face d'elle. Il vit le regard de son visiteur qui l'observait et, comme il se sentait diminué, cette situation le rendit d'autant plus mal à l'aise. Ils demeurèrent un long instant ainsi, en silence, l'un face à l'autre.
En réalité, l'homme, surpris de cette rencontre inattendue, était déconcerté de la tournure que prenaient les choses. Il regarda la bestiole d'un peu plus près. Sa visiteuse n'était autre qu'une jolie petite libellule. Son corps fin se déclinait dans des teintes du bleu vif au vert émeraude agrémenté d'une collerette dorée. Ses grands yeux lui faisaient penser à la couleur du vert de gris, celle de la mer lorsque le ciel se couvre. Ses ailes semblaient tellement fragiles, d'une transparence diaphane et laissaient entrevoir les vagues et l'écume de l'océan tout proche. Finalement, elle n'a pas l'air bien féroce, se dit-il. Que du contraire. L'homme se calma peu à peu. C'est alors que l'impensable eut lieu : une voix sortit du petit corps fluet. - Qu'est-ce qui te rend malheureux ? - Hein ? Quoi ? Qui me parle? - Ne fais pas semblant de ne pas comprendre, marin... C'est moi qui t'adresse la parole. Qu'est-ce qui te rend à ce point malheureux ? L'homme resta interloqué. Il se demanda un instant si son esprit ne lui jouait pas un tour pendable. Ce doivent être ces fichues pilules que je prends qui me rendent fou ! Je suis en train de parler à une libellule ! Ridicule, voyons ! - Je dois rêver. Les libellules ne parlent pas. - Et pourquoi pas ? En outre, je ne suis pas une simple libellule. Je suis une libellule de mer et je te connais bien. Tu viens ici chaque jour pour te promener le long du rivage. Et même si tu n'en dis rien, je vois bien, moi, que tu es malheureux... S'il n'avait pas déjà été assis, le marin serait tombé par terre de stupéfaction. Son esprit rationnel refusant d'accepter ce que ses oreilles et ses yeux lui clamaient. - Voyons, je ne vais pas te manger ni même te piquer. Réalises-tu ta taille de géant par rapport à la mienne ? Je ne te veux aucun mal. Mais cela me peine de te voir ainsi. Malgré la froideur de ton regard, je sais que ton coeur est bon. Tu portes une profonde tristesse en toi. Et je peux t'aider, à condition que tu acceptes de me laisser te soulager... Une fois remis de ses émotions, le marin retrouva la parole et se décida enfin à répondre à son interlocuteur : - Ma tristesse ne regarde que moi ! Et puis, pourquoi cela t'intéresse-t-il ? De toute manière, tu ne peux pas m'aider ! Suis-je donc fou à lier pour parler à un insecte idiot !?! - Ne sois pas ingrat. Et ne me méprise pas. Je te connais mieux que tu ne le penses. Je t'ai très souvent croisé sur ton bateau depuis des années. Mais, tu n'as jamais fait attention à moi ; tu étais bien trop occupé à tenir la barre et à donner tes ordres à l'équipage que pour me remarquer. Il y a d'ailleurs bien longtemps que je ne t'ai plus rencontré en mer. Ne désires-tu donc plus naviguer ? - Oh si... Dit-il avec un long soupir. Que ne donnerais-je pour pouvoir reprendre mon ancienne vie. Mais tout cela n'est plus possible à présent. J'ai perdu mes forces et mon navire. Il ne sert strictement à rien de ressasser le passé. Je ne peux point le changer. - Crois-tu vraiment cela? Il y a toujours de l'espoir. - Pas pour moi. - Ne soit pas défaîtiste. Je te prouverai le contraire. Attends-moi ici ! Et sur ces mots, la libellule s'envola. L'homme resta sans mots, en se demandant s'il ne s'était pas tout simplement assoupi et avait rêvé ce dialogue surréaliste. Il se mit alors debout pour prendre le chemin de retour. Si j'ai de telles hallucinations, il doit vraiment être temps pour moi de me reposer.
© Photos - Armand & Isabelle Burguet
Le lendemain matin, le marin se leva après un sommeil agité. Toute la journée qui suivit, il tenta d'oublier sa rencontre de la plage, sans pourtant y parvenir. Et contre toute attente, il regretta un peu d'être parti si vite. La visite impromptue lui avait, malgré lui et même s'il refusait de se l'avouer, apporté quelque réconfort. En fin d'après-midi, il décida alors à retourner sur la plage. Je dois en avoir le coeur net. Il voulait se persuader qu'il avait bel et bien imaginé cette entrevue insensée.
Lorsqu'il parvint à l'endroit qu'il avait quitté le jour d'avant, la libellule était là, sur le rocher. L'attendait-elle donc ? Mais, la petite bête ne dit mot cette fois-ci. S'il avait effectivement vu cette bestiole hier, il avait dû rêver qu'elle pouvait parler. Il se rassit un peu plus loin. La libellule ne bougea toujours pas. Ceci lui sembla plus rassurant. Sa nature rationnelle se réjouit de sa constatation. Les minutes passèrent. Il observa le soleil couchant sur les vagues. La lumière était splendide : un arc-en-ciel de rosés tendant vers l'orangé avec des pointes de doré sur la grève mouillée. Soudain, dans la lumière du crépuscule, dans le sable devant le rocher où siègeait encore l'insecte, brillait un objet qui l'intrigua. Il ne put tout de suite décerner de quoi il s'agissait. Il s'approcha de l'endroit et fit mine d'avancer son pied sur la tache de lumière. La libellule sortit alors de son mutisme : - Attention, c'est fragile ! L'homme sursauta, interloqué d'entendre à nouveau une voix, tout autant que de sa découverte dans le sable. - Mais alors, je n'ai pas rêvé ? Tu parles réellement ! - Rationnel incrédule, va... Bien sûr que je suis bien réelle. Ramasse plutôt ce que je t'ai apporté. L'homme avança prudemment sa main sur le sable. Ses doigts rencontrèrent une surface dure. - Ce que tu m'as apporté ? On dirait... Un oeuf ? Il regarda alors le petit insecte d'un air dubitatif. Cette libellule n'a tout de même pas pu pondre un oeuf trois fois plus grand qu'elle !?! Il prit l'objet avec précaution dans sa grande main hâlée. Un oeuf de... De verre ? Et qui contient du sable ? Il ne savait quoi penser. Il l'examina sous toutes ses coutures. Les milliers de grains de sable qu'il contenait s'animèrent de dorés et de gris-noirs. Les couleurs formèrent alors une image qu'il eut d'abord du mal à distinguer. Puis, son oeil aguerri, s'habitua au matériau et il finit par y reconnaître une forme qu'il ne connaissait que trop bien... Il se tourna vers la libellule d'un air décontenancé : - Oui, tu as bien vu. Il s'agit d'un oeuf. Cependant celui-ci est un oeuf magique... Il possède le pouvoir de prendre la forme de tes rêves ou de tes regrets. Il se compose de milliers de grains de sable. Chaque grain de sable doré représente ainsi une pensée positive qu'un être a pour toi, un bonheur ou un rêve que tu peux encore réaliser. Chaque grain de sable noir représente par contre un de tes regrets ou une pensée triste. Et la forme que tu y distingues à présent est un voilier... Noir... Tu as le pouvoir d'en modifier le dessin et dès lors de réaliser tes rêves. Les images qu'il te donnera dépendront de ta volonté d'accepter le réconfort des autres ainsi que le courage de ne pas abandonner tes projets. Demain, le voilier pourrait redevenir blanc, rien qu'en modifiant la densité et la proportion des grains dorés que tu accepteras d'y voir. Et puis, à chaque fois que tu regarderas cet oeuf, souviens-toi des bons moments passés dans ta vie, en mer ou ailleurs. Et dis-toi que tu réaliseras un jour tes rêves. Encore une chose : le sable coule dans cet oeuf comme le temps. Et si tu ne peux malheureusement rajouter du sable pour prolonger le temps qu'il te reste, par contre, tu peux modifier les visions qu'il contient. "Il ne s'agit point là d'un oeuf comme les autres... Celui-ci est magique... "
L'homme hésita un instant. Il tourna l'oeuf dans sa main, le scruta, fut tenté de le mettre dans sa poche, puis finit par le reposer dans le sable. Il courba la tête. Son visage se referma à nouveau. Sa voix s'était durcie.
- Je ne souhaite pas le prendre. Il me rappellerait trop de beaux souvenirs que je désire oublier et mettre derrière moi. J'aurais bien trop envie de retrouver mes rêves passés et c'est impossible. Chaque souvenir me fera souffrir et je ne veux plus souffrir. Je ne veux pas avoir envie de ce que je ne peux plus avoir. Je refuse le manque. C'est trop dur. Et puis, je ne crois pas à la magie. - Comme tu veux, marin. Libre à toi de refuser mon présent. - Non, c'est tout réfléchi, garde ton cadeau. Je ne le souhaite pas. - A ton gré. Tu sais où me trouver si tu changes d'avis. Au revoir, marin... Et la libellule prit son envol vers l'océan à présent devenu sombre. L'obscurité et le silence retombèrent sur la plage. Il avait froid. Le marin se releva péniblement et se dirigea vers la terre. Il ne put nier le fait que la petite bête avait raison sur un point : il se sentait malheureux tout au fond de lui. Mais qu'est-ce qu'un minuscule insecte pourrait donc y changer ? Les jours suivants, l'homme ressentit une étrange sensation de vide. Et à chaque visite à la plage, il ne put s'empêcher de repasser près du rocher. Mais la petite libellule avait maintenant disparu. Plus de traces de l'oeuf non plus. Ce souvenir n'était sans doute qu'un mirage dans le désert de mon esprit, se dit-il. Il décida d'en parler à son premier frère, avec qui il entretenait une relation chaleureuse. "Si tu ne peux malheureusement rajouter du sable pour prolonger le temps qu'il te reste, par contre, tu peux modifier les visions qu'il contient... "
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Seconde Rencontre
Au récit de l'aventure, son premier frère se moqua tout d'abord de lui. Mais il décida tout de même d'aller voir par lui-même sur la plage si ce soi-disant oeuf magique n'était pas le fruit de l'imagination de son aîné. Il s'inquiétait en effet de la santé morale de ce dernier. Arrivé en bord de mer, il n'eut pas de mal à retrouver l'endroit décrit. Il s'agissait d'une magnifique soirée de crépuscule. Et s'installa sur le sol humide. Et étonnamment, la libellule ne se fit pas attendre. Quelques instants plus tard, elle apparut sur son rocher. Comme la première fois, elle prit la parole la première :
- Qui es-tu, marin ? L'homme n'en croyait pas ses oreilles. Mon frère n'avait donc pas imaginé cette conversation ! Incroyable... - Je suis un des frères du marin à qui tu as parlé récemment. - C'est lui qui t'envoie ? Aurait-il donc changé d'avis ? - Non, je suis venu de ma propre initiative. Il est bien trop rationnel que pour croire en la magie ou autres phénomènes qu'il ne peut expliquer. - Alors, dois-je comprendre par ta présence que, toi, tu y crois, par contre ? - Un peu... A voir... A toi de me le prouver. Alors, où est donc ce fameux oeuf ? - Tu es assis dessus ! - Oh ! Et l'homme se releva précipitamment. Il ne l'avait pas cassé, heureusement. L'image qu'il reflétait était toujours sombre et noire dans l'immensité des grains qu'il contenait. - Mmm... Est-il réellement magique ? Je ne vois là qu'un oeuf plein de sable noir. - A toi de me le dire... Tu peux le reprendre si tu veux. Je te l'offre. - D'accord. Merci. Nous verrons les résultats. Mais, je suis perplexe. - Ne sois pas sceptique, marin. Sinon, les pouvoirs de l'oeuf seront vains. Bon vent. Et sur ces mots, la libellule reprit son envol. L'homme la regarda s'éloigner dans la lumière du soleil couchant sur les vagues. Il décida d'aller d'abord nager avant de rentrer chez lui. Je reprendrai cet oeuf en revenant. Il me gênera dans mon bain de mer. Et il partit se baigner. A son retour, il n'y pensa plus et s'en alla vers son logis sans plus s'être soucié du cadeau de la libellule. Arrivé à destination, il s'aperçut alors de son oubli. Bah, je reviendrai demain pour le reprendre. Personne ne vient jamais à cet endroit. Le lendemain, il eut beau chercher l'oeuf, ce dernier avait disparu. En y regardant mieux, il finit par découvrir avec consternation quelques morceaux de verre éparpillés et une trace noire dans le sable. Son oeuf avait été cassé et tous les grains de sable s'étaient mêlés à ceux de la plage. L'homme se sentit soudainement ridicule et honteux de son attitude. Si j'avais pris ce cadeau lorsqu'on me l'avait donné, il ne serait probablement pas détruit à l'heure qu'il est. Il n'osa point en parler à son frère aîné lorsque ce dernier lui posa la question et feignit tout simplement de ne pas avoir trouvé ni la libellule ni l'oeuf. "Ne sois pas sceptique, marin. Sinon, les pouvoirs de l'oeuf seront vains... "
Troisième Rencontre
Quelque temps plus tard, le frère cadet rendit visite à ses aînés. Leurs retrouvailles furent conviviales même s'ils parlèrent peu. Le plus jeune leur proposa d'aller faire un tour sur la plage ensemble. Mais les deux aînés déclinèrent la proposition. Un peu comme s'ils avaient peur de revoir la petite libellule. Et si c'était du regret ? Peut-être aurais-je pu être moins triste aujourd'hui si je n'avais pas repoussé son offre ? Que va-t-elle penser si je dis que j'ai oublié son présent ? J'aurais dû saisir la chance lorsqu'elle se présentait à moi... Toutefois, ils n'en dirent mot à leur petit frère et prétextèrent des activités urgentes pour ne pas l'accompagner à l'océan.
Le plus jeune se rendit donc seul à la plage. Le soleil était sur le point de disparaître derrière la ligne d'horizon bordée d'or et de pourpre. Il soupira de la beauté qui s'offrait ainsi à lui et s'assit brièvement dans le sable humide pour admirer le paysage enchanteur. C'est alors qu'il entendit une petite voix. - Tu leur ressembles... - Pardon ? - Je disais : tu leur ressembles. Le marin tressaillit. Grand fut son étonnement de découvrir le petit être qui lui adressait ainsi la parole. Cependant, contrairement à ses frères, il ne se fâcha point et écouta avec attention la petite libellule installée sur le rocher en face de l'endroit où il s'était arrêté. - A qui ressemble-je, donc ? - Au marin qui se promenait ici tous les jours et qui a refusé mon cadeau. Tu ressembles également à son frère qui est venu me voir récemment et qui n'a pas jugé important de reprendre mon cadeau en l'oubliant sur la plage. Ils ne croyaient pas à la magie de l'oeuf... Et la petite libellule lui conta sa rencontre avec les deux frères aînés. - Il s'agit probablement de mes frères que tu parles. Oui, ils aiment à se balader le long du rivage, c'est vrai. Et ce sont tous deux d'indécrottables rationnels qui n'aiment point se laisser aller à leurs émotions, ni à tout ce qu'ils ne peuvent maîtriser.
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Le récit de la libellule le toucha profondément. Il aimait beaucoup sa fraterie et en particulier son frère aîné malgré son caractère difficile et la maladroitesse de ses mots parfois. Il eut alors une idée. Ancien charpentier de bord, il en avait construit et réparé des navires et l'envie lui prit soudain de se remettre à sa table à dessin.
- L'oeuf magique dont tu m'as parlé, pourrais-tu m'en procurer un nouveau ? Et accepterais-tu de me le céder, s'il te plaît ? - Pourquoi faire ? - Je souhaite aider mon frère aîné. Ce qu' il n'ose entreprendre, je le ferai pour lui. Je dessinerai des plans pour un nouveau navire et le ferai construire. Et nous l'emmènerons naviguer à nouveau ! Même s'il me faudra du temps pour y parvenir, s'il ne croit plus à ses rêves, alors, moi j'y croirai pour lui ! La libellule n'en attendait pas moins du jeune marin. Et sur ces entrefaites, elle lui indiqua une petite bosse brillante, dissimulée sous le sable un peu plus loin. Le marin s'en empara et remercia chaleureusement la libellule. Il repartit, l'oeuf bien à l'abri dans la poche de sa veste, heureux de son acquisition. Lorsqu'il retrouva ses deux frères, il ne leur dit mot de sa rencontre ni de l'oeuf et repartit chez lui. Il se mit immédiatement au travail et dessina toute la nuit. Des coques, des gréements, des quilles, des voiles. L'inspiration lui était soudainement revenue, plus puissante que jamais. Il avait posé l'oeuf magique sur sa table de bureau et chaque soir, il le contemplait. Au fur et à mesure que ses plans avançaient, l'oeuf perdait un peu de sa teinte foncée et l'image du bateau dans le sable se colorait de doré et de blanc. Lorsque ses plans furent fin prêts et qu'il les envoya au chantier pour la mise en construction de sa création, il décida d'aller revoir son frère aîné. Cette fois-ci, il emporta l'oeuf avec lui.
- Mon bien aimé frère, viens avec moi. J'ai quelque chose à te montrer. Il s'agit d'une surprise.
L'aîné rumina un peu. Il n'avait pas trop envie de se déplacer, surtout sans savoir où ils allaient. Mais après quelqu' insistance de son cadet, il finit par accepter. Lorsqu'ils parvinrent au chantier naval où le navire était sur le point d'être mis à l'eau, l'aîné n'en revint pas de ce que son frère avait réalisé. - C'est pour toi, frérot ! Et nous irons l'étrenner ensemble. Demain, je t'emmène en mer, sur notre nouveau navire ! Les yeux du marin brillaient. Il ne savait quoi dire. La persistance de son cadet à lui rendre le sourire et ses rêves le submergeait de sentiments controversés : à la fois, il lui en voulait rageusement de son projet malgré lui. Mais il était touché au plus profond de son geste. Il le prit dans ses bras et pleura pour la première fois.
Alors, si un jour, quelqu'un vous offre un oeuf, ne laissez pas passer l'occasion... Qui sait, ce dernier pourrait se révéler être un oeuf enchanté...
Je vous promets qu'après ce billet, vous ne regarderez plus jamais votre oeuf à la coque (de bateau ! ) de la même manière dans son coquetier... Je vous souhaite que celui que vous dégusterez ce matin au petit déjeûner dominical soit, lui aussi, magique... Un excellent dimanche à tous !
La suite du billet précédent relatant notre "Grande Traversée ". Et grâce à un équipage et des skippers de choc, j'ai de quoi vous narrer un peu plus longuement nos péripéties britanniques. Alors, pour ceux d'entre vous qui aviez rêvé de telle aventure, voici le récit d'une semaine en mer pas comme les autres...
Mardi soir, 27 juin 2017. VVW de Nieuport. A peine nous être installés à bord, le capitaine lance le mot magique : "On y va ! ". Les vents ont tourné et il nous faut faire usage d'une fenêtre météo favorable pour parcourir le plus de milles possibles dans de bonnes conditions. Et nous levons l'ancre (enfin, du moins, nous larguons les amarres) au coucher du soleil. Nous voici donc partis à la conquête de la Manche, des Bretons et de l'île de Wight.
Le ciel est menaçant. La nuit s'annonce humide et sombre. Il nous faudra être vigilants lors des quarts. Et en braves Gaulois que nous sommes, nous ne redoutons qu'une seule chose : que le Ciel ne nous tombe sur la tête...
Première nuit à bord
© Photos - Rêvesdemarins
Nous arrivons à hauteur de Dunkerque. Le phare, les lueurs des grues et surtout des flammes de la raffinerie dans la nuit nous offrent un spectacle de toute beauté. Même les zones industrielles possèdent leur charme. La première nuitée de traversée de la Manche se prépare. Ciel bouché et pluie au programme. Mer agitée.
Ma première véritable veille de quarts. Enfin. J'en avais rêvé souvent et à la fois, je redoutais un peu cette expérience, pas trop certaine d'être à la hauteur. Trois heures du matin. Je lutte contre le sommeil et la naupathie dans le roulis constant. Je trouve pourtant le courage de me lever, même pour remplacer un équipier malade pour son quart avant le mien. Dans le cockpit en équipe avec le capitaine, il fait glacial. Malgré mon engouement pour l'expérience, je me confronte à mes premières limites. Un très joli flou de rouge et vert devant moi : je m'aperçois qu'il m'est impossible de naviguer au compas au vu de la distance séparant la barre à roue du compas de bord (quelle idée saugrenue du constructeur d' avoir placé la rose des vents à degrés si loin du barreur... ). Impossible également de me repérer aux astres nocturnes : pas une seule lueur astrale en vue à travers l'épaisse couche de nuages. Sans parler de la girouette de mât que je distingue à peine. Seuls amers de repère : quelques rares cargos de nuit, qui, cependant, avancent eux aussi... Alors, je tente de naviguer au feeling et à l'aveugle sur les indications du skipper. Pas évident. Et cette technique me donne le tournis. Et comme j'aime beaucoup les animaux, je finis par aller brièvement nourrir les pauvres petits poissons affamés. La honte... Diantre... Enfin, voyons les choses positivement : l'avantage de passer sa tête par-dessus bord, c'est qu'on peut y admirer le plancton phosphorescent de près. Et ce spectacle bleuté magique vaut tous les revigorants du monde. En outre, la gentillesse du capitaine et sa bonne humeur s'avèrent d'excellents guides pour m'aider à passer mon premier écueil.
© Photos - https://www.dielette.fr/author/lebosco
Sa bioluminescence découle d'une agitation de l'eau (par exemple une combinaison de courants et vents forts, contact mécanique avec la coque d'un bateau, présence de poissons, etc. ) Nous consacrerons un billet à ce sujet intéressant ultérieurement.
Enfin, un quart de nuit, c'est pour moi également un moment particulier pour apprécier le silence, pour la réflexion personnelle ou une conversation exclusive. Un peu comme si l'on se trouvait dans un autre monde où tout devenait permis. On y remet les choses en perspective. On s'y dévoile. On partage. Un instant de vie qui procure une grande sérénité. Evidemment, cette dernière est plus aisée à ressentir lors d'une nuit étoilée que dans la pluie battante. Je comprends mieux à présent la joie d'un tête à tête en mer avec les étoiles. Les heures tournent. Et il est bientôt temps d'aller réveiller les prochains équipiers dans leur bannette pour nous remplacer et d'aller me calfeutrer bien au chaud dans mon sac de couchage pour un gros dodo.
Les Lemmings
Le jour est revenu, sans beaucoup de lumière, cela dit. Après de la pluie en fin de nuit (pas de chance pour ceux qui prenaient les quarts du petit matin). La météo est grisâtre et brumeuse. Nous aperçevons au loin les falaises blanches des alentours de Newhaven et Brighton : les Seven Sisters. Impressionnantes, sculptées par l'érosion des vents et des flots. Un peu comme une immense série des vagues de craie aux formes ondulantes. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons, nous y distinguons des dizaines de petites silhouettes. Des Lemmings version britannique avec des sacs à dos, des sticks de marche et des casquettes... Mais ceux-ci ne se jettent pas (ouf... ) dans le vide au bout de la falaise. Ils ne font que la suivre le long de la côte. Une très belle région de promenade pour des marcheurs en mal de paysages marins.
La mer a, à présent, pris une teinte vert de gris. Sa couleur contraste avec le blanc des murailles de craie, l'émeraude des prairies et le rouge du joli phare de Beachy Head. Et nous poursuivons notre traversée en direction de Porthsmouth, où nous comptons faire escale pour la nuit.
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Dubai version pluvieuse
Deux heures de matin. Nous voici enfin amarrés au ponton visiteur de la petite marina de Porthsmouth. Et pour faire honneur à sa réputation : il y pleut, bien entendu. L'occasion d'y passer une bonne nuit de sommeil après un sympathique after-sailing dans le carré, bien arrosé, au son mélodieux de la sono de bord et d'une bonne douche (pour moi du moins) dans... un bateau-phare tout propret pour commencer le lendemain. Mais, une bonne journée se doit de débuter par un vrai petit déjeûner, et au pays des Fish & Chips, cela ne se rate pas ! Nous voici donc, en ce mercredi matin, attablés dans un bar local pour un solide English breakfast, de quoi nous donner des forces pour reprendre la mer en direction de notre destination finale. Un détour pour une visite à quelques voiliers d'exception amarrés dans le port, une petite grimpette dans le mât pour notre alpiniste de bord, histoire de graisser un peu le rail de grand voile et nous voici donc repartis pour Cowes !
(Rem. : Avez-vous déjà découvert la similitude avec Dubai? Et non, ce n'est pas la météo ! )
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La Mecque des Marins
Je vous passe les détails de la navigation qui a suivi. Nous voici enfin parvenus à la Mecque des marins (britanniques du moins) : Cowes, Île de Wight. Son yacht club, le célèbre Island Sailing Club, bordé d'une rangée de canons blinquants, qui donneront le départ de la course légendaire "Round the Island Race" dans laquelle nous comptons bien nous distinguer. Une petite ville, shopping miniature rayon navigation : dans la rue principale, les vitrines se succèdent, vantant les mérites d'une multitude de marques de matériel nautique. Le rêve d'un marin lèche-vitrine (sauf pour la carte de crédit) ! Un peu plus en retrait, la devanture d'un magasin pas comme les autres, mais où je n'ai pas pu m'empêcher de me rendre (heureusement, diront certains, qu'il était fermé à l'heure de mon passage... ) : le repaire de Beken, un des plus grands photographes maritimes. De l'art et du vrai grand !
Un point nous étonne cependant : alors qu'on annonce une affluence majeure pour la course, l'endroit semble relativement désert. Peu de voiliers dans la marina. Nous serions-nous trompés de date ?
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Le septième larron est censé nous y rejoindre le jeudi soir par le ferry. Bon sang, j'ai omis de vous présenter l'équipage. Quel manque de savoir-vivre. Veuillez m'en excuser.
Nous sommes sept valeureux Gaulois à bord en fin de compte (ce chiffre ne pouvait que nous porter chance ! ) :
Et la toute première régate pour cinq d'entre nous... Une chouette équipe.
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Let's get physical...
Après un Pimms apéro sur la terrasse du célèbre yacht club suivi par une soirée joyeuse dans un pub local, il temps de se mettre sérieusement au travail : vendredi sera une journée d'entraînement dans le Solent. L'occasion d'essayer nos deux spis et de faire notre choix. Le vert ou le jaune? Pas de chance, ils sont tous deux symétriques. Bien moins pratiques à manier. Mais nos deux instructeurs se révèlent véritables virtuoses de cette grande voile peu maniable... Après avoir dû redoubler d'ingéniosité pour les gréer et quelques essais infructueux, nous parvenons enfin à maîtriser l'animal rebelle.
Nous sommes fin prêts. En route, nous croisons nos futurs concurrents. Et certains nous font rêver... Nous rentrons au port de Cowes. L'ambiance de la marina a radicalement changé : on se croirait sur la Place de l'Etoile un lundi à l'heure de pointe. La petite marina grouille de voiliers et ce n'est qu'à grand peine que nous trouvons encore un anneau de libre. 1.342 voiliers x le nombre de membres d'équipages et sans le public qui vient assister à la manifestation. Faites le compte ! La fête bat son plein. Un podium est dressé au port. Les organisateurs de cet évènement ont tout prévu pour célébrer dignement cette compétition de renom international. La soirée se termine relativement tôt car demain il nous faudra nous lever aux aurores.
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Le Compte des Mille et un Voiliers
Debout à 4h du matin. Un rapide café, un dernier pain au chocolat glané dans un coffeeshop par un des membres d'équipage attentionné et nous larguons les amarres. La marina s'agite. La nuit fut courte pour tous. Le capitaine nous harangue. Tous nos sens sont en éveil (le devraient du moins... ).
Une ligne de départ invisible indiquée par deux feux blancs en alignement vertical devant la marina de Cowes. 1.342 étalons concurrents qui trépignent dans leur box aqueux. Un démarrage prévu par vagues et catégories de bateaux. Premier coup de canon à 5h10 du matin, histoire de profiter des marées, vents et courants favorables du moment. Les géants, TP et autres trimarans se ruent dans la cohue marine. Bientôt, leurs voiles ne seront plus qu'ailes ombrées à l'horizon naissant sous un pâle soleil qui se bat encore contre des nuages récalcitrants. C'est bientôt notre tour de démarrer... Nous tournons dans les environs de la ligne de départ. Imaginez une bassine pleine de poissons frétillants venant d'être pêchés et qui tentent désespérément de se frayer un passage pour atteindre la Mer en premier. Les voiliers se croisent et s'entrecroisent à une distance minime malgré la vitesse (pas de frein sur un voilier ! ) et au son des jurons des skippers qui clament leur droit de prévalence. La plus grosse voix sera gagnante... Et notre capitaine se débrouille vraiment pas mal en ce qui concerne ici... Il est temps de bien connaître ses règles de priorité ! Notre chef de bord est impressionnant par son calme et sa parfaite maîtrise du voilier dans la situation, qui, clairement l'amuse et aiguise son appétit de compétition. 6h20 : les feux blancs se trouvent à présent presque dans un alignement vertical. On y va ! Chargeeeeez ! Et Moonlight Shadow s'élance dans la cohue des flots. Départ au travers. Autour de nous, des centaines de voiliers de tous types. Un horizon en noir et blanc, agrémenté de quelques touches de pourpre et nuances de gris. Un peu comme un vieux film qui débute au ralenti. Au fur et à mesure de la route, les couleurs changent et l'on voit apparaître des spis de toutes les teintes. Et l'horizon se mue en un kaléidoscope de voiles fabuleux.
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A chaque "coin" de l'île, un nouveau défi nous attend. L'orientation du vent s'y modifie et donc notre stratégie de navigation se doit de s'y adapter. Du travers au portant, du portant au près, etc. Des Needles au phare de St Catherine, la mer se couvre d'un arc-en-ciel multicolore de spis plus lumineux les uns que les autres. La vue devant les falaises est tout simplement époustouflante malgré la légère brume. Dans la dernière partie du parcours, par contre, le film se remet à tourner en noir et blanc, les voiliers ayant affalé leur spi (certains avec plus de difficultés que d'autres...). Et le soleil se mêle enfin au tournage de ce beau film.
La toute dernière partie de la course se veut beaucoup plus sportive. Enfin de la compétition de proximité. Les voiliers se croisent et se frôlent. Cela jure un bon coup. Et pourtant, pas de collisions. Certains concurrents nous narguent sans pourtant parvenir à nous semer. Nous nous prenons au jeu. Et lorsque le vent retombe ensuite, nous cherchons alors le moindre petit souffle d'air pour dépasser nos rivaux. Nous ajustons et re-ajustons les voiles. Moonlight Shadow file sur l'eau. Nous jouons des coudes devant la bouée témoin de la ligne d'arrivée, que nous franchissons à 14:14':13'' GMT+1 . Nous y voici !
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High Five !
Une cinquième position... Même dans mes rêves, je n'avais pas imaginé que nous parviendrions à un tel résultat. J'étais simplement heureuse et honorée de pouvoir participer à un événement nautique de cette amplitude. Et même comparé aux résultats globaux, nous pouvons être fiers de notre performance : dans le top 10%, nous avons tenu le coup jusqu'à la ligne d'arrivée en un peu plus de 8 heures de navigation.
Un résumé en quelques chiffres :
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Et si vous vous demandez comment fut ma gestion des cinq défis personnels décrits dans le billet précédent... Si je ne les ai pas toujours gérés aussi parfaitement que je ne l'espérais (comme le besoin de sommeil ou le mal de mer), du moins, j'y ai survécu ;-) ...
Bref, une épopée que nous n'oublierons pas de si tôt. Et l'envie de recommencer ! Ils sont fous, ces marins ! Merci à l'équipe de Sail Away pour nous avoir permis de vivre ces moments uniques. Un de mes grands rêves vient tout simplement de se réaliser grâce à vous... Et qui sait, la prochaine fois sera-t-elle une Transatlantique? En parlant de Transat, ce dimanche 16 juillet 2017 marque le départ d'une autre course mythique: la Tansquadra, à laquelle participe d'ailleurs un équipage belge. Alors, bon vent à ces marins qui s'élancent de Lorient ce matin! Un excellent dimanche à tous. |
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August 2023
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