La seule chose qu’on ne puisse pas nous enlever, ce sont nos souvenirs. Même lorsqu’on pense en avoir oublié les méandres les plus reculés, ils nous retrouvent toujours au détour d’un bord en mer (ou ailleurs). C’est pour cela que les voyages font partie de nos biens les plus précieux. Et cela, les marins l’ont compris depuis toujours.
"La mer n'a pas de mémoire... Le sillage est la seule trace du marin, éphémère... L'arrivée n'est que le retour à la terre des humains, c'est tout..." (Large - Sensations de Marins, A. Guillaume)
Une trace, un peu d’écume, quelques remous. C’est tout. Et la trace s’efface.
L'eau se referme. Et le souvenir s’égrène peu à peu. Ne reste que la mémoire. Ensuite, la mémoire s’embrume, jusqu’a devenir brouillard, léger puis plus épais Le flou s’installe, les couleurs s’étiolent, une à une comme une étoile qui s’éteint Et lorsque le vague se dissipe, il laisse un immense vide derrière lui. Comme si cela n’avait jamais existé... Les souvenirs s’évaporent, comme des bulles d’eau les images se fanent comme de vieilles photos Et le doute s’installe... Et la crainte de n’avoir que rêvé Et l’interrogation de ses navigations passées Suis-je réellement passé ici ? Mon navire a -t-il donc croisé ces eaux ?
Parfois, les sillages se croisent, s'entrecroisent ou se mêlent
Dans les plus belles navigations, ils vont jusqu'à fusionner et ne plus former qu'un Unis en une seule même trace dans les flots bleutés Mais dans tous les cas, la mer qui les a réunis, fnit par les séparer Dans la houle, brusquement ou au fur et à mesure, lentement, imperceptiblement Le sillage sombre, inexorablement, sans bruit, sur la pointe des pieds nacrés "Un morçeau de mer vierge, sans mémoire" (Jules Supervielle)
Le temps, les milles et les vies passent
Jour après jour, quart après quart, nuit après nuit Du vacarme des ouragans au sifflement des typhons Du silence de la pétole à celui de la douceur des alizés Des ciels sans étoiles aux firmaments infinis Des obscurités sans lune aux levers de Vénus sur l’horizon bleuté La peur d’oublier les vagues, les crêtes nacrées et les rochers La crainte du vide, de soi et des autres. Le spectre de l’amnésie Et certaines parties de vie disparaissent de l’esprit conscient Et certains morceaux d’existence se volatilisent de la réalité Le présent renie le passé, le futur et le conditionnel Et tout d’un coup, l'obscurité s’installe L’esprit a beau tenter de se remémorer Le corps se désespère de ne plus se souvenir Les mains ne retrouvent pas le chemin Les doigts ont perdu les sens Les yeux ne revoient plus les horizons lointains Et le cœur ne sait plus s’il a jamais réellement battu ou s’il a simplement rêvé Puis un jour, au gré du parfum d’une brise, d’une terre, d’une goutte de pluie La mémoire refait soudainement surface, du fond des abysses, des profondeurs marines Le cœur se souvient et les yeux revoient La route se clarifie et le cap reprend ses certitudes Le marin sait qu’il est déjà passé par là et retrouve ses repères La trace du sillage a disparu mais son empreinte profonde remonte à la surface, indélébile La mer, si elle l’efface, n’oublie jamais un sillage...
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Je vous souhaite de très beaux sillages en ce dimanche.
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Le 20 septembre 1519, embarque un navigateur portugais au service de la couronne espagnole pour un premier tour du monde. Fernão de Magalhães (Fernand de Magellan) largue les amarres du nord de Cadix pour une incroyable traversée de trois ans autour du monde. Un billet en l'honneur du 500e anniversaire de son exploit, ce dimanche.
Deux Mondes en Un
Nous sommes au début du XVIe siècle. Remettons-nous un instant dans le contexte politico-géographique de l'époque. Le monde maritime se retrouve séparé en deux parties, entre les royaumes respectifs de Castille (Espagne) et du Portugal. Cette scission est actée dans le Traité de Tordesillas (1494). Ce traité sépare les territoires entre les deux grandes puissances : les îles Canaries reviennent à l'Espagne. Tandis que Madère, Porto Santo, les Açores, les îles du Cap Vert ainsi que le royaume de Fès (Maroc) et le droit de navigation au sud du parallèle des Canaries sont acquis au Portugal. Ce traité vise également à résoudre les conflits liés à la découverte du Nouveau Monde par Christophe Colomb. Il a ainsi une incidence considérable sur la géopolitique qui en suivra : l'Amérique est cédée à l'Espagne dans sa totalité. Cependant, lorsque Pedro Cabral découvre le Brésil en 1500, ce dernier est alors attribué au Portugal, en partie d'abord, puis dans sa globalité.
Inutile de dire que les autres puissances navales européennes (anglaises, françaises, hollandaises... ) ne voient pas ce partage d'un bon oeil. Ces découvertes leur ôtent tout accès aux richesses exotiques du Nouveau Monde. C'est d'ailleurs une des motivations qui va pousser la France à financer ultérieurement l'expédition de Jacques Cartier vers le Canada, pour y avoir légitimement droit en tant que "découvreur d'une terre libre d'attache". Aucun autre Etat ne reconnaît donc le Traité de Tordesillas. Mais la supériorité navale des deux royaumes concernés leur permet d'en jouir durant un petit siècle.
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Mais revenons à Magellan. Après diverses navigations vers les Indes, le Maroc et Malacca (où il compte un ami proche), Magellan ne rêve que de repartir en mer. Il ne se trouve plus en termes trop amicaux avec son souverain lusitanien suite à de sombres histoires militaires et de conflits financiers. Il a donc besoin de se refaire une réputation, des honneurs et une fortune...
Voyons voir... Quel est donc le bien le plus précieux à posséder, se demande le navigateur ? Écus sonnants et trébuchants ? Rubis, topazes et émeraudes ? Fines soieries et brocarts ? Ou seraient-ce ces fameuses plantes odorantes que l’on nomme “épices” ? Cannelle, girofle, poivre, muscade et tant d’autres joyaux olfactifs. Certains aux vertus médicinales, analgésiques, esthétiques ou encore tout simplement culinaires. Et surtout leur juteux potentiel commercial.
En secret, le navigateur rêve d'atteindre la fameuse "île aux épices" (l'archipel des Moluques, dans l'est de l'Indonésie) en empruntant une route par l'ouest. Il prend des contacts et son projet mûrit peu à peu. En 1518, il soumet son projet au futur Charles Quint, qui n’a encore que dix-huit ans à l'époque. Pour obtenir le soutien de la couronne castillane, Fernand compte sur les ambitions latentes de l’Espagne d’ouvrir la route occidentale des Indes. Avec succès. Il est nommé commandeur de l'ordre de Santiago. Il se voit octroyer le monopole sur la route découverte pour une durée de dix ans ainsi qu’une série de nominations et rétributions financières. Il affrète ainsi cinq navires pour partir à la découverte du royaume des épices. Après pas mal de pérégrinations et de complications, le jour du départ est fixé au 20 septembre 1519, à Sanlúcar.
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Premier Tour du Monde
Victoria, Santiago, Trinidad, San Antonio et Concepçion. Cinq solides nefs (appelées « caraques ») avec, répartis à leurs bords respectifs, 237 hommes dont seulement... 18 reviendront. Des vivres pour deux ans de voyage. Et des rêves pleins les yeux pour larguer les amarres. A bord d’un des navires, se trouve un chroniqueur italien du nom d’Antonio Pigafetta. Pigafetta fera partie des survivants et narrera de manière très complète tout le récit du voyage d’exploration dans un journal de bord dont il reste aujourd’hui quatre copies de l’original perdu (trois en français à Paris et une en italien à Milan).
« Pendant cet espace de trois mois et vingt jours nous parcourûmes à peu près quatre mille lieues dans cette mer que nous appelâmes Pacifique, parce que durant tout le temps de notre traversée nous n’essuyâmes pas la moindre tempête. Nous ne découvrîmes non plus pendant ce temps aucune terre, excepté deux îles désertes, où nous ne trouvâmes que des oiseaux, et des arbres, et par cette raison nous les désignâmes par le nom d’îles Infortunées. (…) Je ne pense pas que personne à l’avenir veuille entreprendre un pareil voyage. »
(Extrait de Premier voyage autour du monde par Antonio Pigafetta sur l’escadre de Magellan, édition H.J. Jansen, 1800- 1801, Bibliothèque Nationale de France - orthographe de l'édition de 1801)
Des Canaries, la flotte met le cap sur le Brésil. Ils atteignent la baie de Santa Lucia (aujourd’hui Rio de Janeiro) après quatre mois de navigation. De là, ils décident de contourner le continent par le sud en faisant une escale en Patagonie durant la mauvaise saison. Mais sans succès. Après avoir fait face à une mutinerie (Magellan est détesté par ses équipages) et l’échouage d’un des navires, ils cherchent alors un passage vers l’ouest. C’est ainsi que les équipages découvrent un détroit par lequel ils traversent le continent. Leur transit à travers les terres inhospitalières dure plus d’un mois.
« Pendant la traversée du détroit, les marins aperçoivent de nombreuses fumées à l'intérieur des terres. La Tierra del Humo (en français : Terre des Fumées) qui apparaît sur les cartes postérieures au voyage, devient plus tard la Tierra del Fuego (Terre de Feu). Le détroit, nommé d’abord « chenal de Tous-les-Saints », prend rapidement le nom de détroit de Magellan en l’honneur du navigateur » (source : Wikipedia)
Une fois arrivés au Pacifique (ainsi nommé en raison des circonstances particulièrement calmes de navigation), il faut aux navires restants presque quatre autres mois pour rejoindre les Philippines. Rationnement, manque d'eau potable et de vivres, scorbut et maladies n’épargnent pas les hommes de Magellan. À Mactan, une bataille éclate avec la population locale qui refuse de se soumettre aux conquistadors. Magellan est grièvement blessé par une flèche empoisonnée. Il succombera à cet épisode fin avril 1521 sans encore avoir pu atteindre sa destination finale.
L’équipage restant de la Victoria met le cap sur Bornéo sans son capitaine et parvient enfin à la Terre promise des Moluques quelques quatre mois plus tard. Ils peuvent enfin y remplir leurs cales du trésor d’épices tant convoité. Les marins restants prennent ensuite le chemin du retour vers l’Espagne, à travers l’Océan Indien et le Cap de Bonne Espérance. Il parviendront à leur port de départ en septembre 1522, leur précieux chargement à bord, mais épuisés et ruinés par les pertes encourues en chemin. Bref, le commerce résultant de leur pérégrinations ne donnera pas les résultats escomptés. C’est la première fois dans l’histoire que des marins font un tour du monde complet. “Jamais le monde n'a été aussi grand qu'au lendemain du périple de Magellan” (Pierre Chaunu)
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Il faudra attendre 58 ans avec Francis Drake pour une nouvelle circumnavigation en 1580. Et 1769 pour qu’une première femme, Jeanne Baret, en réitère l’exploit. Chaque fois en deux à trois ans de navigation. Aujourd’hui, les tour du mondistes à la voile le réalisent en quelques... 40 jours (notamment le trimaran IDC3 avec Françis Joyon en 2017). Un peu comme si le monde s'était mis à tourner plus vite avec les années, autour des bateaux.
Grâce aux explorations de Magellan et de ses hommes (et bien d'autres ayant poursuivi cette quête ensuite), ces délicieux épices exotiques peuvent aujourd'hui venir flatter votre palais et vos sens. Je vous laisse dès lors rêver autour d'un bon plat (épicé à souhait) de projets de tour du monde et qui sait, serez-vous le prochain détenteur d'un nouveau record... Un excellent dimanche à tous !
L'humour marin est particulier à ceux qui naviguent. Alors pourquoi pas un petit billet léger pour vous faire sourire ce dimanche....
Ever wonder why we do it ?
Mike Peyton. Sans aucun doute, le plus grand humoriste marin... Succulent à apprécier lorsqu'on a navigué et connu les adversités et vicisscitudes d'une sortie en mer en voilier. Evidemment..., un peu plus abstrait aussi pour les non-voileux.
Mike est un caricaturiste britannique qui dessine à l'encre de Chine et à la carte à gratter. Ce passionné de voile a également été le propriétaire de pas moins de 13 bateaux... Des milliers de milles nautiques et de sorties en chartering à son compteur. Et autant d'expériences désopilantes. De quoi donner de l'inspiration à revendre. Son dernier voilier s'appelait "Touchstone", ce qui l'amenait à dire en plaisantant que le suivant s'appellerait "Tombstone" (pierre tombale). Dans ses dessins, on est toujours proche du désastre... S'il avait crainte de la panne d'inspiration, la vie lui en toujours donné à revendre.... Du bon humour britannique. Mike nous a quitté en 2017 à l'âge de 96 ans. Mais ses dessins continueront toujours de nous faire sourire.
Mike Peyton : the world’s greatest yachting cartoonist...
© Photos – Mike Peyton
Du vécu, rien que du vécu...
Cette semaine, lors de ma mission à l'hôpital, je parlais avec trois patients. De tasses à café en plastique, en discussions environnementales, nous en sommes arrivés au thème de la mer. Et nous nous sommes aperçus que nous aimions tous les trois la navigation. Il est assez fascinant (et surtout drôle), de réaliser que les sujets qui viennent alors naturellement à raconter, sont ceux des aventures, ou plutôt des mésaventures en mer. Cela crée immédiatement un lien entre les interlocuteurs et une ambiance bon enfant dans la conversation. Chacun a bien une anecdote dans sa manche et surtout une grande dérision de soi pour narrer les bêtises ou les erreurs que l'on peut réaliser sur un bateau. Il est alors étonnant comme les conteurs dévoilent sans hésitation et sans honte aucune leurs erreurs dans leurs histoires de marins. Les tribulations et déboires en mer (ou au port) semblent faire partie de l'apprentissage de la navigation et les choses les plus naturelles au monde.
Ceci explique probablement pourquoi les liens se tissent aisément entre marins (qu'ils soient amateurs ou non). Et pourquoi, je me sens bien à ma place dans ce milieu ! "Heureusement, quand on navigue, il se passe toujours quelque chose. N’importe quel plaisancier avec qui l’on parle assez longtemps a toujours des choses incroyables à raconter. Presque tout ce que je représente dans mes dessins est arrivé ou vient de ma propre expérience." (Mike Peyton)
Qui n'a jamais eu une anecdote à raconter concernant une prise de coffre ou de pendille laborieuse, un amarrage épique, un largage d'ancre fastidieux, le passage d'un banc de sable (ou plutôt son échouage), un (mauvais) calcul de marées ou encore une prise de ris un peu musclée, et j'en passe ?
© Photos – Mike Peyton
Comme cette fois, où nous cherchons désespérément un endroit pour faire une petite pause escale, dans un endroit isolé de la Turquie du Sud.
Après avoir arpenté les côtes, nous décidons de nous amarrer le long d'une plage déserte, en eaux peu profondes mais magnifiquement turquoises. L'endroit idéal ! Nous larguons donc l'ancre. Cependant, Il y a pas mal de vent qui pousse le voilier vers le large. Le skipper, comme tout bon capitaine, décide alors de sécuriser le voilier avec une amarre à terre, en plus de l'ancre. Bonne idée ! A bord, nous avons, entre autres, une mathématicienne et un ingénieur. Après avoir savamment calculé la longueur de la distance nous séparant du pieu d'amarre terrien (en l'occurence, un arbre local derrière la plage) - théorème de Pythagore à l'appui - , le skipper - très sportif - saute à l'eau. Un bout autour de sa taille. Il nage, nage et nage encore. L'équipier à la barre tient, tant bien que mal, le voilier à distance raisonnable du rivage, histoire de ne pas s'échouer ni de repartir vers le large. Une fois arrivé à terre, notre brave skipper entreprend de faire le tour de l'arbre-amarre et d'y faire un solide noeud marin. Et là... Il s'aperçoit qu'il lui manque tout simplement quelques centimètres pour y parvenir. A bord, nous sommes tous en train de lui crier qu'il doit tirer plus fort sur le bout (avec un bateau de huit tonnes à son autre extrémité ! ), sans réaliser que le pauvre est arrivé à la fin de la longueur ! Ce n'est qu'après moultes efforts, quelques décilitres de transpiration et longues minutes plus tard, qu'il parviendra tant bien que mal à réaliser un noeud dans le bout pour sécuriser notre voilier. Bref... une histoire que nous raconterons encore longtemps. Et qui aurait valu une bonne caricature !
© Photos – Mike Peyton
Ceux d'entre vous qui ne naviguent pas doivent prendre les marins pour des fous ! Qui a envie de vivre des situations précaires, inconfortables ou de se faire passer pour un idiot ? Les marins ! Mais, je vous rassure, ce privilège n'est pas réservé à la communauté des bérêts à pompon rouge... Je suis certaine que des dizaines d'autres activités (le camping, la plongée, la mécanique, etc. ) réserve tout autant de surprises drôlesques à ses adeptes. C'est juste qu'ils n'osent peut-être pas déballer aussi ouvertement leurs prestations !
Les Marins de l’Absurde
Qui de vous se souvient des Shadoks (série télévise des années 70) ? Un tout autre style...
"Je pompe donc je suis ! Ga ! Bu ! Zo ! Meu !"
Le Marin Shadok est « poète en météorologie », « planteur de phares », « contrôleur des vents et marées » et « dompteur de goémon ». Il cultive en effet le goémon pour en faire une liqueur dont il se nourrit exclusivement, ce qui fait qu'il est assez souvent « goémoné », c'est-à-dire pris de boisson.
Il est également l'inventeur du système qui consiste à récupérer l'eau qui se trouve derrière le bateau pour la remettre devant le bateau, système employé pour traverser le cosmos jusqu'à la planète gibi. (Source : Wikipedia)
J’ai une tendresse particulière pour ces petites créatures qui n’ont pas de manières... Ces drôles de bonshommes faits de quelques lignes et ronds, dont l’humour décalé et désopilant demande un peu de détachement pour rire de leurs vérités spirituelles au second, voire troisième degré. Leur référence à ceux qui pompent sans répit (et ainsi une critique du souci de productivité à outrance) vaudrait toujours, quelques cinquante ans plus tard...
Je vous laisse apprécier ci-après le graphisme et l'humour par l'absurde de Jacques Rouxel.
© Photos – Jacques Rouxel
Sur ces quelques notes d'humour marin, je vous souhaite un excellent dimanche. Et pour ceux qui ont profité du beau temps de l'arrière saison pour une sortie en mer, j'espère que vous aurez une anecdote amusante à raconter bientôt !
En cette première semaine de septembre, pour une fois pas de mer dans ce billet, mais un petit voyage-réflexion.
Ce WE, en allant faire mes emplettes, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer une effervescence inhabituelle. Des paniers débordants, des caisses bondées, du bruit, du monde partout. Ah, oui, c’est la fin des vacances d’été et de plus, la première semaine de rentrée scolaire.
J’avoue, n’ayant ni pris de vacances cette année, ni de petite famille immédiate en âge scolaire, je reste en marge du stress de la rentrée (situation dont il faut aussi voir les avantages). Ce début de septembre est donc une semaine de travail comme un autre pour moi, où je ne dois pas m’en faire pour mes petits loups, ni gérer des crises de larmes dues à la séparation cruelle du premier jour d'école (ni celles des enfants, ni celles des parents...), ni encore, m’en faire pour la chasse aux fournitures scolaires. Ne vous méprenez pas sur mes mots. Je compatis tout à fait avec ceux que cette période fatidique empêche de dormir. La vie ne m’a juste pas mise dans ce type de défi-là. J’en ai eu des tas d’autres à la place, qui suffisent tout aussi bien à blanchir mes nuits.
Mais revenons à nos petits moutons. En rentrant au magasin, je tombe sur un monsieur, qui est là, à l'entrée, chaque semaine, à vendre un malheureux petit journal pour le quart-monde. Nous nous connaissons depuis quelques années.
Monsieur P. vient des pays de l’Est, vit en situation précaire et a de sérieux problèmes de santé qu'il gère autant que possible. Il élève deux enfants en âge scolaire du mieux qu’il peut. Jamais il ne demande l'aumône. Il vend juste son journal et les gens lui donnent ce qu’ils veulent. J’ai pour principe de ne pas donner d’argent mais de répondre par contre à des besoins plus pratiques, comme de la nourriture, des produits de première nécessité (comme des langes ou du matériel d'hygiène) ou des vêtements, du temps pour une conversation et un joli sourire en prime. Ce WE, Monsieur P. a l’air un peu plus sombre que d’habitude. Il revient juste d'une longue hospitalisation et ne tient pas encore trop sur ses jambes. Lorsque je m’arrête pour papoter avec lui, comme à l’habitude, il ne dit pas grand chose cette fois-ci. Il prend de mes nouvelles et on discute un peu de son état de santé. En ressortant du magasin, un panier de victuailles plein, je m’arrête pour lui dire au revoir. Et là, il fait ce qu’il fait très rarement : il me demande... si je peux l’aider... «J’ai acheté tous les nouveaux cahiers, livres et matériel scolaire demandé par l’école pour mes enfants. Mais, l'école a refusé leurs baskets parce qu’elles ne sont pas du bon modèle exigé par l'établissement... Tout mon revenu de ce mois est passé à leur matériel. Et je n’ai plus de quoi leur acheter des nouvelles chaussures de sport... Je ne sais pas quoi faire... ».
Je peux vous dire que mon sang n’a fait qu’un tour et vous devinerez ce que j’ai fait ensuite. Peut-être suis-je naïve, trop crédule ou stupide. Peu importe. J’ai cru à la sincérité de Monsieur P. Et ce genre de situation me fait bondir. Quelle école peut-elle être aussi peu sensible à l’effort que font certains parents et enfants pour parvenir tout de même à poursuivre leur éducation malgré les difficultés sociales et financières. Le modèle ou la marque des vêtements de sports changera-t-elle donc à ce point la qualité de l'enseignement que les enfants vont recevoir ?
Qui sont donc ces écoles actuelles qui exigent des standards de matérialisme ? Ou suivent-elles simplement les demandes de leur clientèle ? Sont-elles à ce point le couteau sur la gorge pour devoir capituler devant la toute puissance du matérialisme en dépit du bon sens ? Dans ma jeunesse, l'uniforme obigatoire dans mon école, visait au départ à anihiler les différences sociales : un voeu pieux. Si ce système, au départ, avait réellement porté ses fruits (tout le monde devait porter exactement le même uniforme reçu ou acheté à l'école), en réalité, l'uniforme ensuite réduit au port de certaines couleurs, ne suffisait malheureusement plus à dissimuler les différences de niveaux sociaux entre les élèves : une chemise blanche Lacoste ou sans marque, restait toujours une chemise blanche... Même si l'aspect général des teintes obligatoires donnait une jolie cohérence aux files d'élèves en rang devant le porche d'entrée. Et le jour où l'on a aboli l'uniforme : la chemise blanche est restée... sur un jeans... Le nouvel uniforme des générations futures..
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J'ai donc je suis...
"J'ai pris les choses et les choses m'ont pris... " (Les Choses, J.J. Goldman)
Dans quel monde vivons-nous ?
Les institutions scolaires et la société commerciale en général poussent à la consommation à outrance. Les modes se succèdent et ne se ressemblent pas. À chaque année, une nouvelle marque, une nouvelle couleur, un nouveau modèle. Nos enfants sont à peine capables de lire ou d'écrire correctement mais ils jouent nonchalamment avec des téléphones mobiles ou des tablettes coûtant presque autant que le revenu mensuel de certains parents. Et les parents finissent par laisser faire... Fréquemment par dépit, « parce que les autres font ainsi » et que ne pas avoir la même chose que les autres signifierait de les couper de leurs liens et statut social de leurs petits camarades. Alors que durant ce temps, d'autres se désespèrent de pouvoir parvenir à la fin du mois avec de quoi nourrir leurs rejetons... "Si j'avais si j'avais ça, je serais ceci je serais cela. Sans chose je n'existe pas, les regards glissent sur moi. J'envie ce que les autres ont. Je crève de ce que je n'ai pas. Le bonheur est possession. Les supermarchés mes temples à moi. Dans mes uniformes, rien que des marques identifiées. Les choses me donnent une identité. " (Les Choses, J.J. Goldman)
La liste et la note d’un matériel d’école requis pour la rentrée s’allonge d'année en année. Ainsi va-t-il également de son prix : de 200 à 400€ min. /enfant sans inclure les articles technologiques. Sans parler du prix des études supérieures. (Et encore, en Belgique, nous sommes vraiment bien lotis comparés à la majorité des autres pays.) Une fortune pour certains...
Et de nos jours, le digital s’en mêle dans la plupart des cas. Essayez encore de trouver de bonnes vieilles encyclopédies, des photos analogues ou encore des syllabi papier... Bonne chance. Tout est digital. Tout requiert un smartphone, un ordinateur portable, une imprimante, des programmes, des tablettes, voire même du matériel plus spécialisé. C’est le monde d’aujourdhui. Cependant, tous les parents, eux, n’ont pas nécessairement les moyens ni les capacités d’y répondre aisément. Et même si heureusement il existe des aides et subventions sociales et des prix réduits, ces derniers ne règlent ni tous les soucis, ni tous les cas personnels...
Non, non, il ne s'agit en aucun cas de revenir en arrière, ni de déplorer le progrès technologique. J'applaudis ce dernier, en reconnaissant qu'il a permis des avancées sans précédent dans de nombreuses matières (notamment dans le domaine médical). Cependant, je l'avoue, je reste attachée à certaines valeurs d'antan, qui me semblent plus saines que la direction que semble souvent prendre notre société actuelle.
Qu'y a-t-il donc de mal à laisser un enfant jouer avec des jouets traditionnels ou une boîte de carton, des feuilles d'arbre, des brins d'herbe, des crayons et des ballons de temps à autre ? Ou lui laisser du temps seul, sans activités pour réapprendre à rêver, imaginer et réinventer la créativité des histoires dans sa tête. Doit-il pour cela obtenir les jouets derniers cris et les marques les plus vendues en magasin ? Doit-il être occupé par ses parents (ou d'autres activités ) 100% de son temps pour grandir bien et forger sainement son intelligence ? Doit-il à tout prix faire partie d'un club en vogue de hockey, d'escalade ou d'équitation pour faire partie des "gens biens" ? Doit-il pouvoir montrer à ses petits camarades qu'il connaît les derniers apps, jeux électroniques ou dernières séries sur Netflix ? La pression sociale est grande. Trop grande à mon goût... Le conditionnement ne devient-il donc pas inévitable pour faire partie du groupe et se sentir réellement inclus... ? "C'est plus 'je pense' mais 'j'ai' donc je suis ..." (Les Choses, J.J. Goldman)
Notre société de consommation n'est-elle donc ainsi pas en train de créer... l'envie... Source de racket et d'agression de nos petits (et moins petits) pour leurs possessions ? Source de jalousies, tentations, rivalités et tensions. Source de différences, de mépris, d'hostilité, voir de xénophobie sociale ou autre.
Comment trouver le juste milieu entre aisance et matérialisme ?
Je serai la dernière à jeter la pierre. Je ne manque de rien. Je vis bien. Et après avoir travaillé dur pour les mériter (même si j'aurais pu les recevoir sans labeur), j'aime régulièrement (me) faire plaisir avec des petits cadeaux raisonnables. Cependant, je me sens bien plus en ligne avec ceux qui tentent d'inculquer aux enfants la valeur de la simplicité, des choses, leur prix, et surtout celui de l'effort requis pour les obtenir. La valeur d'une chose, c'est aussi celle de ce qu'on a dû réaliser pour l'obtenir. Recevoir systématiquement les choses sans aucun effort ne fait pas grandir. Et quelque part, je suis désolée pour les enfants (ou les adultes) qui bénéficient de telle générosité gratuite pour les choses désirées dans leur existence : ils n'en sont souvent que moins armés (mis à part le financier) pour affronter la vraie vie... (Et pas nécessairement plus matures ni plus heureux... ). Le plaisir de la propriété d'une chose ou la jouissance d'une activité est décuplé par l'effort réalisé pour l'obtenir. Une valeur sûre depuis des générations, dont je suis fière et reconnaissante à ma famille...
Ou serais-je simplement en train de vieillir et de faire partie de la génération des ringards grincheux incapables de s'adapter aux derniers changement sociétaux.... ;-) ?
Sur ces quelques réfléxions, je vous souhaite un excellent WE, sans soucis de matériel scolaire (ni autre). Un bon dimanche !
Voici un billet dont le titre devrait en réjouir certains :-).
La vigne constitue une denrée rare et précieuse pour les terriens depuis des millénaires... Elle possède des propriétés aux effets particulièrement influents sur notre corps, sur notre esprit et même sur notre humeur... Et cela, les marins, eux aussi, l’ont bien compris... Voyons ce qu'il en est le temps d'un billet dominical.
La vigne de Noé
On parle déjà du vin dans la Bible, notamment avec la vigne de Noé. L'invention du vin est probablement due au hasard (comme pour la bière d'ailleurs), fermentant naturellement.
Il y a huit mille ans déjà, le vin se retrouvait dans toutes les grandes civilisations antiques du bassin fertile du Moyen-Orient : mésopotamienne, égyptienne, étrusque, romaine, grecque, celte... Sa culture s'est propagée sur des milliers de kilomètres. Mais c'est surtout grâce aux armateurs grecs et phéniciens que les vignes seront implantées partout dans la mer Méditerranée. A l'époque, le vin était transporté dans des amphores arrimées, et protégé de l'oxydation avec une couche d'huile d'olive, suivie par un scellé en bois de pin et de résine. Les Romains, à leur tour, poursuivirent l'expansion des vignobles. Il voyage alors à l'époque sur des navires qui sillonnent les côtes et peuvent transporter jusqu'à dix milles amphores de 25 litres.
© Photos – Rêvesdemarins (mini-vignoble familial. en devenir.. )
Changer l’Eau en Vin...
Pour faire du vin, il faut du raisin. Pour faire du raisin, il faut des pieds de vigne. Et pour que les pieds de vigne grandissent, il leur faut une bonne terre, du soleil et... de l’eau. CQFD. On pourrait donc en conclure que le vin vient de l’eau ! D’autres diront que le vin peut parfois provenir de pouvoirs miraculeux ou divins (tiens, cela me rappelle un épisode lors de noces à Cana... ). Les anciens grecs ne l’appellaient-ils d'ailleurs pas le « nectar et l'ambroisie des dieux » ? Le culte de Dionysos et de cette boisson unique inspire donc depuis la nuit des temps.
Le vin, un rite incontournable du marin
Dans la marine, le vin a souvent représenté un rite et une denrée incontournable. Au temps des anciens Grecs, les citations y font régulièrement référence. La quantité et la qualité des boissons à emporter par les vaisseaux s'embarquant en mer étaient minutieusement réglées. Le problème de conservation des vins en mer exigeait en effet des vins de haute qualité. On choisissait donc les types de vins à emporter en fonction de la durée et de la destination du voyage (pour résister à la chaleur, l'humidité, etc. ).
"Les boissons fermentées ou alcoolisées représentaient, à bord des navires, un pôle d'attraction aux multiples facettes car elles sont, à la fois aliment, récompense, mais aussi réprimande de par leur suppression temporaire. Bref, on débouche sur une véritable étude de mœurs où le vin était la cerise sur le gâteau bien amer de la vie des équipages de la marine à voile. " (Source : L'usage du vin dans la Marine, Revue d'histoire de la pharamacie - Yannick Romieux, www.persée.fr) Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le vin est considéré comme nécessaire pour la santé physique et morale des équipages. Certains médecins de l'époque lui prêtent des vertus d'antiscorburtique (il contient en effet un peu de vitamine C), permet de désaltérer et de nourrir. "Vin-aliment, vin-médicament", il est utilisé comme outil médicinal, très employé en thérapeuthique. "En franchissant l'équateur, le marin doit offrir du vin à Neptune"
Trésors sous-marins
Depuis quelques années, une nouvelle niche vinicole s'est propagée : les caves à vin sous-marines.
Une bonne dizaine de producteurs de vin ont décidé de laisser vieillir leur réserve... sous l'eau. Le vin passe quelques mois sur terre en fûts avant de finir leur vieilissement pour six à douze mois, voire deux ans sous la mer, soit dans des cages métalliques, soit immergé dans des amphores, à environ 20 mètres de fond. Le vieillissement du vin en mer, avec ses courants, ses marées et ses vagues oblige à travailler des vins robustes. Leur production coûte environ 25 à 70% de plus que celle d'un vin "terrestre", mais les oenologues locaux visent la différenciation du produit hors du commun. L'intérêt est double : offrir un vin sortant des sentiers battus et éviter les contraintes liées aux appellations d'origine contrôlée. Leur immersion en mer permettrait de conserver les arômes primaires de fruit, de fleurs et de minéraux et leur prodiguer ainsi une saveur sans pareil.
© Photos – Crusoe Treasure, Edivo Vina, Bodega Submarina de Canarias
Pas d'Eau dans son Vin
Pour éviter l'infiltration d'eau salée dans la bouteille, elles sont scellées avec un bouchon spécial et cachetées à la cire.
Un autre avantage du stockage en mer est la température de refroidissement (environ 13°C), une vieille technique de la Grèce antique (savants, ces anciens Grecs... ). Dans une obscurité totale et des conditions hygrométriques parfaites, la pression marine est plus élevée que celle des caves à vin traditionnelles, ce qui évite les échanges gazeux dans les bouteilles. Les conditions permettent ainsi une maturation idéale du vin et un environnement influençant la levure du vin.
Où trouver ces caves à vin pas comme les autres ?
En Espagne, ils sont présents en Galice, en Catalogne, au Pays Basque ainsi qu'à Ténérife, au Îles Canaries. On trouve également des producteurs de vin marin à Saint Malo, dans le Bassin d'Arcachon et à Saint-Jean-de-Luz (près de Biarritz). Des activitiés semblables existent en Italie et au Chili.
Au nord de Bilbao, la cave Crusoe Treasure représente la plus grande cave sous-marine d'Espagne. Les bouteilles s'y vendent à partir de 60€. Pour les amateurs de plongée sous-marine et de la boisson de Dionysos, vous pourrez ainsi enfiler votre combinaison et vos bouteilles (d'oxygène, pas de vin ! ) pour découvrir une cave pas comme les autres et même jouir d'une dégustation sous-marine ! A Ténérife, la Bodega Submarina de Canarias propose une plongée à vingt mètres de fond pour une dégustation de vin canarien d'origine volcanique. Et pour clôre ce chapitre, la cuvée Navis Mystrerium (Edivo Vina) se loge ainsi dans une ancienne épave de bateau près de Dubrovnic. Son stockage en amphores lui donnerait, paraît-il, un arôme particulier (celui du pin... ), en plus d'un aspect commercialement attractif. Un vin, qu'on espère exceptionnel vu son prix (environ 280€ la bouteille... ).
Pour se consoler en attendant...
En attendant de découvrir un de ces joyaux oenologiques, vous pouvez toujours vous contenter de déguster un vin traditionnel, mais au nom bien évocateur. Vous trouverez la plupart d'entre eux sans trop de difficultés chez votre négociant habituel ou même dans les grandes surfaces en cherchant un peu. Pas des grands crus (mis à part le Tormentoso, à vivement recommander... ), mais tout à fait acceptables pour les apéros à l'amarre ou sur terre !
Le 1er septembre, c'est la rentrée pour certains. C'est aussi le jour en 1651 où s'embarque Robinson Crusoë pour vingt-huits ans d'aventure. Et où faute de vin, notre marin échoué s'est contenté d'eau claire et de lait de chèvre sur son île déserte...
Je vous souhaite dès lors que ce premier jour de septembre débute pour vous une belle aventure. Bon d'accord, un peu moins déserte et un peu moins longue que celle de Robinson. Et puis... avec un bon vin de mer... Une excellente semaine à tous ! |
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August 2023
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