Fais-moi la Mer...
Emmène-moi dans tes méandres et tes courbes nacrées Voguer sur tes vagues insatiables et chavirer dans ton univers salé Laisse-moi me noyer dans tes insondables tréfonds Berce-moi de ton chant de sirène au domaine de Triton Fais-toi ouragan qui m'emporte plus loin, tornade qui m'embarque plus prompt Laisse-moi prendre le large et hisser ma voile pour te suivre au bout de l'horizon Fais-moi sombrer à travers tes brouillards et tes ondulations de feu Etreins-moi de ton souffle épars. Enlace-moi de tes tourbillons fougueux Fais-moi la Mer... Caresse-moi de tes flots, du bout de tes doigts de marine fée Laisse les hurlevents gémir leurs sens et leurs secrets perlés Oublie les raisons terriennes et laisse rugir le coeur de l'océan Possède-moi sans conditions aucunes, sans crainte ni jugement Projette-moi dans tes abysses et lointains territoires moirés Fais-moi tanguer, danser, gîter à la limite de sancir et m'incliner Soulève-moi, fais battre ma coque au rythme de tes respirations Et ne me laisse point reprendre mon souffle entre tes aspirations Fais-moi la Mer... Laisse-moi à tes mains m'amarrer, à tes bras de mer m'abandonner Laisse-moi à tes humeurs et tes marées me soumettre sans hésiter Dans tes fleuves et courants, je veux m'insinuer; dans ta chevelure d’écume, mes doigts passer Dans tes yeux azurés, je veux me dérober; sur ta fine peau bleutée, mes mains poser Offre-moi tes frémissements et tes soupirs sans honte Jusqu'aux gouffres profonds, désigne-moi ton monde Pour une traversée, fais-moi oublier mon rang, mon nom Jusqu'au bout du parcours, rend cette étape nôtre Fais-moi la Mer... Fais donc goûter tes larmes et ton sel à mes lèvres assoiffées Submerge-moi de tes fonds et lames sans jamais t'éloigner Laisse-moi m'échouer sur les rivages de ton corps océade Laisse-moi me fracasser sur les récifs de ton coeur de naïade Mille après mille, ne me laisse pas rejoindre mon navire Heure après heure, ne me laisse pas vers la terre repartir Laisse ta houle m'attirer en son sein et vers toi dériver Emporte moi pour de bon vers le royaume de Nérée...
Histoire de mettre un peu de poésie dans ce monde.... Bon dimanche à tous.
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Le billet précédent s'envolait vers la nature açoréenne, la beauté de ses caldeiras et de ses sources géothermiques. Alors, restons encore un peu dans la géologie aujourd'hui et "let's rock & roll" (dixit Bert Kibbler, géologue, Caltech - BBT).
Voici l'occasion de vous narrer un récit à propos de deux endroits quelque peu liés dans cet archipel de rêve. Leurs points communs : la mer, la lumière et l'activité sismique. Je vous emmène aujourd'hui dans un Voyage au Centre de la Mer.
La Mer en Feu
Le 27 septembre 1957, au large des côtes de Capelo et Praia do Norte. Nord-Ouest de l'île de Faial. Le sol gronde. La mer tremble. Un monstre se réveille du fond des abysses océaniques. Il ne se rendormira que treize mois plus tard, après avoir profondément refaçonné l'île açoréenne.
(...) "On a vu souvent rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux
6h45 du matin. Tomaz Pacheco da Rosa, un des sept gardiens du phare de Capelinhos est de service ce jour-là. Cette aube-là restera à jamais gravée dans sa mémoire. Son phare, son cher phare, est en alerte. Non pas face aux assaults de la mer cette fois-ci, mais bien face à ceux d'un monstre marin, d'une tout autre puissance, qui vient de se réveiller en crachant sa colère.
En mer, plusieurs équipages de chalutiers remarquent quelque chose qui ne tourne pas rond environ un kilomètre au large de la côte nord-ouest de l'île. Il ne s'agit pas d'une baleine ni d'un autre cétacé, communs dans la région. La mer bouillonne. L'océan est inquiet, torturé. Une odeur âcre leur monte aux narines. Un peu comme si Poséidon avait soudainement décidé de remonter des abysses dans un nuage de feu. Une heure plus tard, des fumerolles infernales et des jets de cendres bouillantes envahiront l'océan jusque sur la presqu'île. Un nouveau volcan marin est né.
© Photos - Capelinhos Volcano Interpretation Center
"Un amour qui n'a pas été réalisé ou, même, qui n'avait pas atteint la satiété, c'est toujours un volcan qui ne dort pas son dernier sommeil. Que les circonstances s'y prêtent, il flambe de nouveau. " (Claire Martin)
Les coulées s'investissent dans l'onde et la transforment ainsi en bain à bulles géant. L'ancien petit port de Comprido est emporté par le basalte en fusion. Des bombes de lave fusent dans un ciel de suie. Le phare de Capelinhos est partiellement détruit. Tomaz n'a le choix que d'abandonner son poste et la bâtisse. Les habitants doivent fuir. Quarante pourcents de la population de l'île de Faial sera affectée. Une grande partie rejoindra d'ailleurs les Etats-Unis, soutenus par le "1958 Azorean Refugee Act" de J.F. Kennedy (à l'époque encore sénateur). Les suites de l'éruption forceront plus de 15.000 personnes à émigrer. Durant près de quatre cents jours et nuits, le dragon des mers crachera les flammes de ses entrailles. Une fameuse indigestion !
Et au fur et à mesure que la lave refroidira, elle gagnera du terrain sur la mer (presque 2,4 km) et se rapprochera de la presqu'île, pour venir finalement la rejoindre et former un nouveau territoire annexé à l'île. La photo ci-dessus montre la position originale du phare (nr 2) et en jaune et rouge, la partie de basalte venue se rajouter à la côte açoréenne. Le phare de Capelinhos perdra ainsi sa position exclusive de sentinelle à la pointe de l'île. Le nouveau paysage qui en résultera sera de toute beauté, malgré la profonde marque que le volcan laissera sur Faial. Le phare et sa tour, quant à lui, tiendra bon même si les bâtiments environnants et son premier étage seront totalement ensevelis sous pas moins de sept mètres de cendres). Mais il ne sera jamais remis en état après l'éruption, les dommages étant trop importants pour une restauration.
© Photos - Rêvesdemarins
Lueur d'Espoir
Quelques 250 km plus à l'Est. Pointe Sud-ouest de l'île de Sâo Miguel. Devant le petit village de Mosteiros, la mer azurée se déchire sur des rochers de basalte noir. Une forêt d’aiguilles tranchantes crachouillées dans la mer par les abysses terriennes. Des fonds marins qui jadis y vomirent leur trop plein de magma. Paysage surréaliste d’un ancien volcan endormi. Des vagues émeraudes se précipitent violemment vers la grève, toute aussi noire que les géants de pierre qui l’entourent. L’union de la diaphane fille de Poséidon et du ténébreux Ephaïstos. Au loin, quelques rares navires bravant l’onde tumultueuse. La nuit va bientôt tomber. Et sans étoiles sous un ciel couvert, le marin cherchera un guide à travers ces invisibles et redoutables écueils.
Un phare, c'est un peu comme un espoir pour le marin...
A peine huit kilomètres plus au Sud, à Ferraria se dresse l’espoir du marin. Sur une colline verdoyante, une ancienne tour de pierre. Un feu y brûlait autrefois, pour les navires au loin. Mais le brasier s’est éteint depuis bien longtemps déjà. En contrebas, bien calée contre la falaise, une bâtisse blanche et rouge étire son bras vers le ciel. À son sommet, comme une main salvatrice, s’ouvre une coupole de verre. Le Farol de Ferraria est fidèle au poste depuis 1904, en relais à son ancêtre de pierre sur la colline environnante.
Les gardiens du phare font le plus beau métier au monde. Ils vivent au rythme des couchers de soleil et des jets de lumière en direction de l’océan. La main étincelante peut se tendre à plus de 27 milles nautiques.
© Photos - Rêvesdemarins
Paulo Amaral, un valeureux capitaine de la marine portugaise depuis trois décennies,tient fidèlement son métier de gardien du phare depuis dix-huit ans. Il loge au phare avec quatre autres familles. Son labeur consiste bien entendu à l’allumage du phare, mais surtout à son entretien. Imaginez une énorme lampe de plusieurs tonnes, flottant sur un lit de mercure. Une technique permettant un minimum de friction entre l’immense lampadaire de laiton blinquant et le socle sur lequel il repose, tout en lui permettant de tourner sur lui-même de manière fluide. Le mercure pouvant faire flotter des poids de 11kg/cm carré, on n’a encore rien inventé de mieux depuis des siècles. Qui sait, un jour cette technologie sera-t-elle remplacée par un aimant géant aux pôles inversés.
Au départ, les premières lampes du phare étaient des lampes alimentées à... l’huile d’olive. Comme dit l’adage local, « l’huile d’olive, c’est bon pour tout ! ». Puis, l’huile fut remplacée par du gaz et ensuite l’électricité. L’allumage et l’occultation, autrefois manuels, ont été confiés à une jolie mécanique dont les rouages en feraient pâlir un horloger de jalousie. Après la petite centaine de marches de l’escalier en colimaçon, la tour révèle enfin son trésor : une lentille focale étincelante d'arcs-en-ciel sous une coupole de verre aux vitres impeccablement translucides. L’objet est fabuleux. Des dizaines de plaques de verre réfléchissant la lumière dans une même direction. De quoi hypnotiser les plus récalcitrants au premier regard. Un bijou brillant de mille feux et de toute beauté. Un endroit chargé d’histoire. On y raconte que, comme fréquemment dans la région, un volcan émergea de l'océan, il y a quelques siècles, devant Ferraria. Et les premiers à y poser leur fanion furent les Britanniques, qui s’empressèrent de déclarer l’ile ainsi nouvellement née, propriété de sa Majesté. Fait divers quelque peu gênant car, à l’époque, les troupes françaises s’étaient emparées du Portugal, dont les Açores faisaient partie. Les Britanniques (notamment Wellington) vinrent à l'aide des Lisutaniens pour combattre les troupes de Napoléon. Les habitants de l’île pouvaient donc difficilement réclamer leur bien insulaire à leurs propres alliés. Un imbroglio qui se régla par la Nature. En effet, l’apparition d’îles volcaniques marines a souvent été temporaires et cette dernière redisparut dans les flots après quelque temps. Problème diplomatique résolu ! En représailles, lorsqu’une autre montagne marine apparut dans l’océan à Capelinhos, les locaux furent les premiers à y planter leur drapeau. Et comme cette dernière finit par se rattacher au reste de l’île principale, elle demeura propriété portugaise.
Je vous laisse donc ramoner vos volcans et allumer votre phare lorsque l'osbscurité tombera. Qu'ils illuminent votre WE. Un excellent dimanche.
Les Açores, le Paradis Perdu... Un archipel isolé de sept îles magiques, en plein Atlantique Nord. Et pourtant, à seulement quelques heures de vol de la capitale de l'Europe.
Jurassic Parc
Séjour sur l’Île d’Emeraude, que j’ai rebaptisée Jurassic Parc : on se croirait revenus aux sources... Végétation luxuriante, géante même parfois, digne de Spielberg (sans les dinosaures, ouf ! A moins qu'ils ne se cachaient bien... ), aux prairies d’un vert fluorescent sous la lumière du soleil, à l’irlandaise (la couleur, pas le soleil...). Des forêts denses couvertes de mousse, aux allures de repères de Hobbits et farfadets. Des collines à n’en plus finir, bordées de précipices sans fond. Des rivières et chutes d’eau au détour des clairières. Un univers sortant tout droit d’un roman fantastique et dont je joue l’héroïne pour quelques jours. Palmiers et fougères géantes côtoyant fleurs exotiques et vertes pâtures. Tout y pousse. Une terre volcanique, mais magnifiquement fertile. Tout y est vert, même les yeux des matous ! Un fabuleux tableau dansant sous les nuages accrochés à l’île, pourtant sans jamais verser de larmes. Ici, le terme « biodiversité « prend vraiment tout son sens.
© Photos - Rêvesdemarins
Chaudron du Diable
Coincées bien au chaud entre trois plaques tectoniques (l’Européenne, l'Américaine et la Pacifique), les Açores sont le jeu de mouvements terrestres incessants. Au cours des millénaires, les îles ont vu l’apparition, puis la disparition de nouveaux volcans marins, d’îlots isolés ou même de montagnes. Nous y reviendrons d'ailleurs dans un billet suivant. Des cratères (« caldeiras ») forment aujourd’hui le berceau de lacs aux eaux multicolores surréalistes.
Des sources géothermiques bouillonnantes y crachotent leurs fumerolles infernales et leurs effluves parfumées au soufre des entrailles de la terre. L'occasion d'un petite ablution à 50°c dans une eau couleur d'orange. N.B. Avis aux dames : une trempette dans ce bain de jouvence vous offrira gratuitement en prime une magnifique décoloration des cheveux, une teinture tangerine de votre beau maillot blanc ainsi qu'une superbe oxydation de vos bijoux. Aux amateurs, salut. Nous nous sommes donc contentés d'une baignade des pieds.
© Photos - Rêvesdemarins
Bacteric Park
Une visite au centre scientifique tout proche nous explique à travers le microscope l’origine de ces couleurs étonnantes : “les Extrêmophiles”. Des bactéries vivant dans des milieux extrêmement hostiles à l'homme. Des petites bébêtes aux goûts de logement des plus saugrenus : les anaérobophiles (les champions de l'apnée sans oxygène), les acidophiles (les gourmands de bonbons acidulés), les (hyper) thermophiles (les frileux qui mettent le thermostat à fond), les halophiles (ceux qui raffolent d'une soupe super salée, mais sans la soupe), les sulfolobus acidocaldarius (qui aiment leur bain à 80°c, de préférence bien acide), les euglena mutabilis (beurk... ceux qui squattent les milieux pollués), les piezophiles et barophiles (ceux qui aiment se mettre la pression), les psycrophiles ou cryophiles (les eskimaux des populations bactériennes), les deinococcus (les mordus du bronzage par radiations) et bien d’autres encore... Ces êtres microscopiques, mini superbactéries sont ainsi capables de subsister, sans dégradation d'ADN, dans des conditions de vie tout simplement dantesques. Tout un petit monde fascinant lorsque l'on sait qu'elles ont probablement été à l'origine de la vie de notre planète, dans les océans originels.
L’activité volcanique persistante présente à Furnas, une commune rurale de l’île de Sâo Miguel, des conditions particulièrement éprouvantes et donc idéales pour la prolifération de nos bactéries de l'extrême. En effet, elles recèlent un niveau très faible d ‘oxygène (moins de 10%), des concentrations très élevées de CO2 (54% - lorsqu’on sait qu’à peine 17% tuent un humain en moins d’une minute) et de relative acidité (pH 5,7), tout cela à des températures environnant les 37°c minimum. Un véritable chaudron du diable.
Et non, donc, toutes les bactéries ne sont pas mauvaises. Elles vivent partout, à commencer au sein du corps humain. Et même dans ce milieu-là (beaucoup moins hostile que ceux qui hébergent nos extrêmophiles... ), elles ont leur utilité. Par exemple, des recherches en microbiologie de l’Université de Californie à San Diego, ont révélé cette année que certains de ces micro-organismes, notamment, les "staphylococus epidermidis", produiraient une molécule (la 6-N-hydroxyaminopurine ou 6-HAP, de son petit nom), permettant la lutte contre le mélanome (cancer de la peau) sans risque pour les autres cellules. Reste à poursuivre les tests. Si, comme moi, la microbiologie vous intéresse, jetez donc un coup d'oeil à leur site web http://omic.centrosciencia.azores.gov.pt/. Ce petit centre scientifique des Açores en vaut vraiment le détour.
© Photos - Omic
L'Home de la Mancha-zorienne
En lieu de chambre d’hôtel, un ancien moulin à vent reconverti en petit studio pour 2, avec une vue à 360 degrés imprenable sur l’océan. Sèche-cheveux éolien compris dans le prix. Un refuge parfait pour le Don Burguotte que je suis. Des vaches, chevaux, chèvres et moutons pour tous voisins (avec les cloches au cou - on se croirait en Suisse ! ). Un jardin regorgeant d’orangers et ananas frais en guise de petits pains au chocolat pour déjeûner sur la terrasse panoramique. Sans oublier le fameux thé « cha » des Açores. Et une hôtesse locale tout à fait charmante. Un sanctuaire de paix et de sérénité. Imbattable...
© Photos - Rêvesdemarins
Paradis sur Mer
Un océan sauvage, violent, qui vient batailler contre les rochers de basalte noir aux allures de monstres pétrifiés dans la lave des anciens volcans. Des noms locaux aux consonances évocatrices de mondes sous-terrains fantastiques : Mosteiros, Furnas, Feteiras, Caloura, Lago de Fogo, Sete Cidades, Capelinhos... Un univers qui aurait sans aucun doute inspiré Jules Verne.
© Video & Photos - Rêvesdemarins
Des habitants au charmant dialecte oral chuintant, auquel je n’ai pas encore pu me mettre (ce sera pour ma prochaine visite ! ), mais qui comprennent parfaitement mon barbare langage des signes et des mains. Un art de l’accueil sans failles, chaleureux. Et je ne vous parle même pas de leurs secrets culinaires : de délicieuses grillades de poissons et crustacés locaux. A essayer les "lapas" (en français : "patelle" ou "bernique", délicieux grillés avec du beurre, ail, citron et un petit vin blanc local). A s'en pourlècher les babines. Ils cuisinent même sur leurs volcans (si, si, on y cuit des plats locaux sur les sources géothermiques décritent ci-avant, les fameux “cozidos”).
Certains décrivent cet archipel comme un des vestiges de la fabuleuse Atlantide (les Canariens et les Grecs de Santorin vous affirmeront la même chose, il suffit de mettre les normes de géographie quelque peu en perspective ). Et j’aurais bien tendance à le croire... Ah, ces Azoriens, ils savent vivre... Et la cerise sur le gâteau : l’île de Sâo Miguel y compte un village au nom bien sympathique: “Burguete” ! Bref, je suis totalement sous le charme et rêve déjà de mon prochain séjour dans ce petit Paradis sur Mer. Un endroit addictif ! Alors, si on vous propose de vous y rendre, dites oui tout de suite !
Lost Islands
Je vous laisse ainsi rêver de paysages paradisiaques, volcans, cratères, chaudrons bouillants ou de bains de pieds aux couleurs de ce blog. Un excellent dimanche à tous. Et si vous avez repris la saison de voile ce WE, bon vent !
Imperceptiblement, il se rapproche, me frôle, m'effleure et tourne autour de moi. Je peux presque sentir son souffle sur mes lèvres, le toucher de sa large paume sur ma peau. Ses teintes obscures et les éclairs dorés de ses regards foudroyants se montrent incroyablement affolants. La force de ses bras et sa taille de géant imposent le respect et une envie irrésistible de m'y engouffrer malgré la crainte d'y sombrer. Les longues mèches de sa chevelure volant au vent forment un arc-en-ciel aux sept nuances de sombres : anthracite, bistre, taupe, étain, plomb, cendre et argent selon la luminosité du ciel qui s'écroule dans l'eau toute proche.
Je tiens la longueur, demeure à distance de sécurité. Je l'évite, le repousse doucement, par crainte de me perdre en son sein. Par peur de ne point recouvrer la terre ferme. Par angoisse de ne plus pouvoir revenir en arrière et de nous briser. Des jours durant, j'hésite à différer mon départ, à élancer ma voile dans sa direction. Je ne cesse de le reporter à plus loin, à plus tard. Ma raison m'enjoint à attendre son improbable envol. Peut-être se lassera-t-il de moi et partira-t-il, plus loin, jeter son dévolu sur une autre innocente proie ? "... C’est toujours difficile d’adapter sa route mais la mer est ainsi, imprévisible et indomptable... " [Anon. ]
Mais il demeure là, ne me quitte pas. Il avance juste à mes côtés. Il entoure doucement mes épaules de sa large carrure et sa longue silhouette me couvre de son ombre. Alors, je recule et m'écarte quelque peu de lui. De temps à autre, il se hasarde à déposer un timide baiser d'une goutte de pluie sur ma main. Je frissonne d'émoi à son toucher tiède et satiné. Je ne l'essuie pas. La caresse est troublante. Il hésite à faire un pas de plus vers moi. Il m'observe à la dérobée du bout de son horizon. Terriblement puissant et fragile à la fois. Un peu comme si mon refus de le suivre au large le faisait cruellement souffrir. Un peu comme si les trombes d'eau au loin se voulaient ses larmes du manque de ma présence auprès de lui. Il m'attend, éperdu de pluies. Et quelque part, il me fait pitié. Et sans le lui avouer, son chagrin de géant zéphyrien me touche intensément.
© Photos - Rêvesdemarins (Azores, Northern Atlantic Ocean)
Je voudrais tant partir. Puis, à force d'épuisement, d'attente sur ce quai, de désir et de désespérance de me lancer, ma raison rend les armes. Je finis par tendre la main vers lui. Et je largue les amarres. Du bout des doigts sur la barre, en tremblant de tout mon être. Au diable la peur, les tergiversations et les dérobades. Et je me lance à l'eau et borde les voiles au vent. Qui naviguera, verra.
L'onde est tout d'abord douce et fluide. Puis les vagues se font plus fortes. La houle monte. Je sens son tourbillon qui m'aspire. Je sens mon navire inéluctablement attiré vers lui. Sa puissance est tout simplement soufflante. Plus de retour en arrière possible. Le voilier danse sur les lames de fond et se perd dans l'écume. Les voiles volent en tous sens. La boussole s'affole. Le compas n'indique plus qu'un seul cap : celui du large aux couleurs de la nuit. Alors, lorsque les résolutions ne font plus aucun sens, je finis par accepter de faire confiance à mon intuition de marin et à l'océan. Je cesse de repousser ses avances. Je prends ce qu'il me donne et consens enfin à jouer avec les flots. Je les suis, je me donne, je m'unis à eux comme un dauphin épouse les mouvements de la mer. Je rejoins l'ouragan et me noie en lui au lieu de le combattre en vain. Et mon navire avance dans la furieuse passion des éléments. Il s'y engouffre et remonte à la surface pour reprendre sa respiration de temps à autre. Il finit par s'habituer au rythme saccadé de son souffle et aux élans de l'eau. Je me fais à leur balancement comme à celui d'une immense nacelle. Le tangage me devient tendre berceuse. Mon esprit se détend, mon coeur s'apaise, mon corps se relâche. Je deviens quelqu'un d'autre. Le marin en moi devient homme des mers. Des jours durant, la tempête m'entraîne loin des côtes, toujours plus au large, toujours plus fort. Et j'oublie tout. Je ne forme plus qu'un et un seul avec l'ouragan. Je fais partie de lui. Et au lieu de me détruire, il m'emmène vers une autre destination. Deux fois, trois fois, quatre fois, nous tentons de séparer nos routes. Et à chaque tentative, il ne peut s'empêcher de me ramener à lui. Et s'il ralentit ma course vers l'horizon, il ne m'entraîne pas pour autant vers ma fin. Il me porte et m'emporte vers une autre île, plus belle, plus éloignée. Un endroit d'une splendeur sans pareil, qui n'est repris sur aucune carte et dont je n'imaginais même pas qu'il puisse exister dans ce monde. « (…) Boire, déguster le sang de la mer en son sein, goûter le salé du plaisir et le retenir sur la langue, la carène glissant sur les reins ondulés de la Belle qui ne se laisse pas apprivoiser(…) - Je crie ma joie, une main posée sur les rênes. La mer me guide et tient fermement mon autre main. Sans crainte et avec modestie, j’accepte le courroux et le don, la rumeur et l’appel. Oubli de soi par la fatigue, la concentration. Embaumé par le souffle du vent, je goûte l’eau salée qui coule entre les lèvres. (…) » [Anon.]
Après ces moments uniques en son sein, le temps n'a plus d'importance. Ivre et exhalté de ses caresses nacrées, l'ouragan ouvre ses bras dont il m'avait longuement enlacé. Je suis libre de reprendre ma route vers ma destinée et mon cap originel. Je jette un coup d'oeil derrière moi : il me fait ses adieux. Ou n'est-ce là qu'un au revoir ? Il me tient par les yeux et son profond regard triste d'ambre gris me pénètre jusqu'à l'âme. Il m'a embrassé de son souffle alizé et de ses étreintes perlées, puis m'a laissé repartir, sans engloutir ma coque, en épargnant mon mât, sans rien même grignoter de mes voiles. Sans m'inviter à le suivre vers cette île déserte au bout du monde. Il m'a juste appris à naviguer différemment. En parfaite symbiose avec les flots. Une troublante et inoubliable rencontre en haute mer avec l'ouragan. Je me sens plus vivant que jamais...
La vie d'un marin est ainsi faite d'attentes, d'imprévus et de dépendance des forces de la nature. Faute d'une meilleure fenêtre météo pour un départ en mer, bon vent à ceux d'entre vous qui croiseront un ouragan (ou du moins une grosse dépression) sur leur route. Puisse-t-il vous être clément. Bon dimanche.
Back to the Basics
Traversée Horta (Faial, Açores) - Lorient (FR, Bretagne Sud) en une traite. Temps estimé entre 7 et 10 jours non stop, dépendant des vents, des anticyclones (qui jusqu ‘à présent semblent vouloir nous bouder sur tout le trajet selon les prévisions) et des aléas de navigation. Un saut dans l'inconnu. Un plongeon vers l'aventure. Une embardée vers les surprises. A saute-moutons sur les vagues et les embruns bleutés. Avec la mer et rien que la mer autour de nous. Pas que j’aie peur de m’ennuyer, bien au contraire. Il y a toujours quelque chose à faire sur un voilier. Du travail, des techniques de voile à apprendre, des notions de navigation à approfondir, des voiles à ajuster, des discussions à bâtons rompus et des ciels étoilés & couchers du soleil à admirer. Sans oublier les photos... Et si la météo le permet, du temps pour lire et faire des siestes (enfin ! ). Ou même l’occasion de faire un peu de musique (ma flûte ne me quitte jamais), histoire d’attirer les baleines et dauphins (ouille, tout bien réfléchi, nos notes de musique risquent peut-être de les faire s’enfuir... ).
Des repas simples, des horaires de vie au rythme de la nature, une ambiance bon enfant à bord, du camping en mer, quoi !
H comme... l’Heure H !
© Photos - Revesdemarins
H, comme...
Ou encore comme...
Et évidemment comme...
Enfin, H comme...
© Photos - Revesdemarins
Alors, à vous qui ne pouvez nous rejoindre dans ce rêve un peu fou, je vous emmène dans la poche de ma veste de quart (bien au chaud et à l'abri des embruns, petits chançards ! ), ainsi que dans mon gilet de sauvetage (pour les claustrophobes qui ont le mal de mer). Je garde dans mon sac de voile quelques prochains récits pour vous, de volcans, de voyages au centre de la terre, de gardiens de phares, de paysages fantastiques et de rencontres en mer. À découvrir dans les billets qui suivent, histoire de vous faire languir encore un peu.
A bientôt de l’autre côté de la grande flaque ! Bon dimanche de Pâques à tous ! |
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August 2023
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