Ce billet semblera futile, voire ridicule à ceux qui n’en n’ont jamais eu. Et ceux qui en ont eu sans finir par s’attacher et en ne voyant que les inconvénients, n’ont probablement pas vraiment compris la chance qu’ils ont eue… Un petit billet émotion pour une belle gueule d’amour.
Lorsqu’un sans-abri implore l’aumône serrant son chien dans ses bras (qui la plupart du temps est mieux soigné que son maître), mon cœur craque à tous les coups. Pas que la détresse des hommes me touche moins, mais parce que je sais ce que ce compagnon signifie dans leur vie de misère : il vaut tout l’or du monde, surtout lorsqu’on est dans la rue.
C’était tout début 2009. Tu as sauté sur nos genoux et dans nos bras dans cette vieille cuisine. Puis tu n’as plus daigné bouger, ton doux regard planté dans le nôtre. Nous n’avons donc pas eu d’autre choix évident que de t’emmener avec nous, toi et ton grand frère. Tu nous avais adoptés (et non le contraire... ). Par cette soirée glaciale et neigeuse, ni panier, ni laisse, ni collier dans le coffre de la voiture. Et encore moins d’expérience avec des bébés de votre sorte. Juste notre amour naissant pour deux adorables boules de poils qui allaient remplir nos vies bien plus que tout ce que nous pouvions imaginer durant tant d’années. Un nouveau morceau de vie.
La première nuit blanche. Blanche de neige dans cet ancien fumoir, à l’abri sous tes larges couvertures bien chaudes, blottie contre le flanc molletonné de ton grand frère, mais dans l’obscurité des fenêtres barricadées pour t’empêcher de t’enfuir. Blanche pour moi de tes pleurs pour ta première fois loin de ton refuge maternel et avec tes nouveaux parents humains. Et mon effort surhumain pour ne pas venir te chercher pour passer la nuit près de moi dans la chambre à coucher malgré la terrible tentation. Puis tes diverses escapades, dans la rivière, les champs, au dessus du mur ou de la clôture de plus d’un mètre cinquante pour aller vagabonder à l’aise. Tes jeux avec ton frère, les poubelles déchiquetées et j’en passe. Que du plaisir. Tu avais de l’énergie à revendre. Tu dansais littéralement lorsque nous mettions nos bottes ou que nous prenions la laisse pour aller nous promener avec toi. Tu ne nous laissais pas passer dans le chemin tant que tu n'avais pas reçu tes câlins. Tu courais après les lapins, les canards ou les faisans qui osaient venir faire un tour dans notre jardin. Et en hiver, tu n'en avais jamais assez de te régaler de glace et de neige. Quelle joie de vivre.
© Photos – RedandHowling
Durant presque dix ans, tu as suivi ton frère dans ses bêtises. Vous étiez inséparables malgré vos divers séjours à l’hôpital pour vos bobos respectifs, petits ou grands. Vous avez passé vos sommeils dans votre étable bien à l’abri. Et je suis quelquefois venue vous y rejoindre en pyjama par les nuits de tempête et d’orage, blottie entre vous deux pour vous rassurer, au grand dam des miens. Ma colère contre les voisins qui enrageaient à faire des feux d'artifices juste à côté pour leur petit plaisir personnel, sans la moindre considération pour les fermiers, manèges et propriétaires d'animaux du coin. J'en suis venue à détester les soirs de fêtes sachant que vous seriez totalement paniqués par ces sons et lumières futiles. Mon inquiétude lorsque la météo annonçait des tempêtes et des pluies diluviennes lorsque je n'étais pas à la maison (même sachant que vous aviez une belle étable pour vous abriter). Et avec les années, vous avez fini par emménager dans la buanderie près du chauffage pour les nuits froides, un peu plus près de nous. Un peu moins d'inquiétude pour mon sommeil vous sachant bien au chaud à l'intérieur.
Toi et ton frère nous protégeaient avec vos grandes dents, vos longues griffes, vos larges pattes, votre taille aussi grande que la mienne et votre grosse voix lorsqu’un étranger osait s’approcher de nous. Et pourtant, vous étiez des crèmes une fois qu’on vous connaissait, sans animosité ni méchanceté aucune.
© Photos – RedandHowling
Puis un jour, ton grand frère nous a quitté, épuisé dans son combat pour sa santé après presque dix ans de vie commune. Et tu es restée bien seule. La maison se vidait peu à peu.
Alors, tu as déménagé dans le bureau. Toujours un peu plus près de nous. Et pourtant, malgré nos craintes, tu as repris une autre vie, sans lui. Plus exclusive, plus douillette, plus chouchoutée, en parfaite harmonie avec la vieille chatte. Vous vous parliez parfois. On se demandait toujours ce que vous pouviez bien vous dire. En tout cas, votre promiscuité ne semblait pas vous déranger. C’était un réel plaisir de vous voir dormir une à côté de l’autre, pour un concours de ronflements - il est vrai toujours à une distance respectable l'une de l'autre. Et tu lui chipais souvent son repas. Elle ne se plaignait jamais… Nous n'avons jamais tout à fait compris pourquoi tu pleurais lorsqu'elle arrivait dans ton parage. Peut-être parce que tu voulais jouer avec elle. Vous étiez comme un vieux couple, deux vieilles dames vivant en communauté. Puis, il y a deux ans, ce fut au tour de ta compagne à trois pattes de t’abandonner après de longs mois de bataille contre un vilain cancer. La maison se vidait encore un peu plus. Et là, tu as dû rester seule avec tes humains. Plus d’autre boule de poils avec qui partager tes humeurs et tes journées. Et tu t’es encore rapprochée de nous : câlins, caresses, promenades, gâteries et surtout beaucoup de tendresse et d’amour. Ton museau avait blanchi, tes yeux s’étaient voilés, ton poil était devenu plus dru et ta démarche moins sûre. Tu n'entendais plus très clair mais jamais tu ne manquais de nous reconnaître. Tu nous régalais sans compter de tes poils pour garnir chaque coin de la maison et j’aurais pu m’en faire une couverture bien douillette (comme les oiseaux chaque printemps d’ailleurs). Tu vidais nos assiettes et rivalisais pour les croûtes de fromage que je coupais gentiment plus larges que d’habitude pour te gâter un peu. Tu pleurais souvent une fois seule avec moi, pour réclamer des caresses. Sans oublier l’heure de ton « bonbon », qui faisait plus aisément passer les pilules et sirops que tu devais ingurgiter pour ta santé. Tu me laissais tout faire avec toi. Tu acceptais tous mes gestes et soins sans sourciller. Toi et moi nous nous faisions mutuellement une confiance aveugle.
© Photos – RedandHowling
Et un jour, tes pattes n’ont plus daigné te porter. Tu n'as plus voulu te nourrir. Les médecins te disaient mourante. Cependant à force de patience, d'amour, de nuits à même le sol à ton chevet et d’efforts pour te rendre goût à la vie, tu as résisté durant quelques années encore. Nous savions qu’il s’agissait du calme avant une nouvelle tempête. Et nous avons joui de ta présence à chaque instant. Tu avais déjà un âge canonique et chaque jour de plus avec toi était un cadeau.
Bien sûr que c'était du travail. Du nettoyage constant, des courses en plus, des rendez-vous médicaux. Evidemment que c'était compliqué à organiser pour profiter d'un WE ou de vacances en dehors de la maison, en assurant toujours ta garde par quelqu'un de confiance. Et oui, nous avons dû très souvent renoncer à partir. Pour sûr que cela représentait un sérieux budget en énergie, temps et argent. Oui, tu en prenais de la place et pas moyen de te mettre dans mon sac à main (même s'il est grand) pour t'emmener avec moi. Et avec les années, comme toute personne âgée, s'occuper de toi devenait un défi de taille. Et cependant... Rien de cela ne m'a jamais découragée. Un animal, ce n'est pas un cadeau de Noël, c'est un membre de la famille à part entière pour la vie avec ses bonnes et ses mauvaises surprises.
© Photos – RedandHowling
Puis, cette année, la prédiction des blouses blanches s'est réalisée : tes pattes arrières t’ont définitivement abandonnée. Et c’est alors une très vieille dame, du quatrième âge, que nous avons soignée durant quelques mois : nuit et jour, nous assurions une permanence, ton lit à changer, te laver, nettoyer, te donner à manger à la main, soigner tes escarres, te soulever et te porter pour te faire encore te promener un peu au jardin. Chaque effort pour marcher devenait pénible et te coûtait toute ton énergie. Mais jamais tu ne grognais. Jamais tu ne nous a démontré de l’agression même si nous n’étions pas toujours aussi délicats pour te déplacer que ce que ton état requérait. Jamais tu n’as cessé de nous regarder de tes yeux infiniment bons et aimants, ni de nous témoigner ton amour inconditionnel. Et non, tu ne sentais plus aussi bon. Et non, tu n’étais plus aussi jolie. Peu importe, pour moi, tu restais la plus belle, la plus douce. J’adorais caresser tes oreilles duveteuses et enfouir mon visage dans la fourrure de ton ventre et me lover contre toi. Jamais encore, nous n’avions été aussi proches de toi, prenant soin de toi 24/7, à nos côtés dans la maison. Mes très fréquents voyages professionnels me pesaient, craignant de ne pas te retrouver à mon retour. Et notre vie tournait jour et nuit autour de la tienne. Tu étais ma première et ma dernière pensée de chaque jour depuis des mois.
Lorsqu’on me demande ce qui est le plus difficile à gérer avec un chien, je réponds sans hésitation : « l’adieu »…
Ce soir-là du deuxième jour du mois de mai, alors que j’étais seule avec toi, tu semblais justement avoir retrouvé du poil de la bête et un peu de force pour marcher sans mon aide. La nature nous a ainsi surpris par une nouvelle crise, décidant tout d’un coup qu’il était temps pour toi de partir. Les symptômes étaient clairs tout comme l’évidence de la décision à prendre. Celle de te laisser t’en aller fut - comme pour d’autres précédemment - la plus dure à prendre de ma vie. Mais c’était bien là un cadeau que de faire cesser ta souffrance. Aimer, c’est aussi pouvoir laisser aller l’autre et lâcher prise. Et je ne m’y habituerai décidément jamais… Tu t’es endormie paisiblement dans nos bras, contre moi, tout en douceur, au son de nos voix et au toucher de nos caresses.
Les mots me manquent pour exprimer les émotions, la douleur et la gratitude. Tu as été tellement dans ma vie, bien plus qu’un chien, bien plus qu’un humain ou un enfant, bien plus qu’un ami pour l’existence. Tu m’as souvent consolée et rendue meilleure. Je ne supportais pas qu’on te fasse le moindre mal. Ta douleur était mienne. Tu étais la dernière boule de poils restant à la maison, ma fifille, mon bébé d’amour. La maison et mon coeur sont bien vides à présent.
© Photos – Rêvesdemarins
Dors, mon bébé, dors. Repose-toi enfin, ma jolie Souki. Et veille sur nous de là-haut avec ton frère et ta soeur féline, comme tu l’as si bien fait ici bas durant presque quinze ans. Tu restes dans nos cœurs à jamais. Bon vent, ma douce.
Bon vent à tous en ce dimanche ensoleillé, où que vous soyez.
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August 2023
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