"La science est le capitaine, la pratique est le marin... "
Il y a tout juste cinq siècles cette année qu’un homme marquait la Renaissance de son génie visionnaire. Un oracle pas comme les autres…
Homo Universalis
Né Florentin en avril 1452, Leonardo va compter parmi ces quelques hommes d’exception qui, à leur manière, transformeront le monde du savoir. Un polymathe, un homme qui s’intéresse au monde. Tout comme les hommes de mer, il s’est intéressé puis a acquis une connaissance approfondie d’un nombre impressionnant de domaines divers : sciences, mathématiques, ingénierie, anatomie, astronomie, géométrie, littérature, poésie, philosophie, géologie, géographie, peinture, histoire, botanique, architecture, paléontologie et bien d’autres encore.
On estime à pas moins de 13.000 pages les notes et les dessins (*) de la main du génie italien, répertoriés dans divers manuscrits et traités tels que les Codex Atlanticus, Leicester, Arundel, Ashburnham, Trivulzianus ou de Madrid, ainsi que dans une dizaine de carnets manuscrits. Au fil des siècles, des jeux de pouvoir et des détours politiques, ses œuvres ont parcouru la planète, pour finir aux mains de grandes institutions, de musées ou de mécènes : des Bibliothèques Royale de Turin ou Ambroisienne de Milan, de l’Institut de France ou de la Galerie de l’Académie de Venise en passant par la British Library, jusqu’à la collection privée de la Reine Elizabeth II d’Angleterre ou celle de Bill Gates. Pour l’historiette, le magnat américain des affaires acquerra en 1994 le Codex Leicester pour la modique somme de 30.800.000 US$. Probablement le livre le plus cher au monde… Les ouvrages de Leonardo deviendront universellement renommés. Le savant toscan révolutionnera ainsi le monde des sciences et des arts. (*) Pour l’anecdote, Leonardo Da Vinci était gaucher et son écriture était inversée, phonétique et sans ponctuation. Elle se lisait donc de droite à gauche. Cette particularité typographique explique probablement en partie la raison pour laquelle ses carnets n’ont réellement été étudiés qu’à la fin du XVIIIe siècle, présentant quelque défi décourageant ses lecteurs. A moins qu’il ne s’agisse d’un code secret involontaire du grand maître…
(© Images - Royal Collection Trust/ Sa Majesté la reine Elizabeth II) - Bibliothèque Ambroisienne de Milan - Bibliothèque de l’Institut de France)
Le Génie Oublié de l’Eau
Parmi les inventions et les études de Leonardo, notre monde a quelque peu négligé ses découvertes en matière d’hydrodynamique, de cartographie ainsi que de techniques portuaires et navales. Toute une série de ces dernières n’ayant jamais été publiées, elles n’ont eu que peu d’influence sur l’évolution ultérieure des sciences et seront larguées dans les tréfonds de la mémoire collective.
Dans son Codex Atlanticus (1480 - 1482), Leonardo révèle ainsi une série de technique hydrauliques : vis et roues à eau pour l’irrigation, dont on peut imaginer le lien, plus tard, avec la fabrication des roues à aubes servant à la propulsion de navires. Courants, écluses, bassins, ponts et ports le fascinent. Il participe à un projet d’assèchement des marais pontins. Il œuvre à la construction de canaux (Navigli) reliant Milan au lac de Côme, au lac Majeur et à l’Adriatique. Il travaille également au détournement du fleuve Arno, qui a pour objectif de couper la République de Pise de son accès à la mer au profit de sa concurrente de toujours : Florence. Da Vinci est captivé par les propriétés hydrauliques. Il étudie les mouvements de l’eau et des fluides. Les tourbillons, en particulier, retiennent son attention. Qu’ils soient composés d’eau ou même de sang (ses études anatomiques en sont la preuve). Il étudie leur équilibre, la pression hydraulique, sa transmission, la loi des vases communicants. Ses recherches sur l’eau le conduisent à examiner le mouvement ondulatoire dont il esquisse la théorie. Il l'applique aux vagues de la mer, à l'air, au son, à la lumière, entrevoyant ainsi la généralité de ses applications. Son étude des turbulences ne progresse plus réellement durant presque quatre cents ans, avant que l'ingénieur irlandais Osborne Reynolds ne prolonge ses travaux sur la mécanique des fluides en… 1883. Leonardo étudie des systèmes de barrage avec des écluses et des ponts. Sur sa lancée, il réalise des techniques de drainage pour le creusement de ports et l’excavation de fonds marins : des pompes, des soupapes, des canons de chargement naval, des portes battantes pour voies d’eau pour les écluses, des outils de dragage maritime... A des fins militaires, il élabore des ponts tournants, amovibles ou transportables, permettant aux armées de franchir aisément des points d’eau (des roues, un balancier de poids et un système tractable de cordes facilitant ainsi une installation rapide et un transport aisé pour la mobilité des troupes). Il conçoit également nombre d’instruments de guerre : systèmes de perçage de coques de navire ou d’abattage des voiles (destinés aux embarcations ennemies…). Leo et l'eau...
(© Images - Royal Collection Trust/ Sa Majesté la reine Elizabeth II)
Comme un Poisson dans l’Eau
Pour le déplacement dans l’eau, il dessine des flotteurs avec fond ouvrable pour le transport de matériel, ainsi qu’un équipement flottant permettant de marcher sur l’eau (sortes de raquettes nautiques). Il façonne des gants palmés en cuir rigide faits de cinq bâtons de bois, imitant les membres des oies et des canards, conçus principalement pour accroître la capacité de rester à flot dans des situations d’urgence comme lors d’une tempête ou d’un naufrage.
Le premier homme-grenouille…
La plongée étant une activité très ancienne destinée à récupérer les épaves et à ramasser éponges et crustacés, certains historiographes du Moyen-Age attribuent l’invention du premier sous-marin à l’Antiquité (notamment à Alexandre Le Grand et à son fameux bathyscaphe de verre, caisson submersible étanche et tractable à immersion verticale). Bon nombre d’inventions eurent des fins militaires. Leonardo expérimente ainsi au XVe siècle le premier scaphandre de plongée : une combinaison de cuir destinée à l’immersion totale. Un masque permet la respiration via deux tubes reliés à une cloche flottant à la surface. La combinaison est équipée d’un système de sacs/ballons qu’on peut gonfler et dégonfler à sa guise, permettant plus aisément l’ascension ou la descente dans l’eau. Le détail de l’invention va jusqu’à y prévoir un sac urinoir pour les plongées de longue durée. Leonardo est un indécrottable perfectionniste.
(© Images - British Library
Génie Naval sans être Marin…
S’il n’est pas marin, Leonardo ne se contente pourtant pas d’eau douce. Il dessine ainsi des bateaux à propulsion par roues ou un tracteur à roues marines pour démultiplier la force des rameurs. Il invente le navire à aubes et le pédalo. Enfin, il conceptualise des navires de frappe navale comme les embarcations d’éperonnage ou encore un projet de navire de guerre, « l’ Escorpio » (le Scorpion) amené à attaquer l’ennemi avec une longue faucille.
Le Monde selon Da Vinci
L’homme de sciences réalise plusieurs cartes terrestres et côtières. On retiendra ainsi, par exemple, des représentations à vol d’oiseau de la Toscane. Mais, en 1504, Leonardo voit plus grand : on attribue à son atelier la réalisation d’un globe terrestre unique par sa singularité : le « Mundus Novus ». Des recherches récentes ont émis l’hypothèse qu’il aurait servi de modèle au Globe de Lenox datant de 1510.
Dans sa perspective cartographique, la terre compte une superficie de sept mille milles nautiques italiens de l’époque (8.960 km ou 29,6 % de son diamètre réel), à une échelle de 1:80.000.000. Une petite boule d’à peine onze centimètres de diamètre, recouverte d’une magistrale carte du monde, gravée de la main d’un grand artiste. Tout un univers en couleurs et en relief gravé sur deux fragiles coques d’œufs d’autruche : lignes de littoral, montagnes, lacs, méandres des rivières, îles, navires, bateaux de pêche, marins tombés à l’eau, monstres marins, ports, continents, volcans, tourbillons, océans magiques... Un travail d’orfèvre.
© Images - Washington Map Society) - ISPRS Annals of the Photogrammetry G. Verhoeven – S. Missine)
Ce globe semble être le premier à représenter le Nouveau Monde, à savoir les Amériques. A la place de l’Amérique du Nord, n’ayant pas encore été découverte à l’époque, la mappemonde représente un vaste océan avec quelques îles éparses. Seuls sept noms s’y retrouvent dans l’hémisphère occidental. A la place de l’Amérique Centrale et du Sud : « Mundus Novus » (Nouveau Monde), « Terra de Brazil » et « Terra Sanctae Crucis » (Terre de la Sainte Croix). Les croquis préparatoires d’une « Mappa Mundi » (qu’on retrouvera plus tard dans le Codex Atlanticus), indiqueront déjà bel et bien un continent américain ainsi que des côtes africaines, preuve supplémentaire attestant du génie éclairé de l’époque.
Malgré une exagération manifeste de la taille de certaines régions (telles que l’Europe), le globe y présente une configuration générale correcte des continents, y compris un océan au pôle nord et un continent au pôle sud. Et les tailles relatives de régions telles que l’Inde, le Japon et même la péninsule russe orientale indiquent que son auteur a probablement eu accès à des informations de marins explorateurs de l’époque ayant pratiqué ces routes. Les connaissances récentes de Christophe Colomb, Amerigo Vespucci ou encore Pedro Cabral étaient donc clairement familières et ont guidé la conception du globe. Enfin, la représentation cartographique unique de l’objet, une projection en octant, divise ainsi la surface terrestre en huit formes de pétales égaux et se veut proche de l’isométrie (type de projection qui conserve les longueurs). Même si Leonardo n’a jamais été reconnu comme un cartographe à part entière, ses travaux auront, sans aucun doute, influencé ses contemporains et préfiguré la cartographie moderne.
Le Secret du Navire Idéal
Sans formation étendue en mathématiques ni en latin (qu’il apprit par lui-même), Leonardo a principalement basé ses travaux sur l’observation et la description précise, selon des méthodes scientifiques, sans insister sur l’aspect théorique. A l’époque, il est considéré par ses pairs comme un non lettré. Cependant, autodidacte, il se constitue une solide bibliothèque d’ouvrages de référence, scientifiques et techniques, dont il s’inspire pour ses travaux (certaines de ses inventions ont d’ailleurs été ébauchées par ses prédécesseurs).
En outre, il a le sens inné des règles d’or de la création : il comprend et intègre admirablement dans ses canevas les concepts du fameux nombre d’or (**) et de la proportion divine, sources de l’harmonie parfaite. L'homme de Vitruve, qu’il a dessiné en 1492, ou encore la Joconde comportent ces références techniques et exposent ainsi un corps parfaitement proportionné. Voir le billet "le Mystère de Pythagore". Les créations de Leonardo comprenaient une composante artistique, en particulier celle de la peinture. C’est probablement pour cette raison qu’il fut longtemps ignoré comme scientifique au même titre qu’un Galilée ou un Newton. Néanmoins, ses œuvres ont laissé un héritage fabuleux à notre monde actuel. « Leonardo nous a légué un tout autre regard sur le monde de l’eau et de la mer…. »
Alors, revenons-en à la mer et aux navires... Qu'est-ce qui fait la beauté d'un voilier ? Ses proportions ? La ligne de sa carène ? La taille de ses voiles par rapport à la coque ? Imaginons un instant que tous les voiliers du monde soient construits selon ce nombre d'or et la proportion divine. L'océan deviendrait alors un véritable catwalk de la voile... Des navires parfaits, qui plus jamais ne risqueraient un naufrage, qui parviendraient à des performances optimales de vitesse par rapport au vent. De l'étrave à la poupe, de la quille au mât en passant par l'étai, la balancine ou les bastaques, avec des galhaubans et des mâts de beaupré de taille exemplaire : de super-voiliers tant en termes d'efficacité vélique qu'en termes d'esthétique...
(**) Selon Leonardo, les proportions du corps humain suivraient la règle de l’harmonie parfaite, respectant une proportion géométrique définissant le rapport entre deux longueurs, telle que le rapport de leur somme divisée par la plus grande des deux soit égal à celui de la plus grande divisée par la plus petite (phi = (1+√5) ÷ 2 ≈ 1,6180339887...). La distance entre la tête et le sol, divisée par la distance entre le sol et le nombril équivaut à phi.
Sur cette hypothèse, je vous souhaite un excellent dimanche ! Et qui sait, un bon début de vacances !
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« Un barbu sachant barrer borda son bord dans une barquette... »
L’été vient tout juste de s’installer. Pour nombre d’entre vous, le décompte des vacances a peut-être déjà commencé. Et pour les plus chanceux d’entre vous, vous êtes sans doute déjà en (bord de) mer. Alors, histoire de varier les plaisirs et de célébrer la fin des classes ou du travail toute proche, pourquoi pas un peu de diction ce dimanche ? Allez, zou ! Répétez après moi: Barre, Ber, Beer, Bord, Burent...
Tout débute sur un ber...
Le long d’une berge dans l’ombre de quelques réverbères. Une barge, une barquerole, une barque qui hiberne Gabare ou ramberte, embarcations que le quai héberge durant les mois barbares Et puis revient la saison de barboter Que ce soit de la Barbade au Bermudes, de Barcelone à Zanzibar Que les rêves soient ibères ou berbères, de Bergen au Subarctique Et enfin revient le moment de sur les flots se laisser bercer Et les marins embarquent pour de belles embardées Qu’ils se nomment Albert, Bernard, Bartholomé ou Robert, Berenice, Barbara, Gilbert, Norbert ou même Hubert Barbus, imberbes ou barbichés Bergers des mers, ils prennent le large en baroudeurs Peu importe le baromètre et les isobares De houle barbouillés, de pluie trempés ou d’algues emberlificotés Rien n'arrête leur barque. Rien ne leur fait barrage Le vent Schubert, les vagues Weber De Mare en Mer, de Mire en Moor(ing) De Ber en Barre, De Bord en Beer Et tout cela rarement en Bure... Faute d’un camembert bien débordant La baraka d’une barbue ou d’un beau bar Des berniques toutes grandes face au barracuda éberlué Ne reste plus qu’à le débarbouiller et de ses antres débarrasser Qu’ il soit bardé de barrettes bariolées ou barefeet Toujours, il a du gabarit pour débarquer Et dans la baraque à bar, suivront parfois bobards ou baragouin Aberrations, cabaret ou même libertinages Et sans s'embarrasser de baratin Suivront barils de Cabernet, Bordelais ou Bardolino Et pour les grands biberons, un Gevrey Chambertin Avant le lendemain de reprendre la barre...
© Photos – Rêvesdemarins
Sur ces quelques bords de dictionnaire, je vous souhaite un très agréable dimanche ensoleillé, en mer ou ailleurs.
Ca y est, je viens de le franchir ! Un cap bien avancé. Un demi-siècle de navigation. Me voici dans les Cinquantièmes Hurlants !
Et le navire gîte et brinqueballe pas mal... Les milles parcourus ont creusé leurs sillons sur ma peau, Le vent et la pluie se sont infiltrés jusque dans mes articulations, qui me le rappellent fréquemment. Le sel, le labeur, les inquiétudes et les nuits courtes ont blanchi ma chevelure et affaibli ma vue. Les millions de pas et les milles au loch quelque peu remodelé et fatigué mon corps. Les navigations précédentes n'ont pas vraiment été de tout repos depuis le 40e degré de latitude. Mais, le navire tient bon. Un peu moins svelte, un peu moins rapide, un peu plus prudent. Mais toujours volontaire et solide. Sans se désespérer, avec la même énergie et la même passion, il continue d'avancer, prêt à affronter les nouvelles tornades et les tempêtes à venir.
Jusque dans le trentième Parallèle
Une odyssée qui a débuté par des navigations simples, sans soucis, sans amertumes. Où il suffisait de se laisser emmener, de se laisser jouir des plaisirs des jeunes voyages. Des envolées sans violents orages, des abattées sans gros coups de vent. Des aventures joyeuses et emplies d'émerveillements. Des eaux où l’apprentissage fut roi. Des mers de découvertes surtout. De longues nuits étoilées sans sommeil, mais qu’importe. Les premiers bords à la barre. Les premières navigations de nuit. Les premières grandes traversées aussi.
Les navigations au 30e degré de latitude ont été des croisières de rêve dans des contrées généralement accueillantes ou relativement peu hostiles. Îles paradisiaques, palmiers, eaux turquoises, soleil, et juste assez de vent pour faire avancer le voilier à belle allure. Insouciance de la jeunesse mature, avec de splendides escales, rencontres et voyages inoubliables. Forme(s) physique(s) optimal(es), Bien-être et quiétude en prime. Et s'il a fallu travailler dur pour tenir à travers les vagues ou apprendre à manier le voilier suivant, les efforts en ont toujours valu la chandelle, Même s'il a fallu faire des choix de cap éprouvants parfois, j'ai tenu bon la barre.
Navigations avec skippers d'exceptions et équipages extraordinaires. Et sur des voiliers non seulement performants, mais aussi confortables et plus magnifiques les uns que les autres. Des folies et des grands bonheurs. Bref : un carnet de bord bien rempli de superbes souvenirs dont je ne regrette absolument rien.
Les Quarantièmes Rugissants
La navigation suivante, celle dans les quarantièmes rugissants, s'est avérée plus compliquée. Des vents violents, changeants. Des orages imprévus. Des avaries de bord. Des malades à bord. Des nuits blanches et un mal de mer persistant. Des trombes d’eau, des lames de fond et des brisants par nuits sans lune. Mais le navire a, à nouveau, résisté. Il a craqué, gémit, pleuré, cependant il est revenu à bon port avec son équipage. Et nous avons profité d’une brève relâche durant quelque temps.
Des circonstances de navigation ouvrant l’opportunité de diriger mon propre voilier (même s’il est tout petit). Une nouvelle aventure sur les mers sans autre capitaine que soi-même. Avec ses avantages et désagréments. L’autonomie de décider quels caps et quels ports rejoindre. La liberté de partir ou de rester. La latitude d’accepter ou de refuser des convoyages et leurs commissionnaires. La flexibilité de ses déplacements, de ses horaires permettant d'accommoder les besoins face aux humeurs de la météo. L’indépendance de ses discours, de ses pensées, de ses choix. Une autre manière de vivre. Un style de vie qui me convient. Et des explorations nouvelles, l’apprentissage d’autres techniques de navigation, des expéditions en terres inconnues. Une latitude pour oser, risquer, tenter l’inconnu. Ou encore réessayer les mêmes choses, mais différemment cette fois.
Les Cinquantièmes Hurlants
En vous souhaitant une navigation paisible, peu importe le parallèle dans lequel vous vous trouvez. Un excellent dimanche.
Cette semaine, j’étais censée vous écrire du Grand Nord et vous faire découvrir le monde merveilleux de l’archipel de Svalbard. Cependant, les aléas médicaux de la vie en ont voulu autrement et nos projets de cette année, dont notre navigation au Spitsbergen, sont tombés... à l’eau pour une durée indéterminée. Mais ce n’est que partie remise.
Alors, pas de chance pour ceux qui aiment la chaleur, nous allons tout de même nous transformer en glaçons, ce WE... Faute de vous faire frissonner au Grand Nord, pourquoi ne pas vous faire claquer des dents dans le Grand Sud à la place ? Je vous emmène ainsi, ce dimanche... dans le Dernier Continent : l’Antarctique.
Le Continent blanc
Quatorze millions de kilomètres de glace sans âme - humaine permanente du moins - qui vive. La région la plus méridionale de notre planète. Un continent entouré des océans Atlantique, Indien et Pacifique, et des mers de Ross et Weddell. Son intérieur constitue techniquement le plus grand désert au monde. Une région qui représente environ 70% des réserves d'eau douce disponible planétaire. Contrairement aux idées reçues, n'y vivent que des animaux marins. Donc, vous n'y trouverez, ni ours polaires, ni caribous (tout au plus quelques éléphants roses si vous abusez trop de la petite flasque pour vous y réchauffer... ).
Le continent est découvert en 1819 par le navigateur britannique William Smith. Au XIXe siècle, les navires viennent y chasser le phoque. Les explorations s'y succèderont. En 1897, le Belgica, une expédition scientifique belge commandée par Adrien de Gerlache de Gomery, y passera quinze mois dans les glaces, dont un hivernage complet. Elle sera suivie de bien d'autres, dont Amundsen, Cook ou encore Jean-Baptiste Charcot et son Pourquoi Pas. En 1914, l'expédition Endurance, commandée par Sir Ernest Shackelton, partira pour traverser l'Antarctique. Mais le navire sera pris dans les glaces et l'équipage forcé de revenir bredouille.
© Photos – Wikipedia
No Man's Land
La dernière Terra Nullius de la planète est un territoire neutre. Il n'a pas de gouvernement et est considéré comme "dépolitisé", contrairement à son opposé, l'Arctique.
En 1959 naît le Traité sur l'Antarctique, un traité donnant au continent un statut unique destiné à la science, aux actions pacifiques et à la protection de l'environnement. Les activités militaires et l'exploration des ressources minérales y sont interdites. Seules les opérations de recherche à caractère scientifique y sont autorisées : climatologie, océanologie, minéralogie, glaciologie, volcanologie, astronomie, biologie, physique, tectonique des plaques et bien d'autres encore... Le traité est illimité et renouvelable par tacite reconduction. Ce statut est considéré comme unique et innovant dans l'histoire du droit international. Considéré comme une réserve naturelle, le continent est protégé par diverses conventions sur la biodiversité et sur la restriction du tourisme. Malheureusement, comme partout sur notre planète, le tourisme y a pris un essort. Depuis 1957, y existent des "expéditions touristiques". Ces dernières y sont régulées par l'Association Internationale des Voyagistes Antarctiques (IAATO). Depuis dix ans, le nombre de touristes a dépassé les 44.000 par an. Un nombre bien plus large que celui des scientifiques y résidant pour les activités de recherches (4.000 en été contre 1.000 en hiver). Et quelque part, même strictement contrôlé, le tourisme représente un réel danger potentiel pour le continent austral.
Code vestimentaire : le Smoking
Ils sont, ou plutôt, étaient, des dizaines de milliers. Une mer mouvante de petits smokings noirs et blancs au noeud papillon jaune. Autrefois, leurs pas de danse nous semblaient quelque peu maladroits, sur une piste de danse glacée et immaculée. Avec leurs minuscules ailes et leur démarche dandinante et balancée. Cependant, aujourd'hui, leur piste de danse s'est réduite à une peau de chagrin... Leurs chances de survie aussi...
La colonie de Halley, dans la mer de Weddell en Antarctique, la seconde la plus importante de manchots empereurs, comptait alors plus de 25.000 couples. Mais depuis 2016, les conditions météorologiques de réchauffement ont causé une disparition en masse des poussins, la glace où ils étaient élevés ayant cédé ou partiellement disparu. Selon le British Antarctic Survey (BAS), leur cycle de reproduction a été ainsi bouleversé. Ce type de manchots semble particulièrement vulnérable au changement climatique et ses populations pourraient décliner jusqu'à 70% d'ici la fin du siècle.
Et si l'Antarctique constitue une des régions les plus lointaines et inhabitées de notre planète, sa faune n'échappe malheureusement pas non plus à la menace plastique... Les populations d'albatros ont, elles aussi, décliné ces dernières années. Leurs trois prédateurs principaux : les filets de pêche, les changements climatiques affectant la chaîne alimentaire et la pollution plastique des océans. Sans compter la surpêche et la disparition du krill, à la base de l'alimentation de la faune locale. Une fois de plus, l' homme n'y est clairement pas pour rien... Shame on us...
© Photos – Wikipedia & British Antarctic Survey
To explore or not to explore, that is the question...
Le paradoxe des recherches pour l'environnement avec leur impact sur ce dernier par la présence humaine... Ainsi, une autre menace, plus insidieuse encore, pour ce continent, représente le risque d'apport de corps étrangers par l'homme (bactéries, microbes, déchets, rejet des eaux usées, contamination des hydrocarbures et métaux lourds... ). Sans oublier les impacts sonores, visuels... Que dire des navires de croisière (même s'ils sont restreints et contrôlés strictement) qui passent dans la région et leurs détritus. Pire, un scénario catastrophe (un naufrage par exemple) souillerait toute une portion des océans proches et la faune y résidant. Même en prenant toutes les précautions, le tourisme ne peut qu'y amener des risques. Et j'avoue, je suis la première à rêver d'aller naviguer dans ces régions vierges.
Mais plus j'y pense, plus je crains d'arriver à une conclusion alarmante... Pour préserver les parties du monde encore intactes (ou presque), vaudrait-il alors mieux ne pas les explorer, pour leur laisser toutes les chances de survivre ? Conclusion déroutante lorsqu'on aime la nature et souhaite voir le monde pour la découvrir. Les images des tonnes de déchets ramassés au Tibet et des embouteillages d'alpinistes encordés au sommet du monde m'ont particulièrement choquée. Serions-nous devenus inconscients à ce point? Faut-il cesser de voyager et d'explorer le monde pour le sauver ? Question existentielle. Dès lors, lorsque le choix est finalement de tout de même aller explorer ces régions, la sélection de l'organisation avec laquelle partir devient tout d'un coup un choix primordial. Pas d'agences touristiques déguisées en pseudo organisations environnementales ou explorations scientifiques. Et en aucun cas une croisière touristique dans un mega-paquebot. Partir en voilier alors ? Pas évident en Antarctique ou des dans les régions lointaines du globe... To explore or not to explore, that is the question...
Mon Dernier Continent
Ce WE célèbrait la journée mondiale des océans, une des 365... Chaque jour ne compte-il pas vers un avenir durable, à travers nos habitudes de vie ou encore... nos choix de voyages ?
Je vous souhaite un excellent dimanche de lecture. Qu'il soit un peu plus chaud qu'en Antarctique (mais juste pas trop :-). Et bonne fête à tous les papas (à commencer par le mien ! )
Je retombe sur de vieilles photographies noir et blanc de mes grands-parents. Et plus en particulier de mon grand-père en uniforme d'officier. Impossible d'oublier ceux-là qui ont pris la mer un jour, pour venir à notre secours, nous des inconnus de l'autre côté de l'eau. Et puis, surtout, l'immense gratitude que le Destin à cette époque, ait préservé ma famille. Alors, pourquoi pas un billet pour que l'histoire change et que l'avenir soit plus serein, plus bleu, plus couleur du Paficique.
“Mon doux, mon tendre...
Tu es parti au front... Voici des mois et des années que tu es parti dans ce pays qui n’est pas le tien. Pour te battre contre un ennemi lointain des hommes et pourtant si proche de toi, avec des armes que tu n’as pas choisies, même si tu as accepté de les porter. Sous les ordres de généraux au bel uniforme immaculé bardés de décorations, inconnus au bataillon et que tu n'entrevois que rarement sur le champ de bataille. De tes tranchées, de ton navire précaire, tu ne sens que la pluie, le vent, le froid, le gel, la boue, la désolation et la souffrance. Jour après jour. Je t’écris. Chaque jour. Inlassablement. Dans ma tête, dans mon cœur. Et mes lettres ne semblent jamais t’atteindre. Ou tu ne les lis pas. Par peur de savoir que tu ne pourras jamais revenir vers moi. Par manque de temps, par manque de moi, qui sait... Par besoin de te protéger, par besoin de ne pas gaspiller ta précieuse énergie à lutter pour ta vie à chaque instant. “
© Photos - www.virginielimbourg.be
(...) Blessent mon cœur d’une langueur monotone... (....) (Chanson d’Automne, Paul Verlaine)
Il y a quasi trois quarts de siècle, notre monde a été préservé grâce à l’effort de ces locaux, ces étrangers, ces civils et ces professionnels. Ces jeunes, ces vieux, ces parents, ces jeunes adultes. La folie destructrice de quelques uns face à la volonté réunificatrice d’autres. Oui, je compte des G. I. dans ma famille, venus de l’autre côté de l’océan en Europe, sans hésitation pour se battre pour la paix mondiale. Certains ont découvert l’amour de leur vie en Europe... Et depuis ma famille compte une branche américaine - très attachée à ses origines européennes - et dont je suis heureuse. Il y a presque 75 ans, plus de 156.000 hommes traversaient l’Altlantique pour rejoindre les côtes normandes dans ce but. Une entière génération de jeunes Canadiens, entre autres, a pris la mer pour mener un combat qui n’était ni le leur, ni destiné à leur propre patrie, mais pour la paix universelle et contre la folie destructrice du durcissement populiste et du national-socialisme. Et nous ne pouvons que leur en être reconnaissants.
Oui, j’ai personnellement vécu en Allemagne et y compte des vrais amis malgré son histoire malheureuse d’un mouvement radical. Oui, les hommes commettent des graves fautes, mais je crois en leur capacité d’en apprendre les erreurs et les risques pour l’avenir. Et je refuse de cesser de croire en l’humanité.
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Marée noire
Il y a deux sujets qui perdent fréquemment mon attention dans l’actualité : le sport (à l’exception de la voile, bien évidemment et quelques rares autres disciplines) et... la politique. Si ce dernier sujet me désespère souvent par ses jeux de pouvoir, il demeure certainement important à mes yeux par intérêt sociétaire.
« Elle s’avance. Peu à peu. Au départ à peine visible. Juste quelques taches éparses ici et le long des bords. Un reflet huilé à peine. »
Le Bleu : ma couleur de l’espoir... Rien à voir avec celle d’un parti ou d’une idéologie dans ce billet. Mais tout simplement celle de mon espoir personnel : celui que les hommes retrouvent la mémoire du passé, de leurs erreurs, des guerres passées, de leurs bonheurs. La mémoire de notre richesse culturelle, de notre diversité.
Mes amours, mes amis, mes parents, ma famille sont la preuve même de cette diversité. Qu’ils soient originaires des Ardennes, de Flandre, de Bruxelles ou des cantons de l’Est. Qu‘ils soient d’ici ou d’ailleurs où le drapeau porte d’autres couleurs et la langue est diverse. Que leur peau soit rose, noire, caramel ou jaune. Qu’ils prient Vishnu, célèbrent Pâques, respectent le Sabbat ou le Ramadan ou vénèrent Buddha. Que leurs avis soient bleus, verts, rouges, oranges ou blancs. Peu m’importe s’ils traitent les autres avec respect, ouverture, empathie, gentillesse et générosité. Je ne souhaite que la tolérance et la paix.
Les dernières instigations politiques mondiales et dans mon propre pays m’inquiètent. Cette "marée noire" grandissante et rampante, me préoccupe. Si j’ai eu du mal à trouver un parti idéal pour lequel choisir (car nombre d’entre eux comptent des sujets qui me touchent), je ne peux me résoudre à accepter le scrutin final qui divise la nation que j’aime. J’aime mon pays. Mais je me sens citoyenne du monde. Le régionalisme, le nationalisme, le racisme, l ‘égo-centrisme. Je ne peux me résoudre à réduire mon monde à une minorité, à quelques centaines de kilomètres carrés. Je ne peux me résoudre à accepter des idées radicales. Je ne peux me résoudre à jouer la carte du moi avant tout, du populisme et du protectionnisme. Dans mon métier, les relations sociales jouent un rôle important. Mais, oh combien trop souvent à mon goût le signe d’un repli sur soi, d’une exclusion des autres et d’un oubli de l’objectivité et du réalisme. On ne peut rien sans les autres. On ne peut rien sans faire de sacrifices. On ne peut rien sans tolérance. Et surtout... On n'a pas le droit d'oublier les leçons du passé. Et les résultats des dernières élections semblent avoir fait table rase de notre mémoire...
La marée noire débute toujours par quelques gouttes, quelques flaques, discrètes et imperceptibles. Mais, une fois la mer contaminée, elle ne peut plus se défendre. Et sa lente contagion se poursuit, insidieusement, irrémédiablement.
Pour que le sacrifice de ces milliers de jeunes soldats ou victimes de la guerre n’ait pas été en vain... Pour que nous puissions encore nous regarder dans le miroir sans honte. Pour que ce monde n’ait pas évolué vers sa décadence... J’espère de tout cœur que notre petit monde va se décider à faire demi tour dans son égoïsme et reprendre conscience que nous ne sommes rien sans les autres... Même si la vie commune, dans une société demande, elle aussi de nombreuses concessions. Le divorce est une option devenue trop facile. Je la refuse car tout couple a droit à plusieurs chances malgré ses crises. Et j'y crois profondément.
Sur ces quelques réflexions, je vous invite à découvrir le travail d'une merveilleuse photographe, dont l'oeuvre se consacre à la défense et la découverte de causes profondément humaines : www.virginielimbourg.be. Et je vous souhaite un excellent dimanche, empli de tolérance et d‘ouverture.
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August 2023
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