Que diriez-vous d'un billet hommage aux premiers journalistes marins ?
(Extrait de mon article dans le magazine Yachting Sud nr 970). « Je verrai de mes yeux les merveilles et les terreurs de l’océan. »
Depuis la nuit des temps, les hommes n’ont eu de cesse de narrer et de transcrire leurs épopées. En mer ou ailleurs, poussés par un besoin pressant de coucher sur le papier leurs aventures et leurs vicissitudes, les chroniqueurs de bord ont légué à l’histoire les faits, les récits et les états d’âme des plus grands voyageurs de notre monde, à travers les siècles.
Journal de circumnavigation
Nous sommes en septembre 1519 et l’équipage du Portugais Ferdinand de Magellan s’apprête à larguer les amarres pour un voyage autour du globe qui marquera un nouveau cap dans la navigation. A bord de la Trinidad, Antonio Pigafetta, un savant vénitien, range soigneusement ses plumes et ses carnets dans le petit coffre de bois, dans un coin de la bannette sombre et humide. Il réalise bien peu alors le fabuleux héritage qu’il léguera à l’univers, à travers les futurs écrits de son journal de bord. On ne sait que peu de choses de Pigafetta, mais sans ses chroniques, les nouvelles du premier voyage autour du monde ne nous seraient jamais parvenues. Il compila des journaux de bord très détaillés, agrémentés de cartes illustrées tout au long du parcours. Il y relate les affres des diverses étapes ainsi que les réussites de l’exploration : mutineries, cannibalisme, scorbut, noyades, tempêtes, famine poussant les hommes à déguster des rats ou de la sciure de bois. Il consigne dans ses notes des descriptifs des phénomènes astronomiques (les nuages de Magellan, deux galaxies visibles). Il y conte également la découverte des îles aux épices, les rencontres avec des peuplades étonnantes telles que les « géants patagons », et le passage vers l’Atlantique, parfois avec une certaine fantaisie en transcrivant les récits de voyageurs ou d’indigènes. Sur les 260 membres d’équipage et les cinq vaisseaux affrétés, un seul en reviendra avec dix-huit hommes, dont Pigafetta, Magellan lui-même faisant partie des victimes qui ne revirent jamais leur port d’attache.
Le travail de chroniqueur de Pigafetta ne fut pas reconnu à l’époque par les divers monarques à qui il les présenta à son retour. Et notre journaliste de l’époque ne reçut qu’une bien maigre compensation pour ses manuscrits. Si Pigafetta ne verra jamais son ouvrage imprimé, quatre de ses versions manuscrites ont néanmoins traversé les siècles et les océans pour nous régaler aujourd’hui de leurs récits fantastiques.
© Photos – Carnets de marins, Huw Lewis-Jones, éditions Paulsen 2019
Carnets de stratèges
© Photos – Carnets de marins, Huw Lewis-Jones, éditions Paulsen 2019
Peintres à bord
« Sa peau, dépourvue d’écailles, avait la texture du cuir et la couleur grise du plomb… »
Si au départ, les carnets nautiques ont une vocation pratique, logistique, voire légale (l’annotation des coordonnées, événements de bord et positions du navire… ), certains calepins de bord se révèlent souvent de petites œuvres d’art. Leurs auteurs maniaient le crayon et le pinceau avec brio : atlas, cartes célestes, bestiaires, anthologies zoologiques. Pour n’en citer que quelques uns : les cartes de Tupaia rédigées pour James Cook sur le HMS Endeavour en Nouvelle-Zélande ou encore les recueils de dessins d’Erik Hesselberg sur le Kon-Tiki, réalisés dans les îles polynésiennes.
© Photos – Carnets de marins, Huw Lewis-Jones, éditions Paulsen 2019
Une plume pour la science
© Photos – Carnets de marins, Huw Lewis-Jones, éditions Paulsen 2019
Ecrire pour survivre
Certains carnets de bord furent griffonnés sur un bout de papier chiffonné au fond d’une cale, dans une mer en furie. D’autres tinrent dans de petits calepins remplis entre deux quarts par des matelots pour prévenir le sommeil. D’autres encore prirent la forme de tableaux de maîtres-peintres, d’encyclopédies ou même de journaux intimes.
Tout événement consigné dans un journal de bord, même minime, est important dans la vie des marins, et transmettra des connaissances et des récits de voyages à travers les époques. Tous ces chroniqueurs marins, petits ou grands, célèbres ou méconnus, ont façonné l’histoire à leur manière. Chaque navigation mérite son écriture et chaque homme de mer mérite d’en faire la lecture. A vos carnets et crayons ! Un excellent dimanche à tous.
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Après une navigation de presqu'un an dans la Baltique, il est enfin de retour. De retour à son port d'attache. Là où il vit le jour, sombrit puis renaquit... Je vous emmène à bord du plus grand trois-mâts en bois au monde, ce week-end : le magnifique Götheborg de Suède.
Naufrage
En 1738, la Compagnie suédoise des Indes orientales ordonne la construction du plus grand navire de commerce en bois. La Suède rejoint ainsi les autres grandes nations navales de l'époque, à savoir le Portugal, les Pays-Bas et l'Angleterre. Contrairement à de nombreuses autres compagnies des Indes orientales, la Compagnie suédoise est une entreprise purement commerciale et n'a aucune mission de colonisation. Le navire opère ainsi de nombreux voyages vers la Chine.
Sept ans plus tard, le géant des mers heurte un rocher à seulement 900 mètres de son anneau et fait naufrage au large de son port d'attache, de retour de son troisième voyage en Chine. Les 144 membres d'équipage en réchappent indemnes. Son épave demeurera au fond des eaux nordiques jusqu'en 1984, où des chercheurs le renfloueront. C'est alors que naît la folle idée de sa reconstruction.
© Photos – Gotheborg.se
Renaissance
Le navire a été reconstruit en utilisant des techniques anciennes et traditionnelles pour le rendre aussi proche que possible de son ancêtre. La hauteur libre du pont a été augmentée de 10 cm, puisque les marins d'aujourd'hui sont plus grands que leurs ancêtres. Et, alors que l'extérieur reste fidèle à l'original, l'intérieur, par contre, est très moderne avec un système électrique et d'hélices alimentées par des moteurs diesel ainsi que tout le confort et les dispositfs de navigation et de sécurité nécessaires aux réglementations actuelles.
Une voilure impressionnante : 26 voiles pour une superficie totale de 1,964 m². Pas moins de vingt tonnes de gréement. A son bord, un équipage digne de son aïeul: capitaine, second, médecin de bord, charpentiers, maître-voilier, cuisiniers, maître d'équipage, quartier-maître, pilote, chef ingénieur et tant d'autres. En 2005, sa réplique est fin prête à reprendre la mer, après plus de deux siècles de relâche.
© Photos – Gotheborg.se
Depuis lors, la nouvelle merveille navale a navigué les sept mers et fait escale dans des ports historiques pour n'en citer que quelques uns : Cadiz, Recife, Cape Town, Port Elisabeth, Fremantle, Jakarta, Canton, Shangaï, Hong Kong, Singapour, Chennai, Djibouti, Alexandrie, Nice, Londres, Oslo, Helsinki, Helsingborg ou encore Malte...
Son tour européen de 2023, a emmené le Götheborg dans les ports de Sète, Gibraltar, Jersey, Rotterdam et Hambourg. Hier, le navire est enfin rentré dans son port d'attache, Götheborg, pour ouvrir la célébration du jubilé des 400 ans de la ville de Götheborg, avec une salve impressionnante de canons. Si l'envie vous titille d'en apprendre plus sur ce magnifique navire, jetez-donc un coup d'oeil à www.gotheborg.se.
Pan Pan
En avril de cette année, c'est à la grande surprise de l'équipage du Corto, un voilier de 8 mètres, que le plus grand cargo à voile en bois du monde (50 mètres... ) est venu à son secours après un appel de détresse au large des côtes françaises. Le petit voilier avait perdu son gouvernail en mer. Durant quelques instants, son équipage s'est tout simplement demandé s'ils ne rêvaient pas, où s'ils avaient voyagé dans le temps en voyant arriver à l'horizon un trois-mâts marchand du XVIIIe siècle toutes voiles dehors à leur rescousse. En route pour Jersey, étant le navire le plus proche du voilier, le navire de la Compagnie des Indes orientales a répondu à l'appel. Le Corto a été remorqué dans le sillage du Götheborg, suivi le lendemain par un bateau de recherche et de sauvetage français du port de Paimpol. Durant tout ce temps, le géant historique est resté auprès des deux rescapés en attendant les secours français, les appelant toutes les heures.
© Photos – David Moeneclaey
"A 15h30, nous étions en mer, à plus de 50 milles nautiques des côtes, lorsque notre safran a cassé. Après avoir envoyé un appel Pan-Pan sur la radio VHF, le trois-mâts Götheborg a rapidement répondu à notre appel en nous proposant de nous remorquer jusqu'à Paimpol. Nous étions perplexes face à la différence de taille entre nos deux bateaux (...). Le Götheborg s'est approché très près de nous pour lancer la ligne et passer une grosse corde. Le mouillage s'est bien passé, et nos destins ont été liés pendant de très longues heures, pendant lesquelles nous avons partagé la même fréquence radio pour communiquer entre nous (...). "
Une épopée qui incarne les valeurs les plus nobles de la mer et de la solidarité entre marins, peu importe leur rang, ou leur taille...
Un tout beau dimanche ensoleillé à tous. Et un très bel anniversaire à mon petit neveu qui habite... Götheborg et verra peut-être ce joli bateau (petit chançard, va ;-)).
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AuteurArchives
August 2023
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