Une large barbe blanche. Des cheveux parsemés d’argent, animés de boucles rebelles. Des yeux clairs, vifs. Un regard qui pénètre. Un physique imposant. Une redingote sombre. Un gilet couleur d’ardoise. Sur sa chemise immaculée, un fier nœud papillon.
Jules regarde par la fenêtre. Le vent s’est levé sur la petite ville du Crotoy. Sur la table près de la fenêtre à croisillons, une lampe à huile et des plumes à écrire. Un manuscrit de pages jaunies gît ouvert sur le bois foncé. Quelques lignes imprimées à l’encre noire, garnies de ratures. La bise du soir qui tombe mugit contre les volets de chêne. Comme une plainte, une lamentation qui n’en finit pas. Il repense à sa ville natale, Nantes et son port où il a passé sa tendre enfance. L’eau, les rivières et la mer font partie de lui. Il a fait l’acquisition d’un petit navire – le Saint Michel, avec lequel il va faire des tours d’Europe. Au loin, l’homme peut imaginer le murmure de l’eau qui se retire doucement de la baie sous le soleil couchant. Le jusant… Fort et insaisissable à cet endroit. L’eau. Un élément qui l’attire et l’intrigue. Une force de la nature renfermant des trésors et des dangers indescriptibles. Et si… Pas si indescriptibles que cela, se dit l’homme. Et il se remet à sa table. L’inspiration arrive. Soudain, elle coule à flots. Elle le submerge. Et les pages jaunies se remplissent soudain avec la rapidité d’un torrent qui dévale une montagne. Jules vient d’entamer l’écriture du second volume de ses « Voyages Extraordinaires », débuté six années plus tôt. Les aventures du Capitaine Nemo et de son sous-marin deviendront une des plus grands références littéraires de romans d’aventure.
A la Recherche de Nemo
La presse regorge de récits quant à un monstre marin géant à la force titanesque qui aurait causé une série de naufrages dans plusieurs mers du globe. Une grande chasse est alors organisée pour débarasser les océans de cette créature monstrueuse. Un navire américain – l’Abraham Lincoln - est affrété pour se mettre en expédition. Après des mois de recherches et une collision frontale entre le navire et le monstre, quelques marins sont projetés par-dessus bord et faits prisonniers du monstre, qui n’est en réalité qu’un sous-marin en acier – le Nautilus, dirigé par un capitaine pas comme les autres : Nemo.
Nemo en veut à la planète toute entière. Il a choisi le monde sous-marin pour nouvelle patrie. Il emmène les prisonniers découvrir son monde. Ils partent ainsi à la rencontre de merveilles englouties au fond de l’océan et de créatures de cauchemar, telles que des calmars géants (qui sait, la progéniture du fameux « Kraken » ? ). "Ce ne sont pas de nouveaux continents qu'il faut à la terre, mais de nouveaux hommes ! " (Vingt Mille Lieues sous les Mers, Jules Verne, 1870)
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Visionnaire
S'il était visionnaire sur les découvertes scientifiques qui allaient révolutionner le monde des années plus tard, Jules l'était également en ce qui concerne l'environnement et les terribles dangers qui le guetteraient à notre époque... J'aimerais qu'il se soit trompé à ce propos... Hélas...
"Cependant, le capitaine avait raison. L'acharnement barbare et inconsidéré des pêcheurs fera disparaître un jour la dernière baleine de l'Océan. " (Vingt Mille Lieues sous les Mers, Jules Verne, 1870)
Le Jusant
Le soleil brille au bord de l’horizon. Il fait scintiller le sable à marée basse. Durant la journée, cette immense plage se transforme en mer où bateaux de pêche et amoureux des vagues se baladent gaiement. Un peu comme le Mont St Michel, la baie du Crotoy change de paysage deux fois par jour, totalement. On se croirait à un autre endroit. Les marées sont puissantes et envahissent toute la superficie qui borde les maisons aux couleurs et parfums de mer. Même les prés où broutent tranquillement les moutons ont ici un goût de sel. L'océan n'est pas loin... L'endroit parfait pour l'inspiration d'un roman sur la mer.
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"Marin" rime avec "Train" à Saint-Valéry
Un peu plus loin dans la baie : Saint-Valéry sur Somme. Une charmante bourgade médiévale. La pucelle de Rouens y aurait été emprisonnée brièvement. L'idéal pour y bourlinguer un dimanche matin ensoleillé le long de l'eau. Malgré ses touristes, l'endroit y reste attrayant. Le train à vapeur qui relie les ports de la baie semble tout droit sortir d'un roman de Jules... Les ruelles colorées y portent la marque de la mer. Aucun portique sans son caractère nautique. Tout pour me plaire...
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Envole-Moi
Enfin, Le Crotoy, c'est aussi la première école de pilotage au monde. Un peu comme pour faire hommage à Jules... En 1910, les frères Gaston et René Caudron se lancent comme pionniers de l'aviation et créent la première école de vol avec des traversées Le Crotoy - Le Touquet. Ils sont également à l'origine du premier hydravion.
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C’est ce WE l’anniversaire d’une amie chère, américaine vivant en France, qui m’a fait découvrir l’année passée ce très bel endroit de baie de Somme qu’est Le Crotoy et sa région. Alors, ce billet est pour toi, chère D.
Je vous souhaite tous un excellent dimanche. Et peut-être l’occasion de planifier un voyage dans la région où Jules a écrit ce merveilleux roman, ou encore de lire (ou de relire) cet ouvrage très en avance sur son temps.
2 Comments
Qui dit voyage, dit...
Puisque dans des billets précédents, je vous avais déjà entretenu des Chaussettes du Doge de Venise, ainsi que de ces pauvres socquettes disparaissant dans le triangle des Bermudas, jamais deux sans trois... Alors, c'est parti pour un troisième billet insolite sur la lessive !
A bord d'un navire, un des défis de toute navigation au plus ou moins long cours consiste à conserver quelques tissus relativement secs. Alors, toute pétole ou moments où le voilier ne file pas trop vite sur les flots est propice à transformer les filières, drisses, haubans ou bôme en fils à linge. Dans mon sac de voile, je mets donc immanquablement, des crochets sur ventouse et ... des pinces à linge.
Un retour de voyages, et surtout d'un séjour de voile, implique, de même, irrémédiablement quelques bonnes mannes de linge sale à processer, surtout si les tissus ont fait ménage à trois avec l'eau de mer ou le sel marin ambiant durant une plus ou moins longue période. Rien de plus désagréable que de devoir rentrer dans des vêtements (même propres) bien imbibés d'humidité. Et hop ! Alors, tout vole dans la lessive. Peut-être pas très écologique, mais en tout cas très ergonomique ! Que dire si votre hobby est le vélo tout terrain ou le moto-cross... Et je ne parle même pas des familles nombreuses, où la machine à laver et le fer à repasser tournent en continu... Une industrie du linge à elle toute seule.
La Petite (made) laine de Proust
Aah, le souvenir du linge séché dehors, même en hiver. Un parfum de linge frais. Les grands draps de lit propres qu'on pliait à bout de bras ou en montant sur une chaise (en tant qu'enfant et même encore aujourd'hui, ma taille n'ayant pas énormément changé ! ). Une époque où les séchoirs automatiques n'existaient pas ou très peu et où les draps de bain râpaient la peau après avoir séché au gré du vent (d'accord, ceux sortant du tonneau adoucissant sont bien plus doux, mais c'est bien moins poétique... ). En plus d'être une maniaque de la propreté, l'odeur du linge propre a cet effet envirant sur moi. Je me laisse souvent emporter par les effluves de cette suave drogue.
La Piste des Pinces à Linge
Suivre la piste des pinces à linge, c'est aussi partir à la découverte de la véritable nature d'un pays inconnu. Quoi de plus charmant qu'une ville où les rues sont décorées de centaines d'oriflammes colorés de chemises, culottes, chaussettes ou draps entre les maisons de ruelles étroites. Là où son coeur bat. Là où les gens vivent. Les quartiers non commerciaux. Les fils à pendre le linge entre deux maisons que l'on fait coulisser pour récupérer ses vêtements. Là où les touristes ne vont pas. Là où l'argent ne coule pas à flots. Simplement la ville telle qu'elle est. Après les visites aux grands monuments, sites ou musées, quoi de plus pittoresque que de découvrir un endroit loin des sentiers battus, s'enfoncer dans les ruelles (et s'y perdre ! ) pour s'y retrouver face à la réalité de la vie de tous les jours.
© Photos - Rêvesdemarins
Dis-moi ce que tu fais sécher et je te dirai qui tu es...
Si certains exhibent leurs dessous affriolants au bout d'une pince à linge, d'autres mettent leurs filets de pêche se réchauffer au soleil. A chacun son style et ses priorités de séchage... Dans tous les cas, un fil à linge demeure un objet très révélateur. Il divulgue toute une vie, un niveau social, un métier, un style, un portefeuille, des goûts particuliers ou confesse même une nature secrète haut et en couleurs. Alors, soyons fous et fiers de ce que nos pinces à linges retiennent !
Que vous ayez déjà fait votre lessive ou pas encore ce WE (et si c'est non, rassurez-vous, ce billet ne vous passera pas un savon), je vous souhaite un excellent dimanche, qui fleure bon le linge propre !
Les mois passent et les billets ne se ressemblent pas (pas trop, du moins, je l’espère). Le temps s’écoule, comme du sable entre nos doigts.
Dans un billet précédent, je vous disais que le temps prend souvent une toute autre dimension en mer. En réalité, sur terre, il peut parfois aussi revêtir d'autres proportions... Un exemple dans ce billet.
A la Recherche du Temps Perdu...
Je sors d’une période de huit longues semaines de travail d’arrache-pied pour un client, où j’ai fini par perdre la notion du temps, ne voyant plus de différence entre les heures du petit matin, de la nuit, des jours de semaine, fériés ou du week-end. Les jours se ressemblant tous devant un écran de pc ou les yeux rivés dans un dossier. Je viens enfin d’émerger ce WE, ce projet professionnel arrivant à sa fin. Pas de réveil demain matin. Pas de repas pris en toute hâte. Pas de nuits sérieusement écourtées. Pas de délai de folie ni course contre le temps pour délivrer selon les attentes élevées du donneur d’ouvrage. C’est naturellement un choix d’accepter ou non ce genre de mission et ses contraintes horaires déraisonnables. Et quelque part, j’avoue que le défi d’y parvenir en ce temps record imposé a titillé mon intérêt pour prendre le risque de m’y lancer. Il est toujours satisfaisant de réussir une épreuve requérant un dépassement de soi et de parvenir à la relever. Durant toute cette période, on fonctionne à l’adrénaline. Le corps et l’esprit tiennent étonnamment bien par rapport aux sacrifices que le jeu leur impose. Un peu comme (mais en bien moins extrême ! ) les coureurs de la Route du Rhum en cet instant face aux tempêtes consécutives qui les assaillent sur la route (on les encourage à tenir bon la barre). On ne pense qu’à l’arrivée, concentré, dans sa bulle. Et chaque minute compte alors. Merci à vous qui m'avez soutenue (et surtout supportée ! ) durant cette période très intense.
Cependant, dans ce cas particulier personnel, il ne s’agit là que de boulot... Et même si l’on aime ce que l’on fait, ce n’est là qu’un type de métier dont l’occupation remplit de nombreuses heures, utilement. Rien dont le monde se souviendra, ni qui changera drastiquement la vie des gens. Rien qui ne sauvera le monde, ne figurera au Guiness Book des records, ne mènera à un prix Nobel, à un nom sur une stèle ou même qui ne vaudra une dédicace dans l’introduction d’un livre. Alors, à la recherche du temps perdu ? Me direz-vous ? Pas vraiment. Plutôt du temps passé. Et surtout la conscience plus vive après coup, des sujets qui comptent vraiment. Les retrouvailles avec l’essence des choses : prendre le temps d’une conversation, d’une caresse, d’un regard. Prendre le temps d’admirer et de redécouvrir la beauté simple, celle de la nature, des couleurs, de la lumière, du bruit du vent, de la présence des êtres aimés, de savourer des instants de repos, de se sentir vivant... Bref, cette fameuse « perte » temporaire du temps et de sa notion par l’hyper-activité rend la perception du réel encore bien plus belle après l’effort.
Alors, pour ceux qui ne comprennent pas tel mode de fonctionnement, qui ne voient là que journées au remplissage frénétique, ne vous fiez pas aux apparences... Tant que l’on garde le contrôle de ses choix et surtout qu’on les assume avec satisfaction pour retrouver ensuite le goût du calme et des vraies valeurs de vie, à mon sens, on peut brûler - temporairement - la chandelle par les deux bouts. Tout l’art réside à garder conscience de consacrer les précieuses minutes du sable qui s’écoule à des choses qui nous donnent de l’énergie positive au lieu de nous en coûter. Et de pouvoir quelque peu arrêter le temps lorsqu’on en a assez des rythmes effrénés. Et puis surtout... profiter de chaque instant !
© Photos - Rêvesdemarins (ce que j’ai redécouvert lorsque j’ai émergé de ma « recherche du temps perdu »... )
L’Urgence de Vivre
A l’inverse, prendre conscience du temps qui file, c’est aussi celle de l’urgence de vivre. Ne plus attendre le meilleur moment, le meilleur jour, le meilleur endroit. Ne plus attendre indéfiniment d’être prêt, de ne plus avoir peur, de rencontrer l’idéal, de rassembler les meilleures conditions pour réaliser les choses qui nous tiennent à cœur. Ne plus attendre de trouver les meilleurs mots pour dire les choses cruciales à ceux qui comptent vraiment. Ne plus attendre que le meilleur vienne plus tard. Le meilleur est ici et maintenant... Savoir saisir sa chance. Savoir saisir le présent.
Cette semaine, durant ma journée de travail à l’hôpital, j’ai revu un patient que je n’avais plus rencontré depuis de longs mois. Lors de notre dernière discussion, il allait bien, le traitement anti-cancéreux fonctionnait avec succès et il était bourré d’énergie pour poursuivre ses activités professionnelles durant sa maladie. Cette semaine, c’est un autre homme que j’ai ainsi retrouvé... Après m'avoir dit être ravi de me revoir, il m’annonce posément que la tendance s'est malheureusement inversée, avec des pronostics de futur à très court terme. Et qu’il a donc décidé d'arrêter son travail pour enfin réaliser son rêve d’enfance avant qu'il ne soit trop tard : construire un réseau de trains électriques. Il se consacre donc entièrement à son projet et tout le reste ne semble plus avoir d'importance pour lui. Il n’est jamais trop tard pour poursuivre ses rêves, même aussi brièvement ne puissent-ils durer. Et je ne peux que comprendre sa philosophie face à la situation. Je saisis à présent un peu mieux pourquoi ceux dans une situation similaire peuvent nous sembler centrés sur eux-mêmes ou même égoïstes. En réalité, ils sont simplement avides de saisir le temps là et tant qu’il se laisse encore retenir. Ils concentrent toute leur énergie à capter les grains de sable avant qu’ils ne soient tous écoulés dans le sablier. Et pour ce faire, ils n'ont pas beaucoup d'autres options que de faire des choix dans leurs priorités. On ne peut pas leur en vouloir pour cela. A la recherche du temps qu'il reste...
St Malo... La ville de la voile par excellence... Je rêve d'y retourner au moment des grandes marées... Ou pour le départ d'une course à la voile mythique... Alors, comme tous ces magazines qui débordent dernièrement d’articles sur le sujet, ce WE je pourrais, à mon tour, vous raconter...
La Longue Route
Alors, quelle route choisir ? Celle du Nord ? Et rapidement traverser la grande flaque via le Sud de l’Irlande ? Ou descendre par le Sud et bifurquer vers l’Ouest via les Açores ? Ou encore un autre itinéraire ? Peu importe. On leur souhaite tous Bon Vent !
Tous les Chemins mènent au Rhum...
D’ailleurs, tout bien réfléchi, les voileux Rhumiens n'ont finalement pas l'exclusivité de cette traversée : cette route-là avait déjà été parcourue il y a des siècles par notre cher compatriote Archibald Haddock et son illustre ancêtre chevalier, capitaine du vaisseau La Licorne !
© Photos - Moulinsart
Je vous laisse donc suivre cette édition de la Route du Rhum à travers votre écran, ou en direct de la cité malouine pour les plus chanceux d’entre vous (je vous envie ! ), avec, qui sait, un bon verre de circonstance. Un excellent dimanche à tous.
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March 2023
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