"La science est le capitaine, la pratique est le marin... "
Il y a tout juste cinq siècles cette année qu’un homme marquait la Renaissance de son génie visionnaire. Un oracle pas comme les autres…
Homo Universalis
Né Florentin en avril 1452, Leonardo va compter parmi ces quelques hommes d’exception qui, à leur manière, transformeront le monde du savoir. Un polymathe, un homme qui s’intéresse au monde. Tout comme les hommes de mer, il s’est intéressé puis a acquis une connaissance approfondie d’un nombre impressionnant de domaines divers : sciences, mathématiques, ingénierie, anatomie, astronomie, géométrie, littérature, poésie, philosophie, géologie, géographie, peinture, histoire, botanique, architecture, paléontologie et bien d’autres encore.
On estime à pas moins de 13.000 pages les notes et les dessins (*) de la main du génie italien, répertoriés dans divers manuscrits et traités tels que les Codex Atlanticus, Leicester, Arundel, Ashburnham, Trivulzianus ou de Madrid, ainsi que dans une dizaine de carnets manuscrits. Au fil des siècles, des jeux de pouvoir et des détours politiques, ses œuvres ont parcouru la planète, pour finir aux mains de grandes institutions, de musées ou de mécènes : des Bibliothèques Royale de Turin ou Ambroisienne de Milan, de l’Institut de France ou de la Galerie de l’Académie de Venise en passant par la British Library, jusqu’à la collection privée de la Reine Elizabeth II d’Angleterre ou celle de Bill Gates. Pour l’historiette, le magnat américain des affaires acquerra en 1994 le Codex Leicester pour la modique somme de 30.800.000 US$. Probablement le livre le plus cher au monde… Les ouvrages de Leonardo deviendront universellement renommés. Le savant toscan révolutionnera ainsi le monde des sciences et des arts. (*) Pour l’anecdote, Leonardo Da Vinci était gaucher et son écriture était inversée, phonétique et sans ponctuation. Elle se lisait donc de droite à gauche. Cette particularité typographique explique probablement en partie la raison pour laquelle ses carnets n’ont réellement été étudiés qu’à la fin du XVIIIe siècle, présentant quelque défi décourageant ses lecteurs. A moins qu’il ne s’agisse d’un code secret involontaire du grand maître…
(© Images - Royal Collection Trust/ Sa Majesté la reine Elizabeth II) - Bibliothèque Ambroisienne de Milan - Bibliothèque de l’Institut de France)
Le Génie Oublié de l’Eau
Parmi les inventions et les études de Leonardo, notre monde a quelque peu négligé ses découvertes en matière d’hydrodynamique, de cartographie ainsi que de techniques portuaires et navales. Toute une série de ces dernières n’ayant jamais été publiées, elles n’ont eu que peu d’influence sur l’évolution ultérieure des sciences et seront larguées dans les tréfonds de la mémoire collective.
Dans son Codex Atlanticus (1480 - 1482), Leonardo révèle ainsi une série de technique hydrauliques : vis et roues à eau pour l’irrigation, dont on peut imaginer le lien, plus tard, avec la fabrication des roues à aubes servant à la propulsion de navires. Courants, écluses, bassins, ponts et ports le fascinent. Il participe à un projet d’assèchement des marais pontins. Il œuvre à la construction de canaux (Navigli) reliant Milan au lac de Côme, au lac Majeur et à l’Adriatique. Il travaille également au détournement du fleuve Arno, qui a pour objectif de couper la République de Pise de son accès à la mer au profit de sa concurrente de toujours : Florence. Da Vinci est captivé par les propriétés hydrauliques. Il étudie les mouvements de l’eau et des fluides. Les tourbillons, en particulier, retiennent son attention. Qu’ils soient composés d’eau ou même de sang (ses études anatomiques en sont la preuve). Il étudie leur équilibre, la pression hydraulique, sa transmission, la loi des vases communicants. Ses recherches sur l’eau le conduisent à examiner le mouvement ondulatoire dont il esquisse la théorie. Il l'applique aux vagues de la mer, à l'air, au son, à la lumière, entrevoyant ainsi la généralité de ses applications. Son étude des turbulences ne progresse plus réellement durant presque quatre cents ans, avant que l'ingénieur irlandais Osborne Reynolds ne prolonge ses travaux sur la mécanique des fluides en… 1883. Leonardo étudie des systèmes de barrage avec des écluses et des ponts. Sur sa lancée, il réalise des techniques de drainage pour le creusement de ports et l’excavation de fonds marins : des pompes, des soupapes, des canons de chargement naval, des portes battantes pour voies d’eau pour les écluses, des outils de dragage maritime... A des fins militaires, il élabore des ponts tournants, amovibles ou transportables, permettant aux armées de franchir aisément des points d’eau (des roues, un balancier de poids et un système tractable de cordes facilitant ainsi une installation rapide et un transport aisé pour la mobilité des troupes). Il conçoit également nombre d’instruments de guerre : systèmes de perçage de coques de navire ou d’abattage des voiles (destinés aux embarcations ennemies…). Leo et l'eau...
(© Images - Royal Collection Trust/ Sa Majesté la reine Elizabeth II)
Comme un Poisson dans l’Eau
Pour le déplacement dans l’eau, il dessine des flotteurs avec fond ouvrable pour le transport de matériel, ainsi qu’un équipement flottant permettant de marcher sur l’eau (sortes de raquettes nautiques). Il façonne des gants palmés en cuir rigide faits de cinq bâtons de bois, imitant les membres des oies et des canards, conçus principalement pour accroître la capacité de rester à flot dans des situations d’urgence comme lors d’une tempête ou d’un naufrage.
Le premier homme-grenouille…
La plongée étant une activité très ancienne destinée à récupérer les épaves et à ramasser éponges et crustacés, certains historiographes du Moyen-Age attribuent l’invention du premier sous-marin à l’Antiquité (notamment à Alexandre Le Grand et à son fameux bathyscaphe de verre, caisson submersible étanche et tractable à immersion verticale). Bon nombre d’inventions eurent des fins militaires. Leonardo expérimente ainsi au XVe siècle le premier scaphandre de plongée : une combinaison de cuir destinée à l’immersion totale. Un masque permet la respiration via deux tubes reliés à une cloche flottant à la surface. La combinaison est équipée d’un système de sacs/ballons qu’on peut gonfler et dégonfler à sa guise, permettant plus aisément l’ascension ou la descente dans l’eau. Le détail de l’invention va jusqu’à y prévoir un sac urinoir pour les plongées de longue durée. Leonardo est un indécrottable perfectionniste.
(© Images - British Library
Génie Naval sans être Marin…
S’il n’est pas marin, Leonardo ne se contente pourtant pas d’eau douce. Il dessine ainsi des bateaux à propulsion par roues ou un tracteur à roues marines pour démultiplier la force des rameurs. Il invente le navire à aubes et le pédalo. Enfin, il conceptualise des navires de frappe navale comme les embarcations d’éperonnage ou encore un projet de navire de guerre, « l’ Escorpio » (le Scorpion) amené à attaquer l’ennemi avec une longue faucille.
Le Monde selon Da Vinci
L’homme de sciences réalise plusieurs cartes terrestres et côtières. On retiendra ainsi, par exemple, des représentations à vol d’oiseau de la Toscane. Mais, en 1504, Leonardo voit plus grand : on attribue à son atelier la réalisation d’un globe terrestre unique par sa singularité : le « Mundus Novus ». Des recherches récentes ont émis l’hypothèse qu’il aurait servi de modèle au Globe de Lenox datant de 1510.
Dans sa perspective cartographique, la terre compte une superficie de sept mille milles nautiques italiens de l’époque (8.960 km ou 29,6 % de son diamètre réel), à une échelle de 1:80.000.000. Une petite boule d’à peine onze centimètres de diamètre, recouverte d’une magistrale carte du monde, gravée de la main d’un grand artiste. Tout un univers en couleurs et en relief gravé sur deux fragiles coques d’œufs d’autruche : lignes de littoral, montagnes, lacs, méandres des rivières, îles, navires, bateaux de pêche, marins tombés à l’eau, monstres marins, ports, continents, volcans, tourbillons, océans magiques... Un travail d’orfèvre.
© Images - Washington Map Society) - ISPRS Annals of the Photogrammetry G. Verhoeven – S. Missine)
Ce globe semble être le premier à représenter le Nouveau Monde, à savoir les Amériques. A la place de l’Amérique du Nord, n’ayant pas encore été découverte à l’époque, la mappemonde représente un vaste océan avec quelques îles éparses. Seuls sept noms s’y retrouvent dans l’hémisphère occidental. A la place de l’Amérique Centrale et du Sud : « Mundus Novus » (Nouveau Monde), « Terra de Brazil » et « Terra Sanctae Crucis » (Terre de la Sainte Croix). Les croquis préparatoires d’une « Mappa Mundi » (qu’on retrouvera plus tard dans le Codex Atlanticus), indiqueront déjà bel et bien un continent américain ainsi que des côtes africaines, preuve supplémentaire attestant du génie éclairé de l’époque.
Malgré une exagération manifeste de la taille de certaines régions (telles que l’Europe), le globe y présente une configuration générale correcte des continents, y compris un océan au pôle nord et un continent au pôle sud. Et les tailles relatives de régions telles que l’Inde, le Japon et même la péninsule russe orientale indiquent que son auteur a probablement eu accès à des informations de marins explorateurs de l’époque ayant pratiqué ces routes. Les connaissances récentes de Christophe Colomb, Amerigo Vespucci ou encore Pedro Cabral étaient donc clairement familières et ont guidé la conception du globe. Enfin, la représentation cartographique unique de l’objet, une projection en octant, divise ainsi la surface terrestre en huit formes de pétales égaux et se veut proche de l’isométrie (type de projection qui conserve les longueurs). Même si Leonardo n’a jamais été reconnu comme un cartographe à part entière, ses travaux auront, sans aucun doute, influencé ses contemporains et préfiguré la cartographie moderne.
Le Secret du Navire Idéal
Sans formation étendue en mathématiques ni en latin (qu’il apprit par lui-même), Leonardo a principalement basé ses travaux sur l’observation et la description précise, selon des méthodes scientifiques, sans insister sur l’aspect théorique. A l’époque, il est considéré par ses pairs comme un non lettré. Cependant, autodidacte, il se constitue une solide bibliothèque d’ouvrages de référence, scientifiques et techniques, dont il s’inspire pour ses travaux (certaines de ses inventions ont d’ailleurs été ébauchées par ses prédécesseurs).
En outre, il a le sens inné des règles d’or de la création : il comprend et intègre admirablement dans ses canevas les concepts du fameux nombre d’or (**) et de la proportion divine, sources de l’harmonie parfaite. L'homme de Vitruve, qu’il a dessiné en 1492, ou encore la Joconde comportent ces références techniques et exposent ainsi un corps parfaitement proportionné. Voir le billet "le Mystère de Pythagore". Les créations de Leonardo comprenaient une composante artistique, en particulier celle de la peinture. C’est probablement pour cette raison qu’il fut longtemps ignoré comme scientifique au même titre qu’un Galilée ou un Newton. Néanmoins, ses œuvres ont laissé un héritage fabuleux à notre monde actuel. « Leonardo nous a légué un tout autre regard sur le monde de l’eau et de la mer…. »
Alors, revenons-en à la mer et aux navires... Qu'est-ce qui fait la beauté d'un voilier ? Ses proportions ? La ligne de sa carène ? La taille de ses voiles par rapport à la coque ? Imaginons un instant que tous les voiliers du monde soient construits selon ce nombre d'or et la proportion divine. L'océan deviendrait alors un véritable catwalk de la voile... Des navires parfaits, qui plus jamais ne risqueraient un naufrage, qui parviendraient à des performances optimales de vitesse par rapport au vent. De l'étrave à la poupe, de la quille au mât en passant par l'étai, la balancine ou les bastaques, avec des galhaubans et des mâts de beaupré de taille exemplaire : de super-voiliers tant en termes d'efficacité vélique qu'en termes d'esthétique...
(**) Selon Leonardo, les proportions du corps humain suivraient la règle de l’harmonie parfaite, respectant une proportion géométrique définissant le rapport entre deux longueurs, telle que le rapport de leur somme divisée par la plus grande des deux soit égal à celui de la plus grande divisée par la plus petite (phi = (1+√5) ÷ 2 ≈ 1,6180339887...). La distance entre la tête et le sol, divisée par la distance entre le sol et le nombril équivaut à phi.
Sur cette hypothèse, je vous souhaite un excellent dimanche ! Et qui sait, un bon début de vacances !
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AuteurArchives
August 2023
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