En cette première semaine de septembre, pour une fois pas de mer dans ce billet, mais un petit voyage-réflexion.
Ce WE, en allant faire mes emplettes, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer une effervescence inhabituelle. Des paniers débordants, des caisses bondées, du bruit, du monde partout. Ah, oui, c’est la fin des vacances d’été et de plus, la première semaine de rentrée scolaire.
J’avoue, n’ayant ni pris de vacances cette année, ni de petite famille immédiate en âge scolaire, je reste en marge du stress de la rentrée (situation dont il faut aussi voir les avantages). Ce début de septembre est donc une semaine de travail comme un autre pour moi, où je ne dois pas m’en faire pour mes petits loups, ni gérer des crises de larmes dues à la séparation cruelle du premier jour d'école (ni celles des enfants, ni celles des parents...), ni encore, m’en faire pour la chasse aux fournitures scolaires. Ne vous méprenez pas sur mes mots. Je compatis tout à fait avec ceux que cette période fatidique empêche de dormir. La vie ne m’a juste pas mise dans ce type de défi-là. J’en ai eu des tas d’autres à la place, qui suffisent tout aussi bien à blanchir mes nuits.
Mais revenons à nos petits moutons. En rentrant au magasin, je tombe sur un monsieur, qui est là, à l'entrée, chaque semaine, à vendre un malheureux petit journal pour le quart-monde. Nous nous connaissons depuis quelques années.
Monsieur P. vient des pays de l’Est, vit en situation précaire et a de sérieux problèmes de santé qu'il gère autant que possible. Il élève deux enfants en âge scolaire du mieux qu’il peut. Jamais il ne demande l'aumône. Il vend juste son journal et les gens lui donnent ce qu’ils veulent. J’ai pour principe de ne pas donner d’argent mais de répondre par contre à des besoins plus pratiques, comme de la nourriture, des produits de première nécessité (comme des langes ou du matériel d'hygiène) ou des vêtements, du temps pour une conversation et un joli sourire en prime. Ce WE, Monsieur P. a l’air un peu plus sombre que d’habitude. Il revient juste d'une longue hospitalisation et ne tient pas encore trop sur ses jambes. Lorsque je m’arrête pour papoter avec lui, comme à l’habitude, il ne dit pas grand chose cette fois-ci. Il prend de mes nouvelles et on discute un peu de son état de santé. En ressortant du magasin, un panier de victuailles plein, je m’arrête pour lui dire au revoir. Et là, il fait ce qu’il fait très rarement : il me demande... si je peux l’aider... «J’ai acheté tous les nouveaux cahiers, livres et matériel scolaire demandé par l’école pour mes enfants. Mais, l'école a refusé leurs baskets parce qu’elles ne sont pas du bon modèle exigé par l'établissement... Tout mon revenu de ce mois est passé à leur matériel. Et je n’ai plus de quoi leur acheter des nouvelles chaussures de sport... Je ne sais pas quoi faire... ».
Je peux vous dire que mon sang n’a fait qu’un tour et vous devinerez ce que j’ai fait ensuite. Peut-être suis-je naïve, trop crédule ou stupide. Peu importe. J’ai cru à la sincérité de Monsieur P. Et ce genre de situation me fait bondir. Quelle école peut-elle être aussi peu sensible à l’effort que font certains parents et enfants pour parvenir tout de même à poursuivre leur éducation malgré les difficultés sociales et financières. Le modèle ou la marque des vêtements de sports changera-t-elle donc à ce point la qualité de l'enseignement que les enfants vont recevoir ?
Qui sont donc ces écoles actuelles qui exigent des standards de matérialisme ? Ou suivent-elles simplement les demandes de leur clientèle ? Sont-elles à ce point le couteau sur la gorge pour devoir capituler devant la toute puissance du matérialisme en dépit du bon sens ? Dans ma jeunesse, l'uniforme obigatoire dans mon école, visait au départ à anihiler les différences sociales : un voeu pieux. Si ce système, au départ, avait réellement porté ses fruits (tout le monde devait porter exactement le même uniforme reçu ou acheté à l'école), en réalité, l'uniforme ensuite réduit au port de certaines couleurs, ne suffisait malheureusement plus à dissimuler les différences de niveaux sociaux entre les élèves : une chemise blanche Lacoste ou sans marque, restait toujours une chemise blanche... Même si l'aspect général des teintes obligatoires donnait une jolie cohérence aux files d'élèves en rang devant le porche d'entrée. Et le jour où l'on a aboli l'uniforme : la chemise blanche est restée... sur un jeans... Le nouvel uniforme des générations futures..
© Photos – Rêvesdemarins
J'ai donc je suis...
"J'ai pris les choses et les choses m'ont pris... " (Les Choses, J.J. Goldman)
Dans quel monde vivons-nous ?
Les institutions scolaires et la société commerciale en général poussent à la consommation à outrance. Les modes se succèdent et ne se ressemblent pas. À chaque année, une nouvelle marque, une nouvelle couleur, un nouveau modèle. Nos enfants sont à peine capables de lire ou d'écrire correctement mais ils jouent nonchalamment avec des téléphones mobiles ou des tablettes coûtant presque autant que le revenu mensuel de certains parents. Et les parents finissent par laisser faire... Fréquemment par dépit, « parce que les autres font ainsi » et que ne pas avoir la même chose que les autres signifierait de les couper de leurs liens et statut social de leurs petits camarades. Alors que durant ce temps, d'autres se désespèrent de pouvoir parvenir à la fin du mois avec de quoi nourrir leurs rejetons... "Si j'avais si j'avais ça, je serais ceci je serais cela. Sans chose je n'existe pas, les regards glissent sur moi. J'envie ce que les autres ont. Je crève de ce que je n'ai pas. Le bonheur est possession. Les supermarchés mes temples à moi. Dans mes uniformes, rien que des marques identifiées. Les choses me donnent une identité. " (Les Choses, J.J. Goldman)
La liste et la note d’un matériel d’école requis pour la rentrée s’allonge d'année en année. Ainsi va-t-il également de son prix : de 200 à 400€ min. /enfant sans inclure les articles technologiques. Sans parler du prix des études supérieures. (Et encore, en Belgique, nous sommes vraiment bien lotis comparés à la majorité des autres pays.) Une fortune pour certains...
Et de nos jours, le digital s’en mêle dans la plupart des cas. Essayez encore de trouver de bonnes vieilles encyclopédies, des photos analogues ou encore des syllabi papier... Bonne chance. Tout est digital. Tout requiert un smartphone, un ordinateur portable, une imprimante, des programmes, des tablettes, voire même du matériel plus spécialisé. C’est le monde d’aujourdhui. Cependant, tous les parents, eux, n’ont pas nécessairement les moyens ni les capacités d’y répondre aisément. Et même si heureusement il existe des aides et subventions sociales et des prix réduits, ces derniers ne règlent ni tous les soucis, ni tous les cas personnels...
Non, non, il ne s'agit en aucun cas de revenir en arrière, ni de déplorer le progrès technologique. J'applaudis ce dernier, en reconnaissant qu'il a permis des avancées sans précédent dans de nombreuses matières (notamment dans le domaine médical). Cependant, je l'avoue, je reste attachée à certaines valeurs d'antan, qui me semblent plus saines que la direction que semble souvent prendre notre société actuelle.
Qu'y a-t-il donc de mal à laisser un enfant jouer avec des jouets traditionnels ou une boîte de carton, des feuilles d'arbre, des brins d'herbe, des crayons et des ballons de temps à autre ? Ou lui laisser du temps seul, sans activités pour réapprendre à rêver, imaginer et réinventer la créativité des histoires dans sa tête. Doit-il pour cela obtenir les jouets derniers cris et les marques les plus vendues en magasin ? Doit-il être occupé par ses parents (ou d'autres activités ) 100% de son temps pour grandir bien et forger sainement son intelligence ? Doit-il à tout prix faire partie d'un club en vogue de hockey, d'escalade ou d'équitation pour faire partie des "gens biens" ? Doit-il pouvoir montrer à ses petits camarades qu'il connaît les derniers apps, jeux électroniques ou dernières séries sur Netflix ? La pression sociale est grande. Trop grande à mon goût... Le conditionnement ne devient-il donc pas inévitable pour faire partie du groupe et se sentir réellement inclus... ? "C'est plus 'je pense' mais 'j'ai' donc je suis ..." (Les Choses, J.J. Goldman)
Notre société de consommation n'est-elle donc ainsi pas en train de créer... l'envie... Source de racket et d'agression de nos petits (et moins petits) pour leurs possessions ? Source de jalousies, tentations, rivalités et tensions. Source de différences, de mépris, d'hostilité, voir de xénophobie sociale ou autre.
Comment trouver le juste milieu entre aisance et matérialisme ?
Je serai la dernière à jeter la pierre. Je ne manque de rien. Je vis bien. Et après avoir travaillé dur pour les mériter (même si j'aurais pu les recevoir sans labeur), j'aime régulièrement (me) faire plaisir avec des petits cadeaux raisonnables. Cependant, je me sens bien plus en ligne avec ceux qui tentent d'inculquer aux enfants la valeur de la simplicité, des choses, leur prix, et surtout celui de l'effort requis pour les obtenir. La valeur d'une chose, c'est aussi celle de ce qu'on a dû réaliser pour l'obtenir. Recevoir systématiquement les choses sans aucun effort ne fait pas grandir. Et quelque part, je suis désolée pour les enfants (ou les adultes) qui bénéficient de telle générosité gratuite pour les choses désirées dans leur existence : ils n'en sont souvent que moins armés (mis à part le financier) pour affronter la vraie vie... (Et pas nécessairement plus matures ni plus heureux... ). Le plaisir de la propriété d'une chose ou la jouissance d'une activité est décuplé par l'effort réalisé pour l'obtenir. Une valeur sûre depuis des générations, dont je suis fière et reconnaissante à ma famille...
Ou serais-je simplement en train de vieillir et de faire partie de la génération des ringards grincheux incapables de s'adapter aux derniers changement sociétaux.... ;-) ?
Sur ces quelques réfléxions, je vous souhaite un excellent WE, sans soucis de matériel scolaire (ni autre). Un bon dimanche !
1 Comment
Jean-Michel Chaput
9/9/2019 10:54:28 pm
Hello Véro ! Merci pour tes billets...
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August 2023
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