La suite du billet précédent relatant notre "Grande Traversée ". Et grâce à un équipage et des skippers de choc, j'ai de quoi vous narrer un peu plus longuement nos péripéties britanniques. Alors, pour ceux d'entre vous qui aviez rêvé de telle aventure, voici le récit d'une semaine en mer pas comme les autres...
Mardi soir, 27 juin 2017. VVW de Nieuport. A peine nous être installés à bord, le capitaine lance le mot magique : "On y va ! ". Les vents ont tourné et il nous faut faire usage d'une fenêtre météo favorable pour parcourir le plus de milles possibles dans de bonnes conditions. Et nous levons l'ancre (enfin, du moins, nous larguons les amarres) au coucher du soleil. Nous voici donc partis à la conquête de la Manche, des Bretons et de l'île de Wight.
Le ciel est menaçant. La nuit s'annonce humide et sombre. Il nous faudra être vigilants lors des quarts. Et en braves Gaulois que nous sommes, nous ne redoutons qu'une seule chose : que le Ciel ne nous tombe sur la tête...
Première nuit à bord
© Photos - Rêvesdemarins
Nous arrivons à hauteur de Dunkerque. Le phare, les lueurs des grues et surtout des flammes de la raffinerie dans la nuit nous offrent un spectacle de toute beauté. Même les zones industrielles possèdent leur charme. La première nuitée de traversée de la Manche se prépare. Ciel bouché et pluie au programme. Mer agitée.
Ma première véritable veille de quarts. Enfin. J'en avais rêvé souvent et à la fois, je redoutais un peu cette expérience, pas trop certaine d'être à la hauteur. Trois heures du matin. Je lutte contre le sommeil et la naupathie dans le roulis constant. Je trouve pourtant le courage de me lever, même pour remplacer un équipier malade pour son quart avant le mien. Dans le cockpit en équipe avec le capitaine, il fait glacial. Malgré mon engouement pour l'expérience, je me confronte à mes premières limites. Un très joli flou de rouge et vert devant moi : je m'aperçois qu'il m'est impossible de naviguer au compas au vu de la distance séparant la barre à roue du compas de bord (quelle idée saugrenue du constructeur d' avoir placé la rose des vents à degrés si loin du barreur... ). Impossible également de me repérer aux astres nocturnes : pas une seule lueur astrale en vue à travers l'épaisse couche de nuages. Sans parler de la girouette de mât que je distingue à peine. Seuls amers de repère : quelques rares cargos de nuit, qui, cependant, avancent eux aussi... Alors, je tente de naviguer au feeling et à l'aveugle sur les indications du skipper. Pas évident. Et cette technique me donne le tournis. Et comme j'aime beaucoup les animaux, je finis par aller brièvement nourrir les pauvres petits poissons affamés. La honte... Diantre... Enfin, voyons les choses positivement : l'avantage de passer sa tête par-dessus bord, c'est qu'on peut y admirer le plancton phosphorescent de près. Et ce spectacle bleuté magique vaut tous les revigorants du monde. En outre, la gentillesse du capitaine et sa bonne humeur s'avèrent d'excellents guides pour m'aider à passer mon premier écueil.
© Photos - https://www.dielette.fr/author/lebosco
Sa bioluminescence découle d'une agitation de l'eau (par exemple une combinaison de courants et vents forts, contact mécanique avec la coque d'un bateau, présence de poissons, etc. ) Nous consacrerons un billet à ce sujet intéressant ultérieurement.
Enfin, un quart de nuit, c'est pour moi également un moment particulier pour apprécier le silence, pour la réflexion personnelle ou une conversation exclusive. Un peu comme si l'on se trouvait dans un autre monde où tout devenait permis. On y remet les choses en perspective. On s'y dévoile. On partage. Un instant de vie qui procure une grande sérénité. Evidemment, cette dernière est plus aisée à ressentir lors d'une nuit étoilée que dans la pluie battante. Je comprends mieux à présent la joie d'un tête à tête en mer avec les étoiles. Les heures tournent. Et il est bientôt temps d'aller réveiller les prochains équipiers dans leur bannette pour nous remplacer et d'aller me calfeutrer bien au chaud dans mon sac de couchage pour un gros dodo.
Les Lemmings
Le jour est revenu, sans beaucoup de lumière, cela dit. Après de la pluie en fin de nuit (pas de chance pour ceux qui prenaient les quarts du petit matin). La météo est grisâtre et brumeuse. Nous aperçevons au loin les falaises blanches des alentours de Newhaven et Brighton : les Seven Sisters. Impressionnantes, sculptées par l'érosion des vents et des flots. Un peu comme une immense série des vagues de craie aux formes ondulantes. Au fur et à mesure que nous nous rapprochons, nous y distinguons des dizaines de petites silhouettes. Des Lemmings version britannique avec des sacs à dos, des sticks de marche et des casquettes... Mais ceux-ci ne se jettent pas (ouf... ) dans le vide au bout de la falaise. Ils ne font que la suivre le long de la côte. Une très belle région de promenade pour des marcheurs en mal de paysages marins.
La mer a, à présent, pris une teinte vert de gris. Sa couleur contraste avec le blanc des murailles de craie, l'émeraude des prairies et le rouge du joli phare de Beachy Head. Et nous poursuivons notre traversée en direction de Porthsmouth, où nous comptons faire escale pour la nuit.
© Photos - Rêvesdemarins
Dubai version pluvieuse
Deux heures de matin. Nous voici enfin amarrés au ponton visiteur de la petite marina de Porthsmouth. Et pour faire honneur à sa réputation : il y pleut, bien entendu. L'occasion d'y passer une bonne nuit de sommeil après un sympathique after-sailing dans le carré, bien arrosé, au son mélodieux de la sono de bord et d'une bonne douche (pour moi du moins) dans... un bateau-phare tout propret pour commencer le lendemain. Mais, une bonne journée se doit de débuter par un vrai petit déjeûner, et au pays des Fish & Chips, cela ne se rate pas ! Nous voici donc, en ce mercredi matin, attablés dans un bar local pour un solide English breakfast, de quoi nous donner des forces pour reprendre la mer en direction de notre destination finale. Un détour pour une visite à quelques voiliers d'exception amarrés dans le port, une petite grimpette dans le mât pour notre alpiniste de bord, histoire de graisser un peu le rail de grand voile et nous voici donc repartis pour Cowes !
(Rem. : Avez-vous déjà découvert la similitude avec Dubai? Et non, ce n'est pas la météo ! )
© Photos - Rêvesdemarins
La Mecque des Marins
Je vous passe les détails de la navigation qui a suivi. Nous voici enfin parvenus à la Mecque des marins (britanniques du moins) : Cowes, Île de Wight. Son yacht club, le célèbre Island Sailing Club, bordé d'une rangée de canons blinquants, qui donneront le départ de la course légendaire "Round the Island Race" dans laquelle nous comptons bien nous distinguer. Une petite ville, shopping miniature rayon navigation : dans la rue principale, les vitrines se succèdent, vantant les mérites d'une multitude de marques de matériel nautique. Le rêve d'un marin lèche-vitrine (sauf pour la carte de crédit) ! Un peu plus en retrait, la devanture d'un magasin pas comme les autres, mais où je n'ai pas pu m'empêcher de me rendre (heureusement, diront certains, qu'il était fermé à l'heure de mon passage... ) : le repaire de Beken, un des plus grands photographes maritimes. De l'art et du vrai grand !
Un point nous étonne cependant : alors qu'on annonce une affluence majeure pour la course, l'endroit semble relativement désert. Peu de voiliers dans la marina. Nous serions-nous trompés de date ?
© Photos - Rêvesdemarins
Le septième larron est censé nous y rejoindre le jeudi soir par le ferry. Bon sang, j'ai omis de vous présenter l'équipage. Quel manque de savoir-vivre. Veuillez m'en excuser.
Nous sommes sept valeureux Gaulois à bord en fin de compte (ce chiffre ne pouvait que nous porter chance ! ) :
Et la toute première régate pour cinq d'entre nous... Une chouette équipe.
© Photos - Rêvesdemarins
Let's get physical...
Après un Pimms apéro sur la terrasse du célèbre yacht club suivi par une soirée joyeuse dans un pub local, il temps de se mettre sérieusement au travail : vendredi sera une journée d'entraînement dans le Solent. L'occasion d'essayer nos deux spis et de faire notre choix. Le vert ou le jaune? Pas de chance, ils sont tous deux symétriques. Bien moins pratiques à manier. Mais nos deux instructeurs se révèlent véritables virtuoses de cette grande voile peu maniable... Après avoir dû redoubler d'ingéniosité pour les gréer et quelques essais infructueux, nous parvenons enfin à maîtriser l'animal rebelle.
Nous sommes fin prêts. En route, nous croisons nos futurs concurrents. Et certains nous font rêver... Nous rentrons au port de Cowes. L'ambiance de la marina a radicalement changé : on se croirait sur la Place de l'Etoile un lundi à l'heure de pointe. La petite marina grouille de voiliers et ce n'est qu'à grand peine que nous trouvons encore un anneau de libre. 1.342 voiliers x le nombre de membres d'équipages et sans le public qui vient assister à la manifestation. Faites le compte ! La fête bat son plein. Un podium est dressé au port. Les organisateurs de cet évènement ont tout prévu pour célébrer dignement cette compétition de renom international. La soirée se termine relativement tôt car demain il nous faudra nous lever aux aurores.
© Photos - RêvesdeMarins
Le Compte des Mille et un Voiliers
Debout à 4h du matin. Un rapide café, un dernier pain au chocolat glané dans un coffeeshop par un des membres d'équipage attentionné et nous larguons les amarres. La marina s'agite. La nuit fut courte pour tous. Le capitaine nous harangue. Tous nos sens sont en éveil (le devraient du moins... ).
Une ligne de départ invisible indiquée par deux feux blancs en alignement vertical devant la marina de Cowes. 1.342 étalons concurrents qui trépignent dans leur box aqueux. Un démarrage prévu par vagues et catégories de bateaux. Premier coup de canon à 5h10 du matin, histoire de profiter des marées, vents et courants favorables du moment. Les géants, TP et autres trimarans se ruent dans la cohue marine. Bientôt, leurs voiles ne seront plus qu'ailes ombrées à l'horizon naissant sous un pâle soleil qui se bat encore contre des nuages récalcitrants. C'est bientôt notre tour de démarrer... Nous tournons dans les environs de la ligne de départ. Imaginez une bassine pleine de poissons frétillants venant d'être pêchés et qui tentent désespérément de se frayer un passage pour atteindre la Mer en premier. Les voiliers se croisent et s'entrecroisent à une distance minime malgré la vitesse (pas de frein sur un voilier ! ) et au son des jurons des skippers qui clament leur droit de prévalence. La plus grosse voix sera gagnante... Et notre capitaine se débrouille vraiment pas mal en ce qui concerne ici... Il est temps de bien connaître ses règles de priorité ! Notre chef de bord est impressionnant par son calme et sa parfaite maîtrise du voilier dans la situation, qui, clairement l'amuse et aiguise son appétit de compétition. 6h20 : les feux blancs se trouvent à présent presque dans un alignement vertical. On y va ! Chargeeeeez ! Et Moonlight Shadow s'élance dans la cohue des flots. Départ au travers. Autour de nous, des centaines de voiliers de tous types. Un horizon en noir et blanc, agrémenté de quelques touches de pourpre et nuances de gris. Un peu comme un vieux film qui débute au ralenti. Au fur et à mesure de la route, les couleurs changent et l'on voit apparaître des spis de toutes les teintes. Et l'horizon se mue en un kaléidoscope de voiles fabuleux.
© Photos - RêvesdeMarins
A chaque "coin" de l'île, un nouveau défi nous attend. L'orientation du vent s'y modifie et donc notre stratégie de navigation se doit de s'y adapter. Du travers au portant, du portant au près, etc. Des Needles au phare de St Catherine, la mer se couvre d'un arc-en-ciel multicolore de spis plus lumineux les uns que les autres. La vue devant les falaises est tout simplement époustouflante malgré la légère brume. Dans la dernière partie du parcours, par contre, le film se remet à tourner en noir et blanc, les voiliers ayant affalé leur spi (certains avec plus de difficultés que d'autres...). Et le soleil se mêle enfin au tournage de ce beau film.
La toute dernière partie de la course se veut beaucoup plus sportive. Enfin de la compétition de proximité. Les voiliers se croisent et se frôlent. Cela jure un bon coup. Et pourtant, pas de collisions. Certains concurrents nous narguent sans pourtant parvenir à nous semer. Nous nous prenons au jeu. Et lorsque le vent retombe ensuite, nous cherchons alors le moindre petit souffle d'air pour dépasser nos rivaux. Nous ajustons et re-ajustons les voiles. Moonlight Shadow file sur l'eau. Nous jouons des coudes devant la bouée témoin de la ligne d'arrivée, que nous franchissons à 14:14':13'' GMT+1 . Nous y voici !
© Photos - RêvesdeMarins
High Five !
Une cinquième position... Même dans mes rêves, je n'avais pas imaginé que nous parviendrions à un tel résultat. J'étais simplement heureuse et honorée de pouvoir participer à un événement nautique de cette amplitude. Et même comparé aux résultats globaux, nous pouvons être fiers de notre performance : dans le top 10%, nous avons tenu le coup jusqu'à la ligne d'arrivée en un peu plus de 8 heures de navigation.
Un résumé en quelques chiffres :
© Photos - RêvesdeMarins
Et si vous vous demandez comment fut ma gestion des cinq défis personnels décrits dans le billet précédent... Si je ne les ai pas toujours gérés aussi parfaitement que je ne l'espérais (comme le besoin de sommeil ou le mal de mer), du moins, j'y ai survécu ;-) ...
Bref, une épopée que nous n'oublierons pas de si tôt. Et l'envie de recommencer ! Ils sont fous, ces marins ! Merci à l'équipe de Sail Away pour nous avoir permis de vivre ces moments uniques. Un de mes grands rêves vient tout simplement de se réaliser grâce à vous... Et qui sait, la prochaine fois sera-t-elle une Transatlantique? En parlant de Transat, ce dimanche 16 juillet 2017 marque le départ d'une autre course mythique: la Tansquadra, à laquelle participe d'ailleurs un équipage belge. Alors, bon vent à ces marins qui s'élancent de Lorient ce matin! Un excellent dimanche à tous.
0 Comments
Leave a Reply. |
AuteurArchives
August 2023
Catégories
All
Suivez Rêves de Marins sur Twitter
|