Le billet précédent s'envolait vers la nature açoréenne, la beauté de ses caldeiras et de ses sources géothermiques. Alors, restons encore un peu dans la géologie aujourd'hui et "let's rock & roll" (dixit Bert Kibbler, géologue, Caltech - BBT).
Voici l'occasion de vous narrer un récit à propos de deux endroits quelque peu liés dans cet archipel de rêve. Leurs points communs : la mer, la lumière et l'activité sismique. Je vous emmène aujourd'hui dans un Voyage au Centre de la Mer.
La Mer en Feu
Le 27 septembre 1957, au large des côtes de Capelo et Praia do Norte. Nord-Ouest de l'île de Faial. Le sol gronde. La mer tremble. Un monstre se réveille du fond des abysses océaniques. Il ne se rendormira que treize mois plus tard, après avoir profondément refaçonné l'île açoréenne.
(...) "On a vu souvent rejaillir le feu d'un ancien volcan qu'on croyait trop vieux
6h45 du matin. Tomaz Pacheco da Rosa, un des sept gardiens du phare de Capelinhos est de service ce jour-là. Cette aube-là restera à jamais gravée dans sa mémoire. Son phare, son cher phare, est en alerte. Non pas face aux assaults de la mer cette fois-ci, mais bien face à ceux d'un monstre marin, d'une tout autre puissance, qui vient de se réveiller en crachant sa colère.
En mer, plusieurs équipages de chalutiers remarquent quelque chose qui ne tourne pas rond environ un kilomètre au large de la côte nord-ouest de l'île. Il ne s'agit pas d'une baleine ni d'un autre cétacé, communs dans la région. La mer bouillonne. L'océan est inquiet, torturé. Une odeur âcre leur monte aux narines. Un peu comme si Poséidon avait soudainement décidé de remonter des abysses dans un nuage de feu. Une heure plus tard, des fumerolles infernales et des jets de cendres bouillantes envahiront l'océan jusque sur la presqu'île. Un nouveau volcan marin est né.
© Photos - Capelinhos Volcano Interpretation Center
"Un amour qui n'a pas été réalisé ou, même, qui n'avait pas atteint la satiété, c'est toujours un volcan qui ne dort pas son dernier sommeil. Que les circonstances s'y prêtent, il flambe de nouveau. " (Claire Martin)
Les coulées s'investissent dans l'onde et la transforment ainsi en bain à bulles géant. L'ancien petit port de Comprido est emporté par le basalte en fusion. Des bombes de lave fusent dans un ciel de suie. Le phare de Capelinhos est partiellement détruit. Tomaz n'a le choix que d'abandonner son poste et la bâtisse. Les habitants doivent fuir. Quarante pourcents de la population de l'île de Faial sera affectée. Une grande partie rejoindra d'ailleurs les Etats-Unis, soutenus par le "1958 Azorean Refugee Act" de J.F. Kennedy (à l'époque encore sénateur). Les suites de l'éruption forceront plus de 15.000 personnes à émigrer. Durant près de quatre cents jours et nuits, le dragon des mers crachera les flammes de ses entrailles. Une fameuse indigestion !
Et au fur et à mesure que la lave refroidira, elle gagnera du terrain sur la mer (presque 2,4 km) et se rapprochera de la presqu'île, pour venir finalement la rejoindre et former un nouveau territoire annexé à l'île. La photo ci-dessus montre la position originale du phare (nr 2) et en jaune et rouge, la partie de basalte venue se rajouter à la côte açoréenne. Le phare de Capelinhos perdra ainsi sa position exclusive de sentinelle à la pointe de l'île. Le nouveau paysage qui en résultera sera de toute beauté, malgré la profonde marque que le volcan laissera sur Faial. Le phare et sa tour, quant à lui, tiendra bon même si les bâtiments environnants et son premier étage seront totalement ensevelis sous pas moins de sept mètres de cendres). Mais il ne sera jamais remis en état après l'éruption, les dommages étant trop importants pour une restauration.
© Photos - Rêvesdemarins
Lueur d'Espoir
Quelques 250 km plus à l'Est. Pointe Sud-ouest de l'île de Sâo Miguel. Devant le petit village de Mosteiros, la mer azurée se déchire sur des rochers de basalte noir. Une forêt d’aiguilles tranchantes crachouillées dans la mer par les abysses terriennes. Des fonds marins qui jadis y vomirent leur trop plein de magma. Paysage surréaliste d’un ancien volcan endormi. Des vagues émeraudes se précipitent violemment vers la grève, toute aussi noire que les géants de pierre qui l’entourent. L’union de la diaphane fille de Poséidon et du ténébreux Ephaïstos. Au loin, quelques rares navires bravant l’onde tumultueuse. La nuit va bientôt tomber. Et sans étoiles sous un ciel couvert, le marin cherchera un guide à travers ces invisibles et redoutables écueils.
Un phare, c'est un peu comme un espoir pour le marin...
A peine huit kilomètres plus au Sud, à Ferraria se dresse l’espoir du marin. Sur une colline verdoyante, une ancienne tour de pierre. Un feu y brûlait autrefois, pour les navires au loin. Mais le brasier s’est éteint depuis bien longtemps déjà. En contrebas, bien calée contre la falaise, une bâtisse blanche et rouge étire son bras vers le ciel. À son sommet, comme une main salvatrice, s’ouvre une coupole de verre. Le Farol de Ferraria est fidèle au poste depuis 1904, en relais à son ancêtre de pierre sur la colline environnante.
Les gardiens du phare font le plus beau métier au monde. Ils vivent au rythme des couchers de soleil et des jets de lumière en direction de l’océan. La main étincelante peut se tendre à plus de 27 milles nautiques.
© Photos - Rêvesdemarins
Paulo Amaral, un valeureux capitaine de la marine portugaise depuis trois décennies,tient fidèlement son métier de gardien du phare depuis dix-huit ans. Il loge au phare avec quatre autres familles. Son labeur consiste bien entendu à l’allumage du phare, mais surtout à son entretien. Imaginez une énorme lampe de plusieurs tonnes, flottant sur un lit de mercure. Une technique permettant un minimum de friction entre l’immense lampadaire de laiton blinquant et le socle sur lequel il repose, tout en lui permettant de tourner sur lui-même de manière fluide. Le mercure pouvant faire flotter des poids de 11kg/cm carré, on n’a encore rien inventé de mieux depuis des siècles. Qui sait, un jour cette technologie sera-t-elle remplacée par un aimant géant aux pôles inversés.
Au départ, les premières lampes du phare étaient des lampes alimentées à... l’huile d’olive. Comme dit l’adage local, « l’huile d’olive, c’est bon pour tout ! ». Puis, l’huile fut remplacée par du gaz et ensuite l’électricité. L’allumage et l’occultation, autrefois manuels, ont été confiés à une jolie mécanique dont les rouages en feraient pâlir un horloger de jalousie. Après la petite centaine de marches de l’escalier en colimaçon, la tour révèle enfin son trésor : une lentille focale étincelante d'arcs-en-ciel sous une coupole de verre aux vitres impeccablement translucides. L’objet est fabuleux. Des dizaines de plaques de verre réfléchissant la lumière dans une même direction. De quoi hypnotiser les plus récalcitrants au premier regard. Un bijou brillant de mille feux et de toute beauté. Un endroit chargé d’histoire. On y raconte que, comme fréquemment dans la région, un volcan émergea de l'océan, il y a quelques siècles, devant Ferraria. Et les premiers à y poser leur fanion furent les Britanniques, qui s’empressèrent de déclarer l’ile ainsi nouvellement née, propriété de sa Majesté. Fait divers quelque peu gênant car, à l’époque, les troupes françaises s’étaient emparées du Portugal, dont les Açores faisaient partie. Les Britanniques (notamment Wellington) vinrent à l'aide des Lisutaniens pour combattre les troupes de Napoléon. Les habitants de l’île pouvaient donc difficilement réclamer leur bien insulaire à leurs propres alliés. Un imbroglio qui se régla par la Nature. En effet, l’apparition d’îles volcaniques marines a souvent été temporaires et cette dernière redisparut dans les flots après quelque temps. Problème diplomatique résolu ! En représailles, lorsqu’une autre montagne marine apparut dans l’océan à Capelinhos, les locaux furent les premiers à y planter leur drapeau. Et comme cette dernière finit par se rattacher au reste de l’île principale, elle demeura propriété portugaise.
Je vous laisse donc ramoner vos volcans et allumer votre phare lorsque l'osbscurité tombera. Qu'ils illuminent votre WE. Un excellent dimanche.
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AuteurArchives
August 2023
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