La mer n'en finit pas. L'horizon semble infini avec sa ligne courbe grisâtre dans la brume du matin. Les deux compagnons persistent dans l'effort pour poursuivre leur longue route vers le Grand Sud. Mais leurs forces faiblissent au fur et à mesure qu'ils avancent dans l'univers ouaté.
- Mon ami, je n'en puis plus. Ne pouvons-nous donc pas faire une petite relâche? Son compagnon scrute les vagues pour y aperçevoir un endroit où se reposer. Rien devant, rien derrière. - Courage, ma belle, encore un petit effort. Nous finirons bien par trouver un refuge. Les quelques rares rayons de soleil parvenant à traverser l'écrin nuageux réchauffent brièvement leurs corps endoloris. Soudain au loin, apparaît l'ombre d'une voile triangulaire. - Enfin, un abri où nous reposer. Nous sommes sauvés!
Mais pourquoi cette petite bête atteignant tout juste 20 grammes ressent-elle, à la mauvaise saison, la nécessité de parcourir plus de 10.000 kilomètres ? L'instinct est le plus fort, la nature surprenante. Pour réaliser cet exploit, elle utilise le vol battu, c'est à dire que ses ailes sont presque toujours en mouvement. Pas de GPS, ni boussole. Pas de cartes aériennes ni de sextant pour indiquer le chemin. Juste un don et une connaissance géographique innée. Et la cohésion du groupe. Difficile à croire! Nous ne pouvons qu' imaginer leur périple durant l'hiver. Quelle peut bien être leur destination: Saint Tropez, Tanger, Palerme, Beyrouth, Smyrne, ou même Ougadougou? Que de kilomètres à parcourir à tire d'ailes. Que de dangers à affronter. Que de régions à traverser. Vont-ils survivre? Vont-ils revenir, surtout? Et s'ils allaient se perdre en route? Et s'ils décidaient de s'installer dans leur résidence estivale pour de bon?
Rassurez-vous, je ne compte pas vous faire un cours d'ornithologie à travers ce billet. Mais le récit de ces petites merveilles de la nature vaut , à mon sens, tout de même la peine d'y consacrer quelques lignes...
L'expression consacrée signifie qu'un seul événement ne suffit point à confirmer une généralité. Elle vient du latin "una hirondo non facit ver", lui-même venu du grec. Certaines hirondelles peuvent en effet revenir plus tôt qu'elles ne devraient. Puis il y a celles qui, n'ont pas eu la force de migrer, et qui ont trouvé refuge au chaud et donneront signe de vie bien plus tôt que leurs congénères voyageuses. Du coup, il n'est pas toujours possible d'affirmer que le fait de voir une hirondelle suffise à confirmer qu'on soit au printemps.
Et pourtant, moi, je vous assure que si... Contrairement à l'adage, pour moi, les hirondelles font bien mon printemps à moi... Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
L'année passée, début juillet, nous avons eu le plus grand bonheur de voir arriver un couple d'hirondelles rustiques, passer et repasser sur la terrasse couverte, dans un ballet incessant de gracieuses arabesques aériennes. Par habitude, nous donnons un nom à tous les animaux du jardin et les avons ainsi nommés Isidore et Anabelle. Dans leur langue, probablement "chiipputiiii et chiiiiiputtttiaaaa"... (Excusez-moi pour la traduction littérale de leur gazouilli).
Tout a commencé par des séances de haute voltige et de vocalises dignes des plus grands artistes de cirque et chanteurs d'opéra, avant de décider que notre terrasse couverte serait leur endroit de prédilection pour leur lune de miel. Après de moultes tentatives infructueuses, elles ont fini par débuter la construction d'un lit nuptial dans un coin supérieur bien abrité du plafond de bois, avec de la boue, de la paille et de la salive (je ne vous dis pas l'état du sol en-dessous). Après quelques semaines, Anabelle s'est confortablement installée dans son petit lit d'amour et s'est fait servir son repas au lit par Isidore durant quelque temps. (Messieurs, prenez-en de la graine! Petit déjeûner au lit tous les jours pour Madame!). Par pluie, vent, orage, elle n'a pas bougé d'un milimètre de son lit à baldaquin. Isidore, quant à lui, n'ayant qu'à faire chambre à part durant la période... (Heureusement, il y avait pas mal de Beds & Breakfasts à proximité). Puis un jour, Anabelle s'est mise à furieusement donner des coups de bec dans son lit. Non, non, ce n'était pas pour secouer la couette, ni aérer les oreillers... Et Isidore ne cessait de faire des aller-retours le bec rempli à ras bord du déjeûner (miam, miam, c'est bon les mouches et les moustiques!). Nous attendions donc avec impatience les résultants de l'heureux événement.
Quelques temps plus tard, le gazouilli s'est fait plus aigu, plus sonore, plus insistant surtout... Sont alors apparues quelques petites têtes blanches et noires: 1, 2, 3 puis 4... Nous les avons alors baptisés notre "Quatre Moustiquaires": Athos, Aramis, Porthos et D'Artagnan, le petit dernier...
Les parents ont été modèles: durant des semaines entières, ils n'ont eu de cesse que de venir nourrir leur progéniture, dans un ballet incessant (dur dur d'être parents...). Se relayant les nuits venteuses pour demeurer au chevet de leurs bambins dans des conditions de plus en plus inconfortables vu la place restreinte dans le nid. Et je peux vous assurer que ces petits goinfres n'en avaient jamais assez! Sans vous parler de l'état de la terrasse sous le nid ;-(. Puis, enfin, un midi ensoleillé où nous étions en train de prendre l'apéro, confortablement installés sur la terrasse, à moins de deux mètres du logement de nos petits amis, nous avons été envahis de la belle-famille... Sans gène aucune, virevotlant au-dessus de nos têtes, dans un brouhaha indescriptible. Une vraie réunion de famille digne d'une tribu sicilienne! Ils étaient des dizaines, à pépier et encourager nos quatre moustiquaires à sortir du nid et à prendre leur envol. Et peu à peu, après quelques essais maladroits et de bonnes chutes (heureusement sans conséquences), nos petits amis ont pris leur envol sous nos yeux. Un seul des quatres n'est malheureusement pas revenu d'une de ses premières ballades. Puis, les parents ont pris la route vers leur seconde résidence. Et fin de l'été, les trois moustiquaires restants ont fini par prendre la route du Grand Sud. A commencé alors une interminable attente hivernale, en espérant que nos petits pensionnaires reviendraient égayer notre terrasse dans leur nid douillet l'année suivante. Et Dieu que cet hiver m' a paru long cette année.
Et puis, un matin de cette semaine, entre les pépiements assourdissants des moineaux, mésanges, troglodytes et bergeronnettes, soudain une vocalise bien connue dans la cour intérieure... L'ombre d'un F16 noir et blanc aux cabrioles vertigineuses, qui se livre à des acrobaties aériennes entre la vigne et les vieilles poutres en bois massif de la terrasse. Les hirondelles sont revenues!!! Elles n'ont pas encore tout à fait repris possession de leur nid, mais cela ne peut tarder... Alors, avec elles, mon printemps à moi est revenu, lui aussi. Malgré la pluie et la température maussade ce WE (si, si, on annonce de la neige dans mon pays d'Ardenne!), nos hirondelles ont ramené le printemps dans mon coeur... Elles ne nous ont pas oubliés: nous faisons toujours partie de leur vie.
Alors, si même des êtres chers vous boudent et gardent le silence durant de longues années, cela ne signifie pas qu'ils vous ont banni de leur coeur ou que vous leur soyez indifférent. Peut-être ont-ils ce besoin de passer du temps dans d'autres contrées, sous d'autres saisons, en d'autres compagnies, et de vivre d'autres vies. Je continue à croire qu'un jour, ils reviendront là où un jour leur coeur a appartenu. Ne leur en veuillez pas. Et ne les attendez-pas non plus. Mais, le jour où ils refont surface chez vous: accueillez-les comme si c'était hier, sans reproches, les bras ouverts, avec gratitude et cette même tendresse. Une ancienne amie d'enfance m'a récemment recontactée après plus de 25 ans d'absence. Et son coup de fil m'a fait chaud au coeur. Et je me réjouis sincèrement de la revoir. Peu importe si nous n'avons plus d'anciens sujets en commun. Nous en aurons de nouveaux, bon sang!
Alors, si un jour, une hirondelle revient vous voir après de longs hivers d'absence... Ne l'ignorez ni ne la repoussez pas. Accordez-vous simplement de lui laisser faire votre printemps...
2 Comments
didier Caffonnette
9/5/2016 11:19:45 am
Le coup des hirondelles c'est bien craquant !.... Et bye the way on est pas obligé de perdre ses amis de vue pour les retrouver 20 ans plus tard !..... On peut aussi juste continuer à les voir de temps en temps ! LOL.
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Vero
11/5/2016 12:41:49 pm
As tu au moins vu la page de ce site qui t'est dédicacée, cher Didier? (Bibiothèque de bord/Voyages dans l'Art/Portrait d'un Sculpteur)
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August 2023
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