On affirme que seuls les hommes parlent d'elles ainsi. Que les femmes n'y sont pas sensibles. Je dois donc faire l'exception...
Titine, ma douce Titine,
C'était il y a douze ans... Tu es née à Cologne, en Allemagne un 30 janvier. Et ton baptême fut célébré le 6 mars, où tu fus prénommée des chiffres et des lettres XFH344. Ton prénom fut modifié à plusieurs reprises au cours des années. Mais pour moi, tu devins pour toujours ma “Titine”. Ta peau de nouveau-né était douce. Elle fleurait bon le cuir neuf. Qu’il était bon caresser ta peau d’ébène pour la première fois. Tu ronronnais comme un chaton, souple, pleine d’énergie, rapide et jouette en nous faisant découvrir ensemble ton caractère indépendant et quelque peu rebelle. Je t’ai immédiatement adorée. Et nous sommes rapidement devenues inséparables. Sous tes dehors sans prétention, se cachait un caractère vif, nerveux, puissant. Sous ta silhouette modeste et ta petite taille, tu recélais des qualités cossues, racées, modernistes et résolument sportives. Au dehors, une apparence sans grand interêt au premier abord. Au dedans, tu étonnais les plus incrédules et adorateurs de grandes dames. J’étais fière d’entendre ces messieurs qui ne juraient que par les top modèles, stars du car-walk, finalement avouer “Mmm, oui, tout compte fait, vraiment pas mal, cette petite... “, lorsque tu les emmenais pour une promenade.
© Photos – Rêvesdemarins
Arche de Noé
Tu as été mon vaisseau, ma nef, ma barque, mon radeau de sauvetage, mon arche de Noé.
A trois reprises, j'ai failli te perdre dans les méandres de mes changements de vie. Cependant, à chaque fois, j'ai toujours trouvé le moyen de te garder près de moi. Peu importe la paperasse, les coûts ou les embarras que ta ré-adoption allait engager. C'était plus fort que moi : je ne parvenais pas à t'abandonner. Il me fallait ta présence à mes côtés.
Tu as été ma plus grande histoire d’amour. Tu as emmené mon cœur, mon corps, mon âme, dans des voyages inoubliables. Tu as vu naître et mourir mes plus grands et mes pires moments. Tu as vu mon cœur s’emballer et se déchirer. Tu as soigneusement gardé ses secrets. Tu m’as laissé décider du cap et nous emmener dans des mers dangereuses, bordées d’ecueils et de rochers sous-jacents. Dans des océans de bonheurs que je pensais inaccessibles. Pour y parvenir, tu en connaissais les chemins secrets qui ne sont repris sur aucune carte. Et toujours, tu m’as ramenée à bon port.
Tu m’as poussée dans mes retranchements, bien au delà de mes limites, bien plus loin que ma raison. Et bien au delà de mes espérances. Avec toi, j’ai cru mourir quelques fois, de chagrin, de désespoir, de folie ou de désespérance. Le cuir de ton carré en porte encore les marques. Leurs formes y sont restées à jamais imprimées. Tu m’as accompagnée dans mes raisons et dans mes déraisons, sans jamais me juger, sans jamais me lâcher. Tu m’as épaulée dans mes envies, mes rêves et mes cauchemars. Tu m’as relevée dans mes échecs, mes déceptions et mes désespoirs. Sans relâche, j’ai toujours pu compter sur toi. Tu as été mon refuge secret, mon île au trésor, mon atoll doré, mon repère de consolation.
Ton toit se transformait en lac immense aux reflets du soleil couchant. Et des couchers du soleil, j'en ai vu des milliers en ta compagnie ! Tes rétroviseurs me laissaient souvent profiter des tons chatoyants du crépuscule qui s'éloignait de moi, un peu plus longtemps alors que le chemin sombrissait devant nous.
Tu as écouté mes joies, mes larmes, mes colères, mes fureurs, mes haines et mes absences. Tu les as épanchées, apaisées, acceptées. Tu as été ma confidente, ma sœur, mon confesseur intime. J’ai toujours pu me réfugier dans ton cocon lorsque le monde me semblait trop petit pour me porter.
© Photos – Rêvesdemarins
Déchéance
Les grands ports te seront bientôt interdits, Bruxelles, Anvers.... « Trop polluant ton moteur », disent-ils.... Alors que ces milliers de cargos que nous croisons tous les jours sur nos routes, en mer et dans le ciel en recrachent, eux, mille fois plus. Mais, eux, on ne les juge pas. Ils rapportent trop aux magnats de l'économie.
Douze ans de bons et loyaux services sur plus de 293.309 milles terriens. Une performance en soi. Et toujours aussi belle.... De l'extérieur, tu ne fais vraiment pas ton âge. J'ai pris grand soin de toi durant toutes ces années. Et pourtant...Ton moteur se meurt en silence. Ta carène porte quelques rares rides et cicatrices de ton âge. Ton électronique rend l’âme, petit à petit. Ton safran vacille. Et chaque réparation ne se peut plus qu’un bricolage de fortune avant qu’une autre pièce ne décide à rendre son dernier souffle. Ton préparateur ne sait plus où donner de la tête pour te faire tenir la mer encore...
Tu vogues toujours, mais pour combien de temps encore ? L’hiver approche et la saison qui te fait tousser, gémir et te donne des courbatures. On me dit qu’un beau jour tu t’éteindras et cesseras de me porter, qui sait en pleine tempête. On me dit qu’un beau jour, bientôt, tes forces t’abandonneront malgré ton incroyable courage. J’ai peine à le croire. Tu restes pour moi une fringante nef, jeune à jamais dans mon esprit. J’avais espéré passer le cap des 300.000 milles avec toi. Et la tentation m’est grande de te garder jusqu’au dernier moment et de vivre ta fin avec toi. Hélas, la raison dit autre. Terrible et implacable raison...
© Photos – Rêvesdemarins
Notre dernier voyage ensemble
Je t’ai refait une beauté, je t’ai bichonnée ce dernier matin. Et toutes deux vêtues de noir, nous avons largué les amarres pour une dernière navigation en tête à tête, toi et moi. Dieu que j’ai aimé poser les mains sur ta barre à roue chaleureuse, sur tes manettes de cuir, sur les sièges de ton cockpit quelque peu sculptés à mes formes par le temps. J’ai aimé ta silhouette, la courbe de ta carène sombre, à la fois sportive et sensuelle. Aucun autre top modèle du car-walk n’a à ce jour dépassé ta beauté. Et lorsque le moment est venu de se faire nos adieux, j’ai posé un dernier tendre baiser sur ta peau irisée. Et je me suis enfuie pour que tu ne voies pas le perlé de mes joues.
Un hivernage dans le grand Sud
Il paraît que tu vas peut-être t’envoler pour un dernier hivernage. Dans le grand Sud, avant de commencer une nouvelle vie et profiter de ton troisième âge au soleil, loin des brumes d’automne et des gelures hivernales. J'espère que ton prochain amour, là-bas, s’occupera bien de toi. Qu’il prendra bien soin de toi et te refera une santé, au loin dans les terres africaines...
Quant à moi, j’ai rencontré celle qui te suivra. Ta sœur cadette de douze ans. Un top modèle qui te ressemble comme deux gouttes d'eau, mais avec la fringance, les bijoux et les vêtements de la dernière mode. Elle est très jolie et en pleine santé de sa jeunesse. Oh, je sais que nous nous entendrons bien. Cependant, ce ne sera pas la même chose. Ce sera, avec elle, une nouvelle destination, une nouvelle manière de voyager et de nouvelles aventures. Je l'espère du moins. Mais jamais elle ne pourra te remplacer vraiment. Il y a des deuils qu'on ne fait jamais tout à fait. Tu as été unique. Adieu, ma Titine... Merci de ce long bout de chemin à mes côtés. Tu as été formidable. Tu me manques déjà.
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August 2023
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