Amiral, Capitaine, Lieutenant, Midship, Quartier-Maître, First Mate, mousse, matelot... Des titres qui comportent une logique implacable en mer. Un petit billet sur les titres honorifiques ce dimanche.
The Sea-Suite
Sur un navire, comme à l’armée, les titres ont été inventés pour une raison impérative: celle de clarifier la chaîne de commandement et des actions à prendre. En cas de crise, tempête ou bataille navale, on n’a pas le temps de tergiverser sur qui fait quoi. Chaque homme a sa place et ses ordres. Chaque marin doit savoir exactement ce qu’il est attendu de lui et ses activités sont très précises. Chacun remplit un rôle et une spécialisation précise : canonnier, pilote, midship man, barreur, gabier ou encore capitaine. Un navire à voile exige une discipline claire et comprise de tous. Les termes (le langage) utilisés se doivent d’être absolument sans équivoque pour tous, de manière à ne perdre aucune précieuse seconde dans les moments critiques. L’organisation d’un navire se doit d’être une machine aux rouages impeccables, bien huilée et sans failles. Une seule pièce de la construction vacille et l’ensemble du navire peut en subir les conséquences. Les marins d’antan avaient bien compris cette exigence. Et tout naturellement, la structure de l’équipage, des instructions et de l’organisation hiérarchique ont fait partie de la vie à bord.
En mer, on a la "Sea-suite" : un titre aussi, qui donnait jadis à bord, droit à la meilleure cabine, au miroir pour se raser, aux rations de repas les plus larges, aux morceaux de pain les moins rassis et au plus bel uniforme aux boutons brillants. Une culture “top-down”, me direz-vous ? Et oui... Pas trop d’espace pour les palabres de consensus ou interminables négociations. Et si le capitaine était un fumier ou un incapable, me direz-vous ? Bien, pas vraiment de chance, il vous restait à le supporter, ou à lancer une mutinerie... En mer, les vrais titres sont ceux que la mer leur accorde...
Heureusement, dans la voile moderne, les rôles se sont quelque peu flexibilisés. Les capitaines ont délégué une partie de leurs tâches à un équipage travaillant bien en équipe avec des hommes qui s’entr’aident. Toutefois, en cas de pépin, le capitaine reste envers et contre tout celui vers qui on tourne les yeux et qui doit prendre les décisions délicates.
En mer, le titre, on se doit de le mériter. Il est lourd à assumer. Le skipper est responsable de son équipage. Le capitaine porte le poids de son navire sur son rang. Pas question de se cacher derrière un titre face aux éléments et à la force de la nature. En mer, on peut se targuer de ses actes, pas de son grade. À bord, on est fier de remplir son rôle pour le bien de tout l’équipage, pas de sa renommée personnelle. Et les marins du dernier Vendée Globe viennent une fois de plus de le prouver en se déroutant pour secourir leurs pairs en dérive, faisant fi de leur classement de course. En mer, les vrais titres sont ceux que la mer leur accorde. Un capitaine, c’est avant tout un être courageux, solidaire, humble, créatif et résilient face à l’adversité. Son nombre de barrettes se compte à son nombre de milles en mer et de situations délicates gérées avec brio, entr’aide et modestie...
The C-suite : what’s in the name ?
A terre, on a l'autre suite... "The C- Suite" : Chief Executive Officer, Chief Operations Officer, Chief Digital Officer, Chief Happiness Officer, Chief Fool Officer... Et on n’en finit pas d’en créer de nouveaux, plus originaux les uns que les autres. Dans ce monde-ci, les titres honorifiques sont légion. Et les dernières années ont accéléré la tendance.
Au départ, vraiment représentatifs d’un contenu de rôle et de responsabilités, ils ont fini par devenir plutôt un statut, une manière de prouver une position, une autorité de décision et un contrôle des choses vis à vis du monde extérieur surtout. Ils ne coûtent rien et sont donc des outils souvent utilisés pour attirer des candidats, promouvoir une fonction vacante ou faciliter une vente. Un titre crée de la confiance, donne une présence et une raison d’être. Un titre, c’est comme une couverture bien chaude qui couvre les vêtements rapiécés, comme une cape de visibilité, un galon sur l’épaule. Il donne le droit de dire, de faire ou de décider. Il justifie un statut, un niveau, une prestance. Le titre devient incontournable sur un curriculum vitae, une page de profil. Il sert de porte d’entrée, de carton d’invitation. Et certaines sociétés ou personnes s’en servent allègrement. Et lorsqu’on doit trouver du travail, on a aujourd’hui peu de choix que celui de jouer le jeu du paraître. Heureusement, les bons recruteurs verront souvent au-delà d’une appellation chique sur un bout de papier. Dans le monde professionnel terrestre, c'est encore un peu pareil au passé : le titre le plus élevé donne encore souvent droit aux privilèges : la plus grosse voiture ou le chauffeur, le prestigieux bureau de coin, l'accès au restaurant des membres exécutifs, le téléphone dernier cri, et la superbe carte de visite... Même si ceci est en train d'évoluer vers un système moins visible, plus égalitaire (en surface du moins) et où les titres deviennent une forme de reconnaissance personnelle. N'est-t-il point plaisant d'être appelé "vice-président", "managing director", "président directeur général" ou encore "senior exécutif" ? Cela flatte l'égo, rassure et donne une importance vis à vis des autres. Cela donne un sens à une carrière parfois ou à une aspiration d'être reconnu comme quelqu'un "qui compte". Alors, pourquoi se priver de faire plaisir, diront certains ? A méditer...
Capitaine de rafiot
Et pourtant, que se cache-t-il réellement derrière une dénomination ? Après presque trente ans de pérégrinations dans le monde professionnel, principalement dans des grosses structures internationales, j’en ai vu des titres ronflants, des blasons dorés et des cartes de visite pompeuses. Et soyons honnête, j'en ai fait moi-même l'expérience (ce dont je ne me plains nullement puisque cela m'a clairement ouvert des portes).
What's in a name ?
Comme en mer, la taille du bateau qu’on dirige n’a vraiment pas d’importance. Le navire peut être modeste, voire petit en taille ou méconnu des listes des grands mécènes. La qualité du capitaine en demeure tout aussi primordiale. La complexité vient souvent d’ailleurs et le titre ne reflète pas toujours les difficultés qu’un rôle doive affronter. Conduire un cargo de trois cents tonnes où tout se fait par le pilote automatique dans une mer plate est-il réellement plus laborieux que de faire avancer un petit voilier ou un rafiot en pleine tempête, en équipage réduit et sans moteur ? Un skipper de PME est-il moins respectable qu'un CEO de multinationale ? Il doit tout savoir faire, avoir l'oeil sur tout, gérer ses finances comme un bon père de famille et jongler avec les moyens du bord, souvent bien moins généreux que dans des grosses structures. Il mérite tout autant son titre de capitaine...
Alors, ne jugeons pas sur les titres. Regardons derrière la carte de visite et les galons dorées (ou le costume cravate)... Et découvrons les vrais capitaines de ce monde.
Sur cette petite réflexion, je vous souhaite un excellent dimanche. Et un très bel anniversaire à JM, un de mes capitaines préférés (dont la stature et le grand coeur valent bien plus que tous les titres et les uniformes à barrettes :-)).
1 Comment
JF Burguet
17/1/2021 12:34:50 pm
Merci, très vrai et bien écrit !
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August 2023
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