"Soudain, seuls...." : le titre d'un roman de mer fabuleux et à la fois terrible que je viens de terminer. Une auteur que j'aime beaucoup: Isabelle Autissier. Navigatrice française, première femme à avoir accompli un tour du monde en compétition; En 1999, au cours d'une course en solitaire autour du Monde, elle survit à un incroyable chavirage à 25 nœuds où son bateau reste à l'envers, dont elle réchappe de justesse. Femme de volonté et pugnacité, et la fois émouvante et admirable. Bref: comme je les aime.
Le récit du roman? Un couple de trentagénaires décident d'entreprendre un voyage à la voile en couple entre la Patagonie et le Cap Horn. Ils font escale sur une île au bout du monde (malgré l'interdit) pour y découvrir une vie sauvage, au climat extrêmement rude, une ancienne base de baleiniers abandonnée où la nature et la faune ont repris leurs droits sur l'Homme. La météo se dégrade. Une tempête se lève alors qu'ils sont en balade de reconnaissance des lieux. Incapables de passer les vagues qui séparent l'annexe de leur voilier, Jason (en raison d'une houle violente), ils décident alors de passer la nuit à l'abri dans l'ancienne base avant de rejoindre leur voilier amarré dans la crique. Au petit matin, lorsque la tempête s'est enfin calmée, les deux navigateurs se lèvent pour rejoindre leur embarcation. Mais la crique reste désespérement vide: Jason a disparu... Ils se retrouvent prisonniers de cette île abandonnée du monde civilisé, sans aucun matériel de survie ni radio... Débute alors une lutte implacable pour la survie envers et contre tout...
Et cet ouvrage m'ouvre une bonne entrée en matière pour vous parler de ce sujet délicat qu'est la Solitude...
" L'Océan est l'endroit où l'on est le moins seul au monde, en communion avec nos semblables. Là, la valeur de l'humanité s'exprime vraiment. " (Alexis Guillaume)
Bien sûr, au premier abord, nous avons tendance à confondre Isolement et Solitude. Si ce premier est presque toujours porteur de larmes et souffrance, la Solitude, malgré sa consonance triste, peut, elle, toutefois s'avérer une source de grand bonheur, et même de très beaux moments. Laissez-moi vous expliquer.
Il y a bien évidemment la Solitude de l'être délaissé, abandonné ou qui a perdu son compagnon d'âme par les circonstances de la vie. Celle de l'enfant sans parents, de l'apatride, de la personne esseulée de par sa différence avec le reste de la société. Il y a ensuite la Solitude au milieu de la foule... On peut se sentir totalement seul parmi des milliers. N'avez-vous jamais participé à un événement social où vous aviez le sentiment de ne pas être à votre place, de ne pas pouvoir être vous-même, de vous sentir incompris ou invisible pour les autres? La Solitude face à un examen, une prestation en public. Celle d'une décision critique à prendre. La Solitude du silence du malentendant, ou la nuit de l'aveugle. Celle du malade dont aucun être ne peut réellement comprendre la douleur, celle de la peur que rien au monde ne parvient à calmer ou encore celle de la perte de mémoire ou de la folie, dans laquelle personne ne peut plus pénétrer... La Solitude touche tout un chacun: le SDF tout comme le milliardaire, à n'importe quel âge. Elle survient soudainement, ou s'installe insidieusement dans une existence. Elle est souvent inévitable et il nous faut donc trouver un moyen de l'apprivoiser, d'apprendre à vivre avec cette nouvelle compagne. L'Homme est un animal social: il est donc rarement seul par choix délibéré. La société dans laquelle j'ai grandi considère, à mon sens du moins, fréquemment le couple et le fait d'avoir des enfants comme la norme sociale. Passé la trentaine, les célibataires ou les sans enfants sont trop souvent silencieusement jugés, à tort, comme des indécis, des égoïstes, des workholics, des loosers ou de ceux qui n'osent pas s'engager. Bien entendu, la société est en train de changer et heureusement, les normes sont en train de se modifier. Mais il n'est pas évident d'affirmer son choix ou sa résultante de vie comme tels, ou de clamer son bonheur selon un mode de vie "différent" des standards. Cela nécessite du courage, du caractère et un regard positif sur les choses. Une amie proche à Paris a récemment perdu son mari des suite d'une maladie grave. D'origine étrangère, loin de sa famille, tout juste pensionnée, elle a pourtant trouvé le courage d'affronter sa nouvelle situation et s'emploie jour après jour, à dompter sa Solitude. Et si fait, peut-être même à l'apprécier quelque peu à l'avenir. Elle s'autorise aux larmes, aux rires, aux moments de silence. Elle prend les moments tels qu'ils sont: simplement, sans honte ni regrets. Et je suis absolument certaine qu'elle finira par trouver un modus vivendi avec sa Solitude à elle.
J'en reviens à la Mer, la Voile, le Voyage en Solitaire.
Dans nos vies à du deux cents à l'heure, je considère les moments de Solitude comme de bienfaisants silences. Ils me permettent de me ressourcer, de réfléchir plus clairement, de me rapprocher de la nature, de moi-même. Tous les vrais passionnés de voile vous diront qu'il n'y a rien de plus magique qu'une nuit étoilée à la barre, de quart, seul avec le firmament. Ou le quart du petit matin pour aperçevoir le soleil se lever à l'horizon et voir le violet se muer en orange sur l'eau de l'aube. Que dire alors d'une navigation en solitaire: elle doit procurer un plaisir incomparable: le sentiment d'entrer en symbiose avec la nature, d'union avec les éléments; de devenir "le monde" à soi tout seul, en dépassement de soi. J'ai également retrouvé ces sensations dans une descente en solo en haute montagne (je comprends un peu mieux les bergers à présent), dans la lecture d'un bon livre devant un café bouillant dans un bistrot ou encore dans mes voyages en route, seule, vers l'inconnu... Pas étonnant que tant de navigateurs se lancent dans l'aventure d'une traversée en solitaire. Ces Solitudes-là permettent de faire des rencontres imprévues, des découvertes de soi inespérées, des retrouvailles avec son âme. Elles sont nécessaires, je pense. Et même s'il m'est aisé d'en parler vu ma situation de vie relativement confortable comparée à bien d'autres, je ne peux que vous encourager à les affectionner au lieu de les craindre. " La solitude est douce, l'âme s'y berce dans ses rêves. " (Félicité Robert de Lamennais - Pensées diverses, 1854)
Alors, si vous rencontrez la Solitude un de ces jours, souvenez-vous de cet humble billet: ne lui tournez pas le dos. Considérez-la comme une nouvelle chance...
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August 2023
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