Tous ceux d'entre vous qui ont déjà pratiqué quelque peu la navigation vous le diront : en mer, tout comme le temps prend une autre dimension, les contacts humains semblent, ainsi, eux aussi, prendre un tout autre envol une fois des individus rassemblés sur un navire de petite taille. Les relations sociales peuvent ainsi paraître plus fortes, plus sincères. Plus profondes ou même parfois plus brutales aussi. Les circonstances obligeant quelques personnes à cohabiter dans un espace restreint, confiné et sans issue pour s'échapper pour reprendre une bouffée d'oxygène hors du cercle social, souvent dans des conditions d'inconfort, de défi ou même de difficulté. Je ne vous parle pas ici d'un paquebot de 4.000 passagers avec 5 piscines, 10 restaurants et 3 salles de cinéma. Sur ce genre d'embarcation, on peut éviter les autres à souhait et passer toute une traversée en ermite si on le désire. Jetons donc un coup d'oeil à ce phénomène sociologique particulier, le temps d'un billet.
Ordre Alphanautique
Pour analyser la logique des interactions humaines en bateau, débutons tout d'abord par une petite mise en contexte.... Les raisons qui peuvent mettre les relations humaines à rude épreuve en mer sont nombreuses ; la météo, l'état de la mer, la température, les avaries, le mal de mer, les diversités de caractères et de niveaux techniques des membres d'équipage, la peur, l'inconfort, la promiscuité et tant d'autres... Le rôle du capitaine demeure donc critique en matière de gestion d'humain pour que tout se passe bien à bord.
Plus on est de fous, plus on fourbit...
Sur un voilier, il est fréquent de souhaiter avoir un nombre d'équipiers à bord pour permettre la réalisation des manoeuvres et des quarts avec suffisamment de mains. Les skippers seront donc souvent heureux d'accueillir un nombre conséquent de personnes motivées (et idéalement relativement habiles) pour leur prêter main forte à chaque empannage, virement de bord, maniement du spi, de l'ancre ou des amarres. Mais, tout avantage comporte son revers : plus on est de fous, moins on a de place ! Et l'espace confiné d'un navire a tendance à rapidement devenir invivable sans une bonne discipline de bord, à commencer par le rangement.
D'abord, parce qu'il est important que chacun sache précisément où tout se trouve (comme les voiles, amarres, barre de secours, matériel de survie, outillage, secours ou autre). Ensuite, parce que cela évite le temps perdu à chercher dans la cabine, surtout lors d'un moment critique ou tout simpement par une bonne houle ou un tangage désagréable (surtout si l'on est quelque peu sujet au mal de mer). Tout simplement par sécurité : les OVNA - Objets Volants Non Arrimés - , tels que boîtes de conserves ou tasses de café supersoniques restent à éviter. Ensuite, parce qu'il n'est pas particulièrement agréable de devoir vivre dans un espace sans dessus-dessous (la gîte s'en occupe déjà toute seule ! ), où les tartines de confiture ont décidé de faire ménage à trois avec le produit vaisselle et l'huile de moteur. Et où vous bénéficiez d'une séance gratuite de peeling aux miettes de pain et pois cassés à chaque fois que vous rentrez dans votre sac de couchage. Enfin, une certaine hygiène de vie contribue à une meilleure ambiance entre les différents membres d'équipage, même s'ils devront s'adapter un peu aux normes de leurs compères (dans un sens ou l'autre). Bref : un peu d'ordre à bord n'a jamais fait de tort...
Le Grand Restaurant
Plus on est de fous, plus on nourrit...
Inutile de vous expliquer que plus on est à bord, mieux il vaut prévoir l'avitaillement. Et si les goûts alimentaires diffèrent, en mer, on n'a pas toujours le luxe d'un menu d'un restaurant étoilé. Mais, comme les journées sont réglées au rythme des quarts et des repas, on fera un effort tout particulier pour offrir à l'équipage de quoi reprendre des forces en tenant compte des désidératas de chacun dans la mesure du possible. Evidemment, la préparation de pâtes carbonara aux oignons frits, fromage et crème et leurs douces effluves venant gentillement caresser vos narines à 2h du matin, constitueront parfois un réel défi en soi (surtout si votre estomac a décidé de rendre l'âme au moment de la préparation du repas ;-)).
© Photos - Rêvesdemarins
Sailmates, Soulmates...
Enfin, si les voyages forment la jeunesse, les équipages forment la tendresse...
Plus on est de fous, plus on empatit...
En mer, comme en montagne, la solidarité et l'entraide sont de mise. On est censé travailler en équipe, encourager et s'occuper des plus faibles et partager sa connaissance. On attend de la compréhension et de l'empathie pour ses compagnons de voyage. Et aux moins doués de compenser en apprenant et s'occupant des dizaines d'autres petites choses à faire en chemin, histoire d'ajouter leur pierre à l'édifice à leur manière. Chacun a besoin des autres à un moment où l'autre. Alors, dans une bonne équipe, tout le monde y met du sien, sans juger les autres. Sans mentionner que dans les ports, comme en mer (ou en montagne d'ailleurs), il existe une incroyable convivialité spontanée entre des gens qui ne se connaissent pas.
Dans ces contextes, pas moyen de paraître. Inutile d'essayer d'avoir l'air. (De toute manière, la fatigue, le confort relatif et la météo s'occuperont de ruiner votre coiffure, votre maquillage ou votre menton rasé de près). On n'a pas le choix que de se montrer soi-même. Des conditions idéales pour ouvrir la porte à des discussions ouvertes, vraies, où les sujets les plus inattendus ou personnels peuvent être abordés sans gène. Un peu comme dans une "bulle" où l'on n'a plus besoin de se protéger, dans un monde où tout devient aisé à exprimer. Et de là demeurent des moments forts, naissent parfois ou se renforcent des amitiés sincères.
Plus les années passent, plus je deviens ours... (non, je n'ai pas regardé trop de films de Walt Disney... ). J'entends par là que j'aspire de plus en plus à me retrouver dans des cercles sociaux plus restreints, au lieu de réunions de grands groupes. Et je me surprends, ces derniers temps, à redouter les foules dans ma sphère privée, qui me pompent de l'énergie au lieu de m'en donner. Ma vie professionnelle m'obligeant déjà à jouer au networker et à l'orateur devant des audiences pour une large portion de mon temps. Deviendrai-je donc asociale ? Pas vraiment. Mais, plutôt par besoin de contacts humains plus profonds, moins superficiels. Un peu comme si mon capital de sociabilité s"étiolait lentement, l'âge avançant... Les relativement petits comités, où l'on peut aller à l'essentiel, sans "small talk", "paraître", ni "accessoire", me conviennent donc parfaitement en ce moment. Et ceux de la voile semblent répondre à cette attente aujourd'hui. Une raison de plus de poursuivre ma quête nautique !
Alors, merci à tous mes Sailmates, Soulmates, pour ces petites "bulles" d'oxygène qui me font tellement de bien. Un excellent dimanche à tous !
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AuteurArchives
August 2023
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