Quart de Nuit - Libérez le marin qui est en vous...
Cela ferait bien un bon slogan publicitaire, comme pour un parfum, un produit de beauté ou une crème soi-disant rajeunissante, non ? Toutefois, ce billet ne vous vantera, hélàs, point les qualités ou le secret d'une nouvelle lotion de jouvence... Mais, ne coupons pas les cheveux en quarts... Partons plutôt pour un petit séjour au gré des divers tours de l'horloge ce WE.
Passation de Quartiers
Une vie de marin ne serait pas tout à fait complète si elle ne comportait pas de navigation dans tous les temps et à tout moment, à savoir, de jour comme de nuit. Et pour ce faire, le capitaine a souvent soin de répartir les heures en quarts. de veille entre les divers membres d’équipage. Que ce soit pour continuer à barrer pour poursuivre sa route, pour vérifier que l’ancre ne se détache pas durant une nuit de relâche, pour tenir les amarres à l’oeil durant un coup de vent au port ou encore pour alterner de chef cuisinier... En tout moment, le navire doit rester sous surveillance.
Au temps de la marine à voile, les équipages étaient répartis en deux quarts, celui de bâbord (les bâbordais) et celui de tribord (les tribordais) afin de les différencier aisément, sous la direction d'un chef de bordée ou chef de quart. La cloche à bord servait, notamment, à annoncer les changements de quart. Elle rythmait la vie à bord des navires toutes les demi-heures jour et nuit, un coup par demi-heure, deux coups brefs par heure, à chaque demi-heure un sablier était retourné pour mesurer le temps. Aujourd’hui, les durées et nombres de quarts sont très variables en fonction de la taille de l'équipage et du type de navire. Lorsqu'un quart est de repos on parle de « quart en bas » (même si l’on dort en haut, dans le cockpit... ). Idéalement, on tente d’organiser des quarts de deux à quatre heures environ, de manière à permettre le repos nécessaire à chaque membre d ‘équipage, tout en garantissant une veille continue du navire. La passation du quart au veilleur suivant exige une information complète de la situation telle que la position sur la carte, cap, vitesse, profondeur, marée, courant, météo, visibilité, allure, routes à suivre pendant le prochain quart, navires et amers en vue, variation compas, communications, sécurité, Instructions particulières du capitaine, etc.
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Quarts de Nuit en Mer
BIen entendu, les quarts de jour semblent plus simples et plus confortables que ceux de nuit : la lumière du soleil, le rythme quotidien, la visibilité, la température, la bonne humeur, l'état physique de l'équipage et j'en passe.
La nuit, tout semble un peu plus ardu à gérer : le froid, le besoin de sommeil, l'humidité, le manque de visibilité, le sentiment de solitude, la navigation à l'estime, la peur aussi parfois. Mais n'allez pas croire qu'un quart de nuit soit dénué de charme, que du contraire ! Un quart recèle la magie d’un firmament de nuit claire à compter les étoiles filantes, le silence du crépuscule, un lever de lune ou de Vénus ou la majesté des couleurs de l’aube et laisse souvent ainsi des souvenirs impérissables. Des moments privilégiés pour des discussions profondes, l’introspection et la redécouverte de soi-même. Toujours l’occasion de revoir ses leçons de définition d’un cap, de lecture de la carte, d’utilisation de la VHF et le moment jouissif de pouvoir remplir le journal de bord avec sa position, les conditions de navigation et toute remarque importante pour le quart suivant. Souvent, un jeu de défi pour les adeptes des casse-têtes, notamment celui des kaléidoscopes des feux de signalisation des bouées, navires et amers que l'on croise. Parfois aussi l’occasion de faire monter l'adrénaline pour régler les voiles, pour ariser dans un grain, pour écoper dans le carré après un gros paquet de mer invasif parce qu’on a négligé de fermer le hublot de descente, ou encore pour éviter un bateau de pêche non signalé sur l’AIS ou un cargo mal luné qui n’a nulle envie de se détourner pour un lilliputien à voile sur sa route. Bref, la nuit, on ne s’ennuie jamais à bord...
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Les Chronophages
Dans la majorité des cas, les heures s'envolent souvent au... quart de tour à la voile (tout passe toujours trop rapidement lorsqu'on s'amuse),
Si les quarts de nuit peuvent sembler longuinets en mer (surtout celui entre 2 et 5h du matin) ou par mauvaises conditions, les quarts de jour, à leur tour, peuvent parfois sembler interminables... Par exemple, dans la file pour faire le plein à la station essence du port, devant l'entrée d'un chenal ou d'une écluse en attendant son tour. Dans un vent contraire qui nous oblige à tirer des bords chronophages pour parvenir à atteindre le cap espéré. Dans une grosse pluie bien grasse, qui nous laisse trempés jusqu'aux os, comme de pauvres chiens ayant passé la nuit dehors sans abri. Ou, pire, pour le marin malheureux en pleine discorde naupathique avec ses entrailles, et qui, à ce moment, donnerait tout pour avancer sa montre de quelques heures pour déjà retrouver le plancher des vaches et faire cesser le jeu de yoyo à son estomac.
Quart de Jour sur Terre
A l’hôpital, dans les services de traitement ambulatoire oncologique, les quarts de jour se succèdent semaine après semaine, mois après mois.. Et les heures y passent souvent lentement sans toutefois se ressembler. Des quarts de deux, quatre et parfois même jusqu’a huit heures de veille ininterrompue. Parfois avec le mal de terre, le froid glacial ou la chaleur accablante et où le corps se sent tiraillé et gémit de partout, amarré à son mât où pendent des gourdes de potions aux pouvoirs régénérateurs et qu’on espère vraiment magiques. Parfois, le temps s’écoule en douceur, sans heurts ni désagréments. Parfois le quart a lieu en solitaire. Parfois en solidaire, accompagné de la présence bienveillante d’autres membres de l’équipage.
Cette semaine-ci, un de mes marins a appris qu’il n’atteindrait plus son port d’attache et que sa navigation allait bientôt se terminer, bien plus tôt que prévu. Une nouvelle difficile, qu’on espère ne jamais avoir ni à annoncer ni à apprendre. Alors, j’ai passé son quart à ses côtés. Un quart épuisant, énergivore, entrecoupé de paquets de mer et leurs larmes salées, les yeux plissés du marin pour ne pas les laisser le submerger face à moi. Une discussion profonde, sans masque, simple et touchant à l’essence même des choses. Et si je suis rentrée, moi, éreintée, mais à bon port ce soir-là, je suis heureuse d’avoir tenu bon la barre avec ce marin-là pour une de ses dernières navigations de quart. Et je serai là pour ses quarts suivants et pour les autres marins suivants. On n’abandonne pas vraiment un navire dans la tempête ou la tourmente, même pas durant les quarts des autres.
Sur ces réflexions intemporelles, je vous souhaite à tous un excellent dimanche. Et si c’est votre tour de prendre un quart, qu’il se déroule le plus agréablement possible !
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AuteurArchives
August 2023
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