Peur en Mer
Evidemment, il y d'abord celle des Marins.
La peur ancestrale: celle de ne pas rentrer, des monstres marins, des tempêtes, de ne pas savoir ce que cache la ligne de l'horizon. Les Vikings pensaient que le monde s'arrêtait au bout de la mer. Et pourtant, ils ont prouvé haut et fort qu'ils étaient capables de surmonter leurs angoisses et d'aller bien au-delà de cette fameuse ligne, mais en outre, de la repousser sans cesse (par exemple, jusqu'au Canada). La peur de s'embarquer lors d'une navigation qui s'annonce difficile. Celle du brouillard par exemple, au centre d'une Shipping Lane, dans lequel on a l'impression de déambuler comme des Lilliputiens au beau milieu d'un jeu de football dont les équipes ne sont autres que des Goliaths et des Titans. Et où notre corne de brume nous paraît soudain un petit miaulement de chaton à côté de l'immense silence ouaté, ou du "toooot" assourdissant des monstres de fer invisibles.
La peur de l'incident alors. Peur que Nelson ou Archibald (les petits noms du moteur) ne nous abandonne à mi-chemin. Que la voile ne se déchire lors d'un grain ou encore que le mât ne rende l'âme lors d'une manoeuvre dangereuse.
La peur de l'accident ensuite. Celle d'une collision avec un navire imprudent qui ne respecte pas les prioritiés de tribord amures. Celle de croiser la route d'un OFNI (conteneur, cétacé, débris, arbres ou autres périls du genre). Celle d'un homme à la mer. Celle d'une voie d'eau qu'on ne peut combler et qui nous oblige à quitter le bord pour s'installer dans une coquille de noix orange pour une survie précaire sur la Grande Bleue, en attendant les secours, qui ne nous trouveront peut-être jamais à temps. Ma peur à moi en mer? Au début de mes navigations: tout simplement le désagrément d'une forte (ou même moyenne) gîte sans trop savoir comment la gérer. Mais ma plus grande peur a probablement été celle du mal de mer, que je ne contrôlais en rien malgré les médicaments et les astuces les plus créatives (regarder la ligne d'horizon, s'activer, les bracelets, les lunettes spéciales, les patches derrière l'oreille, sans oublier les incantations à la cohorte des Dieux de la Mer, qu'ils soient grecs, romains, celtes, aztèques ou même égyptiens... ). Depuis lors, j'ai eu la chance de naviguer sur des voiliers avec des équipages qui m'ont appris à appréhender ces angoisses et m'ont permis de profiter au mieux de mes sorties en mer. Merci à ces bons samaritains de la voile! Dans ce moment de panique, je n'ai peur que de ceux qui ont peur. (Choses vues, Victor Hugo)
Peur de Soi-Même
Cette peur-ci est terrible... Mon anecdote du mal de mer s'y apparente quelque peu. Il y a ces moments où votre plus ancien allié vous abandonne lâchement... Votre propre corps. Vous étiez absolument sûr de vous-même? Et bien, bardaf, c'est l'embardée, comme on dit à Bruxelles... Ce vieil ami, soudainement, ne vous soutient plus. Au contraire, c'est bien lui qui a besoin d'aide. Vous pensiez avoir la force physique de grignoter quelques heures de sommeil? Raté! À présent, votre meilleure copine, c'est la sieste requise après un moindre effort. Vous comptiez sur vos beaux gros biceps pour hisser les voiles ou faire tournoyer la manivelle du winch? Patatras, c'est la poigne d' un jeune moussaillon qui doit vous sortir d'affaire à présent. Vous pensiez admirer le firmament toutes les nuits de quarts? Les seules constellations que vous verrez sont maintenant celles des petites étoiles qui tournent autour de votre tête après avoir embrassé la bôme de manière un peu plus intime que voulu parce que vous n'avez plus eu le réflexe assez rapide de vous baisser lors du dernier empannage. Et j'en passe...
Et cette question, je me la pose à chaque fois que je monte sur un voilier. A chaque fois que je me lance dans une aventure qui m'oblige à sortir de ma zone de confort. Et j'apprivoise, peu à peu, mes peurs ou un certain manque de confiance en moi. Et je compte bien continuer sur ma lancée car les résultats me procurent une immense satisfaction.
Dans un autre registre, avez-vous jamais eu peur de vous-même? De ne pas maîtriser vos actes, vos mots, vos émotions. La crainte de faire un pas, un geste de trop. Un certain type d'éducation (dont la mienne) fait de nous des champions du contrôle de soi, de l'attitude de raison et de sagesse. Ah, qu'il est confortable de dissimuler ses peurs derrière un bon masque d'invulnérabilité. Un solide heaume qui ne laisse pas rentrer l'autre dans l' intimité de votre cœur de beurre ou de vos petits défauts. Cependant toute armure recèle un point faible. Et pourtant, savoir lâcher prise de temps à autre est indispensable pour vivre des instants de bonheur. No Guts, No Glory...
Peur de Te Perdre
Cette peur-ci s'avère encore bien plus insidieuse. Car elle n'est point logistique. Elle ne se contrôle point. On ne peut la maîtriser car elle émane des sentiments les plus profonds de l'âme et du coeur. Elle peut se révéler dévastatrice lorsqu'on la laisse prendre le dessus.
Tout comme le 22 mars dernier à Bruxelles ou hier encore à Stockholm, mon coeur a sursauté en lisant la presse. "Mon Dieu, et si tu faisais partie des statistiques...". La nouvelle d'amis voileux venant de heurter un OFNI en plein océan quelques jours auparavant (heureusement sans dommages humains) a renforcé ce sentiment. Peur de perdre un être cher. Peur du vide et de l'absence. Peur de ne plus jamais pouvoir te parler, te sentir, te savoir vivant. Étrange comme l’amour nous conduit droit à notre peur, toujours. (Uniques, Dominique Paravel)
Ou plus simplement, sans même penser à un scénario catastophe. Peur du rejet de l'autre, de se sentir non bienvenu ou dédaigné par l'autre. Peur de perdre la considération, le respect, le crédit ou l'amour de l'autre. La hantise du silence ou de l'indifférence de l'autre, Cette peur-ci me hante bien plus que celle des (grosses) araignées (bien velues de surcroît) ! Elle me rend idiote (à moins que je ne le sois déjà, ce qui est aussi possible, me direz-vous... ) et me fait faire des bêtises. Elle me pousse hors de mes retranchements et m'a parfois guidée dans des actes impulsifs (ce qui va totalement à l'encontre de ma personnalité! ), des mots ou gestes désespérés, qui n'ont, bien évidemment, fait qu'empirer mon malaise.
Bien souvent, c'est également une peur qui se trahit à travers l'agression verbale. On mord pour se défendre, comme un animal traqué, acculé dans un coin, parce que la brutalité verbale permet de dissimuler nos craintes, du moins, le croit-on. Alors, apprenez à lire à travers la rudesse des mots de l'autre. Ne lui en voulez pas trop. Un peu de recul, et de la patience surtout, permettra souvent de découvrir le vrai message qui se cache derrière une phrase qui vous assaille. Nos peurs nous font nous sentir vivants...
Tout cela fait beaucoup de peurs diverses... Ne croyez pas qu'elles m'empêchent de vivre. Loin de là. Il est primordial d'apprendre à les côtoyer, et même d'apprendre à les apprécier. Nos peurs nous font grandir et nous apprennent à nous dépasser. C'est pour cette raison qu'elles nous sont bénéfiques, dans un certain sens.
Alors, si demain vous sentez la peur monter en vous, écoutez son murmure, mais jamais ne la laissez parler plus fort que vous. Et je vous promets que vous aurez le dernier mot!
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AuteurArchives
August 2023
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