Nous voici le soir de Noël. Encore quelques heures et nous pourrons bientôt entonner l’air des anges de nos campagnes. Les traditions sont là pour être honorées. Alors, cette année à nouveau, voici un petit conte de Noël, qui s’adresse aussi bien aux petits qu’aux moins petits ;-).
Lors de ma petite enfance, j'ai habité une grande demeure à la limite des Ardennes près de la frontière allemande, avec un grand jardin dans lequel se trouvaient de magnifiques arbres. Lors des soirées hivernales, je pouvais entendre le vent chanter dans leurs branches et voir la neige virevolter derrière les vieilles fenêtres colorées à croisillons de plomb. Un souvenir impérissable. Dans le jardin, il y avait trois immenses sapins, plantés là depuis des décénnies, fiers gardien de la propriété. Depuis lors, les arbres m'ont toujours particulièrement touchée. Un petit conte en leur honneur pour cette soirée de Noël.
“Il était une fois... trois sapins...”
Il était une fois trois sapins en bordure du toit des Hautes Fagnes, sur le plateau de l'Eifel, à califourchon sur l’est de la petite Belgique et l'Allemagne. Le sol des Fagnes étant relativement pauvre en ressources, le climat y prenait des allures polaires et pouvait y être rude pendant plus de huit mois par an...
Nos trois sapins se nommaient Nordi, Picéa et Nobilo. Ils avaient grandi ensemble depuis leur plus jeune enfance, entre les touffes de mousse, les herbes folles et surtout, les pieds dans l'eau ferrugineuse du plateau. Ils se dressaient, fiers et bien droits, en plein milieu d'une étendue bosselée de mottes de tourbe. Loin de la forêt toute proche. Epars, comme trois flèches vertes plantées dans un désert herbeux. Qu'ils en avaient de la chance de vivre dans un si beau pays : des étendues vierges à en n'en plus finir, des mousses vert fluorescent, des fleurs sauvages... Au printemps, les herbes couleur de blé y montaient comme un chant vers le ciel. En été, le soleil y brillait de mille feux et sa chaleur réchauffait leurs épines. En automne, la région se parait d'or et de cuivre. Et à partir de l'hiver, enfin, elle revêtait ses plus beaux atours faits d'argent et de perles. Ils y avaient place, quiétude et sérénité.
© Aquarelles & photos - 1 LChaumon/2-8 Armand Burguet
Des années durant, ils n'avaient eu que peu de visites. Une poignée de promeneurs (lorsqu'ils n'étaient pas perdus dans le brouillard), quelques scientifiques naturalistes ou encore les garde-forêts, qui les regardaient du haut de leur tour de guet, surtout lors des saisons sèches. Lapins, écureuils, belettes, mulots, sangliers, biches et parfois quelques loups venant de l'Allemagne toute proche, étaient leurs compagnons de jeu habituels.
Puis, un matin de décembre, un bruit bizarre réveille nos trois amis. Le mugissement lointain ressemble à de l'orage. Un grondement sourd qui se rapproche. Ne pouvant se déplacer, les trois amis se haussent du plus qu'ils le peuvent du tronc jusqu'à la pointe pour tenter d'aperçevoir ce qui cause ce chahut. Le bruit vient de la forêt toute proche. Ensuite, un bruit abrutissant déchire la paix du petit matin. C'est du petit bois qu'il provient. Retentit alors un fracas étourdissant, un craquement sinistre. Comme si toute la forêt s'était mise à trembler en une fois... S'ensuit un silence angoissant, qui leur glace la sève. Leurs épines en sont toutes retournées. Le grondement sourd reprend et s'éloigne peu à peu. Tout retombe dans le motus glacé de la Fagne enneigée. Un silence pesant...
Les langues se délient peu à peu. Les sapins du bois commencent à parler. Et leurs propos arrivent, de racine en arbre, de branche en brindille, de coup de vent en fil d'air, jusqu'à nos trois sapins.
- Des bûcherons sont venus et ont emporté nombre de nos compagnons. La plupart ont été emmenés tout entiers, de la tête à la racine. - Ils allaient être richement décorés, qu’ils disaient. Avec des jolies boules de couleurs, des anges, des guirlandes, des milliers de petites lumières et même une étoile ! Et à leurs pieds, on allait déposer une montagne de cadeaux plus brillants les uns que les autres. Dans de belles demeures où il fait bien chaud et où il ne pleut ni ne gèle jamais. Et tout le monde allait les admirer et les complimenter sur leur parure et leur parfum. - Mmm, pas si mal que cela comme nouvelle maison, se dit Nobilo. Cela me plairait vraiment bien. Je m’ennuie ici en hiver. Il fait si froid. Et puis, je suis tellement beau avec mes épines bleues, ils seront tous fous de moi. Il faut absolument que je les convaince de ma valeur sûre. - Moi, je me sentirais un peu à l'étroit dans un pot de terre, rétorque Picéa. J’aime bien pouvoir étirer mes racines sinon j’attrape vite des crampes ! J’apprécie mon espace ici ! - Et puis, qui nous nourrirait donc chez ces gens-là ? Ajoute Nordi. Ne nous oublieraient-ils donc pas entre leurs fêtes et célébrations ? Je dois boire beaucoup pour que mes branches gardent leur teint d’azur, poursuit Nordi. Sans eau, je mourrais bien vite et perdrais toutes mes aiguilles. Et puis surtout, je ne voudrais pas être séparé de vous, mes amis. La vie me semblerait bien triste sans vos branches qui murmurent dans le vent. A la tombée de la nuit, un hibou grand-duc vient se poser sur les branches de Picéa. Il a entendu leur conversation. -Méfiez-vous des hommes, mes amis... Ils font toujours des promesses. Mais en fin de compte, ils ne cherchent que l'appât du gain et ne traitent la nature que rarement avec respect. Ne leur faites pas confiance. Croyez un vieil hibou qui a déjà bien vécu... - Vous n'êtes tous que des idiots peureux ! Et quel manque d'ambition ! S'exclame Nobilo. Je n'ai plus rien à dire à des poltrons. Si c'est ainsi, je ne vous parle plus ! Et un jour, je serai le plus beau sapin de Noël ! Le sapin s'enferme alors dans un mutisme lourd de reproches. Nordi et Picéa ont beau renouveler gentillesses et gestes d'amitié envers Nobilo pour tenter de faire revenir leur compagnon sur sa décision, rien n'y fait. Nobilo les ignore malgré la courte distance qui les sépare dans la lande. Nordi et Picéa sont tristes car leurs intentions vis à vis de leur ami n'ont jamais été que bienveillantes. Mais, en silence, ils se disent que le temps arrangera les choses. Patience, donc.
La nuit tombe. Les mois passent. Le tumulte et l’émotion passent. Les propos du hibou ont cependant persuadé Picéa et Nordi dans leurs convictions. Nobilo, lui, doute encore et se dit que l'oiseau de nuit n'est qu'un vieux radoteur.
© Photos - Wikipedia
L'hiver suivant, les camions des hommes reviennent et le tintamarre reprend de plus belle. Les bûcherons s'approchent tout près cette fois-ci. Si proches que nos trois amis peuvent aperçoir les hommes armés de pelles et de bulldozers. Ils se sont arrêtés à l'orée du bois, en train de palabrer sur quels arbres emmener. Les trois sapins demeurent immobiles. Ils ne savent trop quoi penser. Serait-ce donc une aubaine ou un danger que de suivre ces hommes pour une nouvelle demeure ?
Nobilo, persuadé de croiser la chance de sa vie d'enfin faire sa gloire, se redresse de toute sa hauteur pour qu'on le remarque bien. Il balance ses branches avec toutes ses forces pour se faire voir. Picéa, au contraire, se fait tout petit. Il recroqueville ses branches tant bien que mal pour avoir l'air infirme et Nordi va jusqu'à s'incliner dangereusement pour paraître franchement bossu. -Redressez-vous donc, branches mouillées ! Voyez donc l'opportunité de vous faire une réputation ! Leur lance Nobilo, pour la première fois depuis des mois. - Peu importe ma réputation, je suis bien ici et n'ai aucune intention d'aller trôner dans un salon où mes aiguilles vont s'assécher à l'air ambiant, murmure Picéa. Je t'en prie, tais-toi ou ils vont venir nous chercher. - Et moi, leurs boules vont me donner de l'arthrose, je le sens, sussure Nordi. Tout ce poids sur mes branches. J'aime bien mieux sentir la douceur de la neige que celle de leurs soi-disant guirlandes qui vont me brûler les épines. Je reste ici ! Je suis d'accord avec Nordi. Je t'en supplie, Nobilo, ne te fais pas remarquer.
Les hommes se retournent vers la plaine. "Et si nous prenions un de ces trois-là ? Ils sont tout seuls dans la Fagne. J'en vois un qui a l'air un peu trop sûr de lui-même. Je m'en vais le couper prestement ! ". Aussitôt dit, aussitôt en marche vers Nobilo.
- Je vais être un sapin de Noël ! Je vais être le plus beau de la maison ! Youpie ! Renchérit Nobilo en regardant ses compagnons d'un air condescendant. Et vous ne resterez que de pauvres petits arbres dans la Fagne. pendant que je serai le roi du bal.. Na na na... Mais, plus les hommes se rapprochent, plus le doute monte en Nobilo. - Ils ne peuvent tout de même pas me vouloir du mal, voyons... , se dit le sapin. Jusqu'au moment où il aperçoit un des hommes brandir sa hache et mettre sa tronçonneuse en route. en le regardant d'un air féroce. Le sapin frémit alors d'horreur. Ses épines blanchissent de frayeur et tout son branchage se met à trembler. Oh, non, ils vont vraiment me couper le tronc ! Assassins, assassins ! Au secours ! Ses deux compagnons décident alors d'agir. Ils tendent tous deux leurs branches vers le sol et l'appelent à l'aide : - Je t'en prie, belle Fagne, sauve-le ! Ne laisse pas ces barbares le couper ni l'emmener ! Empêche-les de parvenir jusqu'à nous ! Empêche-les de blesser Nobilo, supplie Picéa. - Oh oui, belle Fagne, retiens-les s'il te plaît ! Nous ne voulons pas te quitter. Tu as toujours été tellement bonne pour nous ! Implore Nordi.
La Fagne, à l'écoute des compagnons d'infortune, décide alors de les secourir face au triste sort qui les attend. Elle se gonfle de toute son eau noire, demande au vent de se transformer en blizzard glacé et appelle la neige à la rescousse. Tout le ciel et la terre ambiante se transforment en un instant en un épais brouillard givrant, dense et où les flocons dansent et giflent les hommes de toute leurs forces. L'homme armé de sa tronçonneuse entame quelques pas dans la direction de Nobilo, mais s'enfonce soudain jusqu'à la taille dans une flaque d'eau tourbeuse, glacée de surcroît. L'homme jure un bon coup et peine à se remettre sur ses pieds, trempé jusqu'aux os. Un second homme prend sa relève, mais ne peut presque pas avancer dans la force du vent qui lui flagelle les joues. Ses mains sont transies à travers ses gants de cuir et ne sent plus ses doigts et sa hache lui échappe des mains dans un trou profond. Il n'y voit cure. Le troisième homme les rappelle : "Rentrez-les gars. vous voyez bien que le brouillard et la neige forcissent rapidement. On gèle ici. On n'y verra bientôt plus rien pour rentrer chez nous. Laissez tomber. Ces sapins-là sont trop difficiles à atteindre. Nous en avons assez pour la vente de toute manière. "
Les hommes font alors demi tour face à la force de la nature. Ils repartent, leur égo en poche et leur camion vide. On ne les reverra pas de tout l'hiver.
Nos trois amis soupirent de soulagement. - Merci mes amis... Murmure alors Nobilo envers ses compagnons. Merci de m'avoir secouru malgré ma colère pour vous ces derniers temps. Merci de cette trêve dans notre différent. Je suis heureux de reprendre un dialogue paisible avec vous. Vous m'avez manqué malgré les apparences. Vous êtes de vrais amis. Vous aviez raison : nous sommes bien mieux ensemble, ici pour célébrer Noël. - Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés, tu sais. Nous serons toujours là les uns pour les autres, quoi qu'il advienne. Joyeux Noël, Nobilo. - Joyeux Noël, mes amis...
Alors, pour votre sapin de Noël de l'année prochaine, souvenez-vous de Nordi, Picéa et Nobilo. Et si vous choisissez un vrai sapin, s'il vous plaît, soignez-le surtout bien et replantez-le en pleine nature après les fêtes. Et peut-être, opterez-vous, comme moi depuis quelques années, pour un sapin alternatif, qu’il soit artificiel, de carton ou de tissu. Afin que nos trois amis puissent ainsi poursuivre leur vie tranquille et paisible dans notre belle Fagne.
Je souhaite de tout cœur que ce Noël-ci nous apporte à tous une trêve dans nos différents, nos angoisses ou nos séparations. Et que ce moment soit empli de joie, de paix et de sérénité. Un très joyeux Noël à tous !
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March 2023
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