Suite de notre périple norvégien: Norheimsund.
Un petit port perdu au milieu du Hardanger Fjord. Au fond du port, une ancienne bâtisse de bois couleur de l’ocre et de ce rouge terre typiques de cette région de Norvège. Un immense bâtiment qui semble faire des kilomètres de long. Un entrepôt empli de troncs d’arbres majestueux aux formes courbes. Un sol jonché de copeaux de bois, scies, rabots, clous, marteaux et autres outils sortis tout droit de l’époque des Vikings. Et ces espèces d’immenses pinces à linge en bois, qui semblent attendre un drap géant à sécher. Un peu plus loin sur l’eau : des épaves, barques, rames, mâts, safrans, tous de bois et de teintes différentes : un véritable trésor forestier. Lorsque nous nous approchons, nous découvrons avec étonnement que ces épaves sont en réalité en train de reprendre vie sous les mains enchantées d’habiles artisans locaux, qui s’activent de toute leur âme à faire renaître ces bouts de bois rongés par le temps et les fortunes de mer. Des pots de goudron, des pinceaux, des tauds... Des palans et cordages aussi, de toutes formes et tailles, de boyaux, sisal, chanvre... La longueur traditionnelle d'un cordage étant de 200m, cette activité exige également des constructions de longueur appropriée, ce qui explique le bâtiment extraordinairement long par rapport à ses congénères. Des machines miraculeuses: une quenouille pour filer le chanvre (vous vous souvenez de La Belle au Bois Dormant?); une "toroneuse", qui va assurer la torsion de 12 torons pour réaliser un cordage et enfin un "toupin" ou "cochoir", dont le rôle est d'assurer la régularité de la présentation des torons qui vont former le cordage. Des inventions sur lesquelles les filins végétaux tressés se transforment miraculeusement en cordages en se tournicotant sur eux-mêmes et à la force des bras d’un ouvrier maniant la manivelle qui en actionne le mécanisme. Ici, tout est mis en place pour parvenir à rénover ou construire, selon les coutumes et méthodes ancestrales, de nouvelles embarcations qui reprendront bientôt la mer. Ici, chacun est un amoureux du bois, de l’eau, de la navigation, et du travail bien fait : de vrais artistes. Un atelier qui au départ se voulait un refuge pour aider les plus perdus socialement à se réinsérer dans le monde du travail. Accorder une seconde chance à des hommes en accordant une seconde chance à des navires : quel magnifique projet… " Les Navires, Tout Comme les Chats, Ont Sept Vies..."
Vous seriez-vous ainsi jamais douté que les navires, tout comme les chats, avaient sept vies? En effet, au cours de leur existence, ils peuvent se transformer, se remodeler et renaître ainsi sous une nouvelle forme, pour une réincarnation.
Première Vie
Nul besoin d'explications: il s'agit là du berceau du bateau, sa première forme, son prénom et son enfance. L'aspect que lui a donné son créateur, avec amour et tendresse. Avec aussi, tous les émerveillements et petites maladies infantiles par lesquelles passe inévitablement un nourrisson. Souvent de très belles années pour son équipage.
Seconde Vie
Survient alors parfois un nouveau propriétaire... Et si ce dernier est sensible aux traditions ainsi qu'aux états d'âme de sa nouvelle acquisition, il acceptera de lui conserver son nom d'origine. Si par contre, il désire renommer son embarcation à son goût, il lui faudra surtout bien respecter les rites d’initiation comme celui de croiser l’erre en faisant faire au navire un tour sur lui-même, pour que les Dieux de la mer ne lui jettent pas de mauvais sort. Personnellement, je pense qu'adopter un bateau signifie aussi adopter son passé et donc son nom d'origine... Les appellations des bateaux feront d'ailleurs l'objet d'un futur billet, ce sujet méritant un coup d'oeil de plus près.
Le navire devra ainsi s'accommoder de nouveaux parents et nécessitera apprentissage de l'autre, patience et tolérance pour les habitudes de chacun. Lorsque c'est possible, le parent d'adoption aura déjà navigué quelques fois sur le bateau et ils auront déjà eu l'occasion de s'apprécier mutuellement, ce qui rendra la transition plus aisée.
Troisième, Quatrième et Cinquième Vies
Les femmes étant souvent coquettes de nature (comme vous savez, Messieurs...), la plupart d'entre elles aiment à varier leur garde-robe ainsi que leur aspect extérieur. Sans dire que tout homme aime se promener avec une jolie femme, très fier de parader en si ravissante compagnie. Viennent alors leurs diverses vies où elles changeront de robe (teintes et couleurs de la coque…), d'habits d’apparat (barre à roue pour franche, ajout d’un bout-dehors, nouveau mât…) et surtout de coiffure et d'accessoires de mode (palans, pavillons, jeux de voiles, drisses, pare-battages… ). Evidemment, si cette élégance vous enorgueillira le coeur, messieurs les marins, elle vous allègera également allègrement le portefeuille...
Sixième Vie
Dans certains cas de fortunes de mer, ou tout simplement avec les années qui passent, les corps s'usent, se modifient et requièrent des soins plus intensifs, voire même de la chirurgie thérapeuthique ou esthétique. Ainsi, un navire passera parfois par la table d'opération pour une intervention plus délicate et plus drastique pour remanier ses formes (quille, coque… ) vers une nouvelle transfiguration. Telle intervention, même si périlleuse, permet à certains navires de recommencer une nouvelle vie pour de longues années. Le traitement en vaut donc souvent la chandelle.
Septième et dernière Vie
Enfin, après tant de métamorphoses, un navire parviendra à un âge où sa condition physique ne lui permettra plus de prendre la mer. Il pourra, soit, retourner à ses sources et reposer au fond de l'océan, là où il trouvera la paix de l'âme. Soit, prendre un repos bien mérité dans un bonne maison de retraite (par exemple, un musée). S'il accepte de donner son corps à la science, on réutilisera ses pièces pour construire un autre navire ou son bois pour une bonne flambée. Et dans les cas les plus malheureux, il terminera sa dernière vie dans un cimetière de bateaux... Mais, je trouve cela vraiment trop triste... Je vous recommande d'ailleurs un roman de mer original au départ de ce dernier thème: "La Superstition des voileux - Helga, le bateau philosophe", de Maurice Winnykamen.(https://www.edilivre.com/la-superstition-des-voileux-maurice-winnykamen.html#.V7gyODPr3X4)
Sept manières de renaître à chaque fois…
"Un voilier, mot féminin en anglais, est une dame jalouse et susceptible; la moindre négligence peut altérer son humeur vagabonde. Les critiques la désolent au point qu'elle en perd le cap, elle perd le nord à la première remontrance injustifiée. Il ne faut surtout pas parler de la vendre, de s'en débarrasser, de la quitter! Je puis vous assurer que la plupart des voiliers qui ont coulé se sont, en réalité, sabordés par désespoir, leur propriétaire ayant laissé entendre qu'il voulait changer de bateau. Il existe même d'étranges histoires de vengeances de voiliers délaissés. Un bateau, c'est une histoire d'amour. " (Hugo Verlomme)
Dans ce petit atelier de Norheimsund, tout le monde s’enflamme à préparer ces navires à leur prochaine vie. Et ce n’est que lorsque le temps et le sort a épuisé leurs sept vies, qu’ils trouvent alors un repos bien mérité au fond du petit musée norvégien.
Mais le détail qui nous a le plus frappé est que les techniques utilisées pour (re)construire ces petits joyaux maritimes, étaient en réalité exactement les mêmes que celles de leurs ancêtres Vikings d’il y a plus de mille deux cent ans : mêmes outils, mêmes techniques et même passion pour les flots et le bois. Quelle a été notre surprise de retrouver exactement ces mêmes configurations de coque et rames (40 par navire!) au musée Viking d’Oslo en découvrant les trois majestueux Drakkars (Oseberg, Gokstad et Tune) qui témoignent de la dextérité et du savoir-faire de ces magnifiques peuples de marins d’antan, et qui leur ont permis d’affronter les flots pour conquérir le monde.
Des barques au profil effilé, élégant, aux courbes voluptueuses et sensuelles, à la couleur chaleureuse, comme une femme à la peau mordorée et à longue chevelure tressée qui s’étend le long de ses flancs ondulants. Messieurs, il est temps de vous faire rêver… Un bateau, c’est comme une femme désirable, une amante, une muse… Les marins en sont fous, et à juste titre… Les constructeurs de barques (ou de voiliers) les ont d’ailleurs modelées dans cet état d’esprit : avec amour, désir, passion et patience...
Tout comme une femme, il n’est pas simple de les approcher et encore moins de les faire avancer dans la direction où vous voulez. Elles peuvent s’avérer délicates, complexes, et même parfois capricieuses… Un sentiment de déjà vu, Messieurs, mmm ?
Les apprivoiser requiert douceur, finesse et doigté. Avez-vous jamais tenté de manier une de ces barques ? Déjà seul, il n’est pas aisé de trouver la bonne position pour animer les rames dans l’eau. Mais à plusieurs (deux, trois ou parfois bien plus) en balance fragile entre les deux bords, faire avancer l’embarcation relève plus de l’équilibrisme que de la navigation.
Sans parler de la synchronisation requise entre les divers membres de l’équipage et de la force requise pour faire se mouvoir ces longues tiges de bois dans l’eau (lorsque l’on sait qu’une seule rame pesait à elle seule jusqu’à 20 kilogrammes sur certains Drakkars - et vive les biceps… Pas étonnant que l’on décrive toujours le peuple des Vikings comme de grands hommes costauds). Une fois de plus, nos amis les Vikings m’époustouflent par leur agilité, leur capacité d’endurance et leur connaissance de la mer.
Vous trouverez une série d'autres photographies de ces barques qui me plaisent tant, sur un nouvel onglet de ce site web: reves en images/reves de marins/A la Rame http://www.revesdemarins.com/a-la-rame.html.
0 Comments
Leave a Reply. |
AuteurArchives
August 2023
Catégories
All
Suivez Rêves de Marins sur Twitter
|