Les navires fantômes ont toujours fait couler de l’encre (et pas que celui des pieuvres ni de Davy Jones, le fameux capitaine du « Hollandais Volant »). Ces embarcations aux voiles en lambeaux et à l’allure lugubre ont titillé l'imagination des marins depuis des siècles, surtout dans les tavernes des ports. Et certains de ces vaisseaux auraient réellement existé, abandonnés au jeu des flots, des suites d’une tempête, d’une épidémie de scorbut ou de peste, ou encore d’une bataille navale.
Cependant, ils n’ont pas l’exclusivité de leur caractère fantasmagorique : les Îles fantômes, elles, par contre ne sont pas une fiction, sur papier du moins... Alors, partons ce dimanche à la découverte de ces mystères géographiques.
Les cartographes et les marins les ont nommées respectivement Aurora, Avalon, Baltia, Caravanserralius, île des Démons, Drogeo, Hashima, Mayda, Pepys, Rangtiki, Satanzes, Sandy, Saxembourg, Snakes, Thulé, les Îles de Sable et bien d'autres encore...
Ces îles sont répertoriées et topographiées par des cartographes ou marins réputés. Durant des années, voire des siècles, elles demeurent sur les mappemondes, les cartes marines et dans les atlas de géographie. Cependant, lorsque les navigateurs parviennent à l’endroit de leurs coordonnées, ils tournent désespérément en rond, sans jamais les trouver. Même GoogleMaps y perd le nord. Ces fameuses îles semblent s’être soudainement évaporées. Ces îles se sont-elles déplacées suite à des mouvements sous-marins de plaques tectoniques? Etaient-elles des bancs de sable qui ont fini par reculer? Se sont-elles précipitamment englouties, emportées par un tsunami ou une éruption volcanique marine ? Ou pire, avalées par un monstre des abysses ? Nul ne sait...
L'Origine de leur Apparition
Tout d'abord, une des première raisons de ce phénomène résulte de la méconnaissance de la géographie d'un lieu ou la confusion avec d'autres endroits. Par exemple, des parties de continent dont on pensait au départ qu'elles n'étaient qu'une île, n'en voyant que la péninsule.
Christophe Colomb n'avait-il pas identifié l'Amérique comme les Indes lors de sa découverte ? La Corée fut longtemps considérée comme une île avant qu'on ne la qualifie comme reliée à l'Asie, tout comme le Brésil (anciennement nommé Vera Cruz). L'île Pepys, censée se trouver à 230 miles au nord des îles Malouines, est apparue suite à une mauvaise identification des îles Malouines. Et la liste est longue... « Cette indication alimente l’hypothèse selon laquelle l’existence du Brésil était déjà connue des Portugais avant sa découverte officielle par Cabral. Cependant, il s’agissait sans doute d’une de ces îles plus ou moins mythiques qui fleurissaient au Moyen-Âge sur les cartes de l’Atlantique et suggéraient l’existence de terres vers le couchant : l’une d’entre elles s’appelait « Brasil », toponyme dont on retrouve la trace dans des légendes celtes sous différentes graphies comme « Hy Breasail ». On la situait souvent au sud-ouest de l’Irlande où du côté des Açores (il y a un « mont Brasil » à Terceira), voire plus loin : l’auteur de la carte de Cantino a placé une île de ce nom au large du Venezuela. » (L’Egaré de Lisbonne, Bruno d’Halluin).
Thulé
Une autre explication plausible de la présence d' îles fantômes sur les cartes, relève de la disparition ou d'un oubli de leur découverte au cours des siècles.
C'est le cas de l'île de Thulé (ou "Tile"). Cette dernière aurait été identifiée au IVe siècle av. J.C. et citée comme telle dans la littérature grecque et romaine, pour alors se perdre dans les méandres du temps qui passe. Les écrits classiques en font mention comme "une île à six jours de navigation du Nord de la Grande Bretagne et proche de la "mer gelée", où le soleil ne se couche jamais en été". D'autres la placèrent comme les îles Shetland. La Carta Marina de 1539 d'Oscar Magnus, la première carte des pays nordiques, fait mention de cette île, au Nord-Ouest des Îles Orkney. En 1775, le capitaine Cook, nomma une île sous ce même nom dans le sud de l'océan atlantique, dans l'archipel des îles Sandwich. Clairement, un peu trop au sud... Thule fut ensuite référencée comme l'Islande, le Groenland actuel, l'île de Saaremaa en Estonie ou encore celle de Smøla en Norvège. On donna d'ailleurs au nom "Ultima Thule" dans le passé, une signification de "lieu aux frontières du monde connu". Ce n'est qu'en 1910 qu'un explorateur-anthtropologue groenlandais-danois, Knud Rasmussen, établit un poste de missionaires au Nord-Est du Groenland, qu'il nomma "Thule" (ou "Qaanaaq"), où il se rendit lors de pas moins de sept expéditions successives. Pour l'anecdote, notre explorateur nordique fut d'ailleurs ultérieurement nommé "le père de l'Eskimologie" pour avoir été le premier européen à traverser le passage Nord-Ouest avec un équipage de chiens de traineaux. Aujourd'hui, personne ne sait réellement ce qu'il en est. Cependant, Thulé a clairement fait couler beaucoup d'encre...
© Photos - Wikipedia
Portulan
Une troisième éventualité pour la topographie de ces îles sur les cartes marines pourrait venir de l’approximation des cartes de l’époque. Les cartes nautiques du XIIIe au XVIIIe siècle ressemblaient à des toiles d’araignées, étant quadrillées de lignes de couleur indiquant les vents ou "rhumb". Les autres signes graphiques les caractérisant étaient les roses des vents et les lieux selon leur importance. Ces tracés formaient ainsi des carrés, des rectangles et des parallélogrammes de couleur, appelés un "marteloire" (de l'italien "mar" : la mer et "teloio" : la toile), sans être encore pourtant déjà un système de coordonnées ni de projection comme celui des méridiens et des parallèles qui n'apparaîtra que plus tard dans l'histoire de la géographie. Ces portulans étaient à l'époque, le symbole d'une connaissance approfondie des mers et du pouvoir commercial et naval d'un royaume.
Les portulans étaient basés sur des observations faites à base d'outils assez élémentaires : boussole (indiquant le nord magnétique), sextant et alidade et pourtant ils étaient remarquablement précis. Ainsi, un des premiers portulans, la carte Pisane. ne déformait la Mer Méditerranée que d'un seul degré (environ 90 km) par rapport à la réalité. Mais, toutes ces cartes de navigation ne se targuaient pas de telle exactitude. D'où les libertés créatives de certains de leurs auteurs pour y faire apparaître de mystérieuses protubérances dans la mer ou le long des côtes.
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Cartographie de Stratèges
Mon Royaume pour une carte !
Une dernière explication possible de la mention d'îles fantômes serait la propension de certains monarques à "adapter" les cartes marines de manière à étendre leur territoire, à l'époque des grandes découvertes et à l'aube de l'histoire de la cartographie. Dès le traité de Tordesillas en 1494, les cartes sont d’ailleurs considérées comme des secrets d’Etat dans les Royaumes du Portugal et d’Espagne. Toute nouvelle découverte fait l’objet d'une discrétion toute particulière lorsqu’il s’agit de la coucher sur le papier. Papier, d’ailleurs conservé dans d’incroyables coffres d’acier aux mécanismes de fermeture dignes d’un travail d’horloger par leur complexité et dont les serruriers de la péninsule ibérique gardaient soigneusement le secret.
L'agrandissement des zones sous contrôle constituait un atout majeur dans le pouvoir d'un souverain. Le mécénat de grands voyageurs pour affréter des navires avec pour mission de découvrir le nouveau monde et d'y planter des comptoirs commerciaux, reste le leitmotiv des grandes explorations de ce monde. Les courbes de l’Amérique du Sud auraient ainsi, affirme-t-on à tort ou à raison, été «déplacées» de quelques kilomètres pour les besoins du règne lusitanien.
« Ah, voir des océans se remplir d’îles, voir des caps et des baies remplacer des pointillés ! Voir des mystères disparaître et d’autres apparaître, et les limites du monde repoussées toujours plus loin ! (...) C’est comme si le cartographe avait voulu placer Vera Cruz plus franchement dans la zone portugaise, pour bien montrer les droits de Portugal sur cette terre. (...) Certains toponymes, en particulier sur la côte du Brésil, ne sont pas écrits de la même main que les autres. En outre, une bande de parchemin a ete collée sur cette côte, suggérant une correction importante et un décalage vers l’Ouest de ce rivage. Des mises à jour ont donc été apportées par une main - peut-être italienne - différente de celle qui a dessiné l’ensemble de la carte. Par ailleurs, on constate que l’auteur de la mappemonde a positionné certaines côtes de manière favorable au Portugal. En particulier le Brésil et Terre-Neuve ont été dessinés plus à l’est qu’ils ne le sont en réalité, et ainsi déplacés nettement dans la zone portugaise du traité de Tordesillas. Selon certains, la carte aurait été truquée et destinée à l’Espagne afin de tromper le puissant voisin. (L’Egaré de Lisbonne, Bruno d’Halluin)
En plus de toutes ces îles fantômes, il reste également les îles imaginaires dont les anciens nous ont citées dans leur récits homériques : l'Atlantide, l'île au trésor, Utopia, Eéa, Laputa, Liliput, Neverland, Ogygie... Mais l'histoire de ces îles-là sera pour un autre billet de ce blog.
Je vous laisse donc prendre votre atlas et y pointer du doigt au hasard une île pour y rêver de bonheurs insulaires sans tempêtes ni monstres marins. Un excellent dimanche à tous !
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August 2023
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