La semaine dernière, je vous ai présenté Mucca. La voici enfin en images ! Son étable se trouve en Haute Adige, dans le Tyrol du Sud, côté italien. Au coeur de la chaîne des Dolomites (d'ailleurs classés au patrimoine de l'Unesco).
Mucca rêve de voyages. Et plus précisément, de ces sommets enneigés qu'elle aperçoit de sa prairie au village. Mais, elle n'est qu'une simple vache... Et les vaches, comme tout le monde le sait, cela ne fait pas d'alpinisme...
Chaque jour, elle soupire et se lamente à ses compagnons (le lapin et le cygne du lac tout proche), de ne pouvoir quitter son étable pour grimper au sommet du Mont Ladin, aux neiges éternelles. - Un jour, vous verrez : je franchirai les monts et vallées pour aller boire dans la neige des cîmes et lècher les glaciers bleutés ! Et personne ne la croyait vraiment... Jusqu'à ce matin-là... Alors qu'elle broute tranquillement l'herbe verdoyante de son pré en haut du village, elle sent tout d'un coup quelque chose d'humide qui lui chatouille les babines. Elle secoue son nez, renifle et se retrouve museau à museau avec... une grande paire d'yeux marrons qui l'observent à la dérobée, avec un sourire moqueur terminé par deux belles incisives. Une marmotte sortant de son terrier ! - Bonjour jolie damoiselle ! Je vous aurais bien embrassée une fois de plus... Mucca recule soudain. Elle écarquille les yeux. Une marmotte qui parle ! Mais, décidément, aux manières douteuses ! - Ne me regarde pas comme si j'étais le fermier, voyons. Je m'appelle Mankei. Et je sais bien, moi, comment te permettre de réaliser tes rêves de voyages... Mucca reste ébahie. - Hé oui, je suis un génie... Et j'ai le pouvoir de t'emmener aux neiges éternelles. A condition, que tu acceptes de suivre mes indications. Cela te tente ? Mucca hésite. Elle se dit en elle-même : voici un beau parleur. Les génies, cela n'existe pas, voyons ! Encore un qui cherche juste à me séduire pour un baiser. Tous les mêmes...
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Bain de Fleurs d’Alpages
- Bon, encore une incrédule. Toutes les mêmes, ces vaches... D'accord. Je vais te prouver mes pouvoirs. Vois-tu ces alpages fleuris sur le versant d'en face ?
- Oh oui. Ils ont l'air magnifiques. Et ces milliers de fleurs sauvages qui les couvrent. Mais, seuls les moutons ont le droit d'y brouter. Et ces étables à l'odeur du vieux bois. J'aimerais tant pouvoir m'y reposer. Cependant, c'est tellement haut pour y parvenir. Et le maître ne nous laisse jamais y monter malgré nos cloches pour nous retrouver. - Bien. Alors, ferme les yeux et visualise une de ces vertes prairies. Pense-y très très fort. - Tu ne vas pas me jouer un tour pendable, tout de même ? - Bien sûr que non. Allons bon, tu les fermes ces jolies paupières ? Mucca obtempère, sans vraiment y croire et s'attendant à ce que le fripon en profite pour lui chatouiller à nouveau le museau. Lorsqu'elle les rouvre, elle n'en croit pas ses pupilles : ils sont au plus haut des alpages, entourés de millions de coloris floraux plus vifs les uns que les autres : des roses, des mauves, des jaunes, des orangés, des bleus, des blancs. Gentianes, silènes enflés, chardons, lys de montagne, myosotis, campanules, crocus, orchidées, achillées, oeillets... Et l'herbe y est d'un vert fluorescent ! La vache saute de joie ! Elle ne sait contenir sa gaieté. En face de l'alpage, se profile le massif enneigé dont elle rêve. - Si tu continues ton chemin vers le bout de l'alpage, Mucca, il te suffira de suivre les traces de la moraine pour parvenir au pied du Mont Ladin. Sur ces bonnes paroles, je te laisse à ton repas et je m'en vais faire une petite sieste. Ciao ! Et la marmotte disparaît, non sans avoir laissé à nouveau un baiser humide sur le museau de la demoiselle. Mucca reste sans mots. Trop heureuse d'être déjà si proche de son but.
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La Flûte Enchantée
Pour entreprendre la seconde partie de son périple, Mucca arrive ainsi sur un long plateau à la vue époustouflante sur toutes les montagnes environnantes. C'est ici que son souhait pourra prendre forme. Mais pas de Mankei pointant son nez d’un seul terrier... Où ce petit génie poilu se cache-t-il donc ? Il doit encore faire la sieste. Mucca a beau scruter les prairies environnantes et chacune de ses bosses, pas de marmotte en vue. Entre les gazouillis des alouettes, elle entend alors le chant d'un drôle d'oiseau... Elle cligne des yeux pour tenter de l'aperçevoir dans le ciel, mais le son semble provenir... du sol ! En effet, un peu plus loin, assis sur un rocher, elle distingue alors un berger tenant un bois bizarre dans ses mains. De ce morceau de bois sort une douce mélodie.
- Je t'attendais, Mucca. Mankei m'avait annoncé ton arrivée. - Euh, tu me connais, berger ? - Je ne suis pas un berger. Je n'en ai que la forme. Je suis le second génie, le frère aîné de Mankei. Mon frérot est un peu taquin et parfois sa galanterie manque de style, mais il a le coeur juste. Tu as besoin de moi pour te mener à ta prochaine étape. Mais en auras-tu le courage, Mucca ? - Cela dépend de ce que tu attendras de moi... , se dit Mucca, un peu inquiète. - Je te demanderai simplement de me rapporter une petite fleur lors de ton voyage au sommet. Mais pas n'importe quelle fleur. Celle que je désire est une Edelweiss, une étoile des neiges... Elle ne pousse qu'entre les rochers les plus élevés de ces montagnes, à la limite de la neige. Acceptes-tu de m'en ramener une ? Il te faudra gravir de hautes pentes et braver les dangers des monts Ladins. - Et tu m’aideras à parvenir aux neiges éternelles ? - Oui, à la condition que tu ailles me cueillir cette petite fleur. Elle possède un pouvoir magique dont les génies ont besoin pour conserver leurs pouvoirs surnaturels. - D'accord, berger. Je désire trop réaliser mon rêve. Je te la ramènerai, ta fleur. - Bien. Alors, ferme les yeux et pense très fort à cet endroit que tu rêves de rejoindre. Lorsque je cesserai de jouer de cet instrument enchanté, tu seras tout prêt de ton but.
A ces mots, Mucca ferme ses paupières et se laisse bercer par le doux chant de la flûte. Puis, le silence s'installe. Lorsqu'elle les rouvre, elle n'en croit pas ses yeux. Ni ses pattes ! Au lieu de ses gros sabots bruns, elle découvre, de jolis patins onglés tout fins. Puis, elle inspecte ses pattes, elle a soudain de bien plus longues jambes qu'auparavant. Et son cou ! Son cou a pris tout d'un coup un mètre de plus. On dirait une girafe ! Elle se sent d'ailleurs plus légère. Alors, elle risque un coup d'oeil en arrière et le pelage de sa croupe est à présent tout blanc ! Mucca a pris l'aspect d'un... Lama ! Un magnifique lama à la laine douce et épaisse et au long cou gracieux.
- Pas mal ! Joli brin de fille ! Mucca sursaute à ces mots. Mais qui donc l'accoste ainsi ? Elle se retourne et aperçoit d'où vient la voix : un autre lama, tout noir, à l'air ébouriffé la regarde d'un air moqueur. Les dents vertes d’herbe, sans gêne aucune de parler la bouche pleine. Sur sa tête une touffe brun-roux lui cache les yeux, telle une perruque hippie. Mucca le regarde d'un oeil noir, offusquée de sa remarque un tantinet cavalière et de son clair manque de bonnes manières. - Ne fais pas cette tête-là. Ce nouvel aspect te va à ravir. Tu ne me reconnais pas à ma voix ? - Man... Mankei ? - Hé oui. Pas mal comme déguisement, non ? Note que pas trop pratique pour rentrer dans mon terrier... Cette tenue t'est nécessaire pour braver le froid et les cailloux de la montée au glacier. Tu verras, elle est très commode. Je t'accompagne un bout de chemin, histoire que tu ne te perdes pas en route pour ramener la fleur à mon frère. Ne perdons pas de temps. La route est encore longue et pas mal d’embûches nous attendent en chemin. Sur ce, les deux lamas prennent le départ vers les sommets enneigés.
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L’Arbre des Hulules
Après de longues heures de marche les deux compagnons de cordée parviennent enfin au sommet d’une première montagne d’où l’on aperçoit les cîmes enneigées du majestueux Mont Ladin. Les nuages se sont accumulés et le ciel s’est curieusement assombri. De lourdes couvertures noirâtres camouflent à présent le ciel, qui semble vouloir envelopper les montagnes de sa cape de nuit. Le vent s’est levé et souffle en rafales.
Mucca commence à sentir le froid sur son échine malgré sa nouvelle toison, dont elle apprécie à présent la précieuse valeur. Mankei avance devant elle sans faiblir le pas. Elle voudrait faire une pause pour se reposer un peu. Mais l’endroit n’est guère accueillant. Il est plutôt même sinistre. À l’horizon se profile une silhouette fantomatique. Un arbre lugubre dont les branches semblent porter des fruits bizarres. À présent, le ciel s’est totalement assombri et Mucca peut encore à peine discerner les formes des roches sur les parois d'en face. Arrivée au pied de l’arbre, elle fait mine de s’arrêter. - Je n’en peux plus Mankei. Moi, je prends un peu de repos ici avant d’entamer l’ascension finale. - Shuuuuuuuuuuut !!! Lui intime la marmotte. Tais-toi. Tu vas les réveiller !!! - Réveiller qui ? Il n’y a personne d’autre que nous ici, voyons. - Shuuuuuuuuuuut, te dis-je !!! Ou faut-il donc que je crache pour que tu m’écoutes ! - Ah non, garde tes mauvaises manières. Je..... Un hululement macabre lui coupe soudain la parole. Puis, deux, puis trois, puis dix, plus effrayants les uns que les autres. Le vacarme semble provenir de juste au-dessus de leurs têtes. Ils lèvent alors le regard pour découvrir dans la pénombre une dizaine de paires d’yeux brillants allant du doré à l’orange en passant par le jaune vif. D’immenses yeux qui les fixent du haut des branches de l’arbre, d'un air glouton.
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Mucca reste pétrifiée de peur. Mankei se colle contre elle et lui glisse à l’oreille :
- Je t’avais bien dit de te taire, non d’un terrier ! Laisse-moi leur parler et surtout ne dis pas un mot si tu ne veux pas que ces oiseaux de mauvaise augure te transforment en souris pour leur petit déjeuner cette fois-ci ! Mucca opine du regard. - Qui ose ainsi importuner notre repos ?!! - Veuillez nous excuser, divins Hulules... Nous ne sommes que de pauvres voyageurs de passage. Nous ne voulions point vous déranger. Nous repartons sur le champs. - Vous osez profaner notre sommeil divin, manants ! Gronde un hibou grand duc qui semble diriger le groupe. Il va vous falloir payer votre forfaiture ! - Oh, sois gentil, Grand-Père... Rétorque une petite chouette sur une branche plus basse. Finalement, des visiteurs, cela nous fait une distraction pour une fois. Personne n'ose jamais venir ici. Et tout le monde nous craint. Laissons-les passer et nous raconter leur histoire. - D'accord, d'accord... Et puis, en réalité, j'en ai assez de faire peur aux promeneurs. Cette mauvaise réputation me colle aux plumes et il est temps d'y mettre fin. C'est bon. Vous pouvez passer votre chemin, à une condition, cela dit : celle de nous narrer votre récit. Les deux lamas se sentent tout d'un coup soulagés de la tournure que prennent les choses. Et ils décrivent leur épopée et la raison de leur voyage au groupe de hulules, qui les écoutent avec attention et attendrissement d'avoir enfin quelqu'un à qui parler.
La Montée au Sommet
Ayant quitté les Hulules, les deux compagnons parviennent enfin au pied de la moraine. Devant eux : des parois abruptes et lisses, colorées de noir et d'ocre aux allures de Far West. Elles semblent insurmontables. Mankei réfléchit :
- Nous n'allons jamais y arriver ainsi. Il nous faut un autre matériel d'alpinisme. Ferme les yeux, Mucca ! Allons, encore une fois. Et lorsque le lama blanc les rouvre, elle sent sur sa tête deux cornes allongées. Ses pieds sont cornés et elle a une barbichette ! - Mais, mais, mais... je suis ... une chèvre !!!! Mon Dieu, Mankei, que m'as-tu encore fait ! Ma mère ne me reconnaîtra jamais plus ! - Cesse de geindre et contente-toi d'accepter le charme. Sous cette forme, tu vas enfin pouvoir grimper sur les rochers et monter jusqu'à la limite de la neige pour y trouver ton étoile des neiges. Même un lama n'y parviendrait pas avec sa constitution. Et Mankei sautille devant Mucca d'un rocher à l'autre, comme si de rien n'était, parfaitement enchanté de son nouvel aspect. Tout au long du trajet, ils suivent des "hommes debout", des amoncellements de pierres placés là par les hommes pour indiquer le chemin. Pour une fois que les humains font quelque chose d'utile... Parfois, le gris des cailloux se fond dans la masse des pierres empilées. Il leur faut donc une bonne vue pour discerner le parcours à suivre. Mais, les bons yeux, cela connaît les chèvres...
Arrivée au Tibet Ladin
"C'est le Voyage qui fait la Vache... " (Ladin Tseu ? ... )
Après quelques heures de montée à travers la moraine et les pierres, les deux chèvres accèdent enfin à une étendue de neige. On dirait une grotte.
- C'est ici que tu trouveras l'édelweiss, Mucca. Dans la grotte de neige. Ma mission se termine ici. Lorsque tu l'auras cueillie, garde-la bien précautionneusement entre les dents. Puis referme les yeux. Pense à ton étable. Et tu retrouveras ton aspect d'origine. J'ai apprécié notre périple, Mucca. Au plaisir de te revoir. Et Mankei fait mine de repartir vers la vallée. - Attends ! Mucca s'approche alors de Mankei et lui touche doucement les babines du bout de son museau. - Je te dois bien un baiser... Merci de ton aide, petit génie. Mankei sourit de tout son museau. A ces mots, Mucca s'en retourne vers la grotte de neige. Brrrr, qu'il y fait froid. Tout au bout, cachée entre deux pierres sur le sol glacé, brille une petite fleur... Elle l'a trouvée ! Elle grignote tout d'abord un peu de neige pour apaiser sa soif, puis emporte la fleur. Elle admire encore un instant cette chère montagne, puis ferme les yeux. Et comme par miracle, elle se retrouve dans son pré. Sa cloche autour du cou, ses belles couleurs gris foncé et son pis ! - Je suis une vache ! Je suis à nouveau une vache, s'écrie-t-elle ! Et j'ai été jusqu'au glacier ! - N'oublies-tu point quelque chose ? Demande alors une voix. Mucca se retourne et aperçoit le berger. Elle lui tend l'édelweiss. - Merci, génie. J'ai fait un magnifique voyage grâce à toi et ton frère. Mais, je suis heureuse de retrouver les miens et mon aspect bovin... - C'est non pas la destination, mais bien le voyage qui fait l'homme, Mucca. Ou la vache !
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Alors, si l’envie vous prend un jour de découvrir les sommets enneigés du Pays des Ladins, prévenez- moi et je vous donnerai le secret pour l’atteindre sans, pour la cause, devoir vous transformer en lama, chèvre, hibou ou marmotte !
Je vous souhaite un agréable dimanche estival, et qui sait, comme moi, à peine rentrée, déjà empli des rêves des prochains voyages.
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AuteurArchives
August 2023
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