Dimanche passé, je vous dévoilais quelques sources d’inspiration de ce blog. Ce WE, je vous propose un récit inspiré d’une série TV belge de ma jeunesse, lui-même illustrant un roman de Nelly Kristink, dont certains se souviendront peut-être.
Les traditions ayant la cote dans ma famille. Et le 25 décembre approchant à grands pas, alors c’est parti pour un petit Conte de Noël. Et puis tout le monde sait que les contes, c’est aussi écrit pour les grands :-).
Et pour se faire, je vous emmène aujourd’hui dans mon cher pays des Hautes Fagnes... Et plus précisément à Ovifat, près de Waimes (Robertville) sur la route de l’Allemagne. Un endroit en pleine nature, où se dresse un château médiéval aux allures quelque peu germaniques, qui me fascinait dans mon enfance et où la petite fille que j’étais rêvait en secret de se marier un jour à la lueur de cierges et flambeaux, avec un prince charmant dans la minuscule chapelle vieille de sept siècles aux bancs de bois. Depuis lors, le château a été rénové; j’ai grandi (juste un peu...); et les armoiries de mon prince charmant sont finalement devenues des ancres et vagues en lieu d’estocs et sapins, bien loin du pays de Renastène (nom wallon pour « Reinhardstein »), que j’aime à nommer comme le pays des Renards des Fagnes. Cependant, l’endroit n’a jamais cessé de titiller mon imagination.
La neige tombe à gros flocons sur la forêt. La bise chante dans les branches chauves et les aiguilles des sapins scintillent sous leur costume de givre. Le manteau blanc qui recouvre les collines et la glace ont étouffé les derniers murmures de la Warche, le ruisseau tout proche qui coule dans la vallée. Bien tapis au chaud au fond de son terrier, Kila se repose sur un lit de feuilles blotti près de sa fratrie. Leurs pelages roux et argentés se soulèvent doucement au rythme synchronisé de leurs respirations. À travers les branches de chênes centenaires, on peut apercevoir les tours du château de Reinhardstein et ses volets aux triangles colorés. Qu’il fait bon, bien à l’abri du vent glacial.
De la cheminée de pierre s’échappent d’odorantes effluves de la cuisine. Malgré la froidure et le vent, elles n’ont pas échappé aux petits goupils dont le terrier ne se trouve qu’à une centaine de mètres. Les alléchantes odeurs de viande viennent ainsi chatouiller leurs narines. Kila se relève. Il sort prudemment de la tanière. Il hume l’air hivernal. Il peut entendre des voix venant du château. Et ces parfums de délice... Il n’en faut pas plus pour attirer le renardeau vers la demeure des hommes.
© Photos - Armand Burguet
Kila se fraye un chemin à travers la neige. Très discrètement, il se glisse dans l’entrée. Le cuisinier vient de sortir prendre de la neige dans son grand chaudron de cuivre. Les deux mains prises, il laisse la porte entr’ouverte en rentrant dans la bâtisse. Kila en profite pour se faufiler à l’intérieur. Sur la longue table de chêne, des victuailles et des volailles fraîchement plumées. Il se cale dans un coin sombre en attendant que la voie se libère vers son butin. Après une longue attente, le cuisinier quitte enfin la pièce. Kila sort de sa cachette. Méticuleusement, il inspecte la pièce et s’empare d’une petite caille. Vite, il lui faut ressortir pour la ramener dans sa tanière et la partager avec sa famille. Les proies aisées sont rares durant cette saison dans la région.
Au moment de parvenir à la sortie, la porte s’entr’ouvre... Il est coincé, trop tard pour se dissimuler ! Il reste ainsi, pétrifié. De crainte, il laisse choir son butin de sa gueule. La silhouette féminine qui vient d’entrer reste un instant sur place, étonnée de la rencontre et l'observe d’un air empreint de curiosité. Ses yeux, cernés de longs cils, sont d'un gris profond, ses cheveux couleur de l'ambre. A son cou, une chaîne d'or à laquelle pend un menu anneau. Elle porte une robe de jade sertie de broderies argentées le long des manches. Le renardeau reste un moment subjugé par les prunelles humaines qui le fixent. Ils se dévorent longuement des yeux sans pouvoir détourner leurs regards respectifs. Un long frisson les parcourt de la tête aux pieds (et pattes... ). Puis son instinct reprend le dessus et Kila s'enfuit dans l'embrasure de la porte. Il rentre ventre à terre, et ventre vide... rejoindre les siens, un peu penaud de sa déconvenue. Mais la nuit venue, Kila ne trouve pas le sommeil. Non seulement parce que la faim lui tenaille le ventre, mais bien plus encore par cette rencontre avec cette créature à la chevelure de feu, qui lui ressemble quelque peu. Il se promet alors de la retrouver, ainsi que son repas.
Une fois remise de sa surprise, la jeune fille s'accroupit. Elle ramasse la volaille délaissée par le renard et la dépose dans une besace qu'elle emporte avec elle. Le lendemain matin, Aël se lève aux aurores, s'habille en toute hâte alors que toute la maisonnée dort encore et se rend dans la forêt, bien emmitouflée dans un manteau de laine. Elle a pensé à Kila toute la nuit et s'est promise de lui rapporter la pitance qu'il a laissé choir lors de leur rencontre. Cette petite boule de poils roux l'a attendrie et elle espère bien la retrouver. Elle marche toute la journée dans la forêt, sans succès. Pas de trace du renardeau. Alors, elle finit par déposer le contenu de sa sacoche dans un arbre creux. Qui sait, le renardeau la découvrira-t-elle... A la tombée de la nuit, Aël se décide à rebrousser chemin, dépitée de n'avoir pas retrouvé son ami. Elle a froid. Il fait sombre. Au loin, on entend des branches craquer. En réalité, Kila l'a suivie sans se faire remarquer. Il a débusqué la nourriture et ramenée à son terrier. Au moment de rentrer au château, la jeune fille aperçoit une silhouette à la longue queue touffue. Kila est là : il la regarde de ses grands yeux dorés. Elle croit percevoir un signe de sa tête, comme pour la remercier de lui avoir ramené son repas. Puis, il disparaît sous les branches gelées. Elle ne sait trop si elle a rêvé.
© Photos - Armand Burguet
Aël a décidé de rendre visite quotidiennement à son ami et de lui apporter de la nourriture. Elle revient donc à l'endroit où elle a vu Kila pour la dernière fois, et après quelques heures, il finit par apparaître. Au fur et à mesure de leurs rencontres, le renardeau semble moins farouche et finit par accepter de prendre les offrandes qu'elle lui fait, jusqu'à venir les chercher dans la main de la jeune châtelaine. Elle s'assied sur une pierre et parle à Kila. Il reste là, à distance, et la regarde de son air coquin et doux à la fois. Une amitié improbable s'installe entre les deux compères et grandit chaque jour un peu plus.
Mais, les années passent et la jeune femme atteint l'âge de se marier. Le comte de Waimes annonce un matin à sa fille qu'il a promis sa main à un noble gentilhomme aux coffres bien remplis et que leurs noces seront célébrées la semaine suivante, dans un royaume voisin. Une alliance avec sa famille sera parfaite pour étendre leur domaine et renforcer leur position. Elle doit donc préparer ses effets pour entamer le voyage vers sa future maisonnée. Aël est désespérée. Elle n'aime pas l'homme à qui elle est promise. Il pourrait être son père; il est très fortuné, il est vrai, mais c'est un homme dur et la chasse (au renard notamment) constitue son seul loisir. Et rien que pour cela, elle le déteste déjà sans même l'avoir jamais rencontré. En outre, quitter sa région lui perce le coeur. Mais, son père a parlé et ses ordres ne se discutent pas... Alors, le soir précédant ses noces, alors que le soleil vient de se coucher, elle s'enfuit rejoindre son gentil goupil. En larmes, elle lui raconte son malheur. "Je ne te verrai plus jamais, mon ami... Mon futur époux va m'emmener dans ses contrées pour toujours... Oh, que je suis malheureuse... Si seulement, je pouvais toujours vivre avec toi, ici, dans mes Fagnes adorées... Toi, au moins, tu me comprends et tu m'aimes à ta façon". Kila la regarde de ses grands yeux brillants. Son regard est triste. Il semble comprendre ce qu'elle lui raconte et partager son chagrin. Pour la première fois, il s'approche alors d'elle et vient se coucher à ses pieds. Aël tente un geste inattendu : elle retire la chaîne d'or qui orne sa poitrine et l'enroule très délicatement au cou de l'animal. "Nous resterons toujours ensemble, mon doux renardeau. Je ne t'oublierai jamais. Et qui sait, cet anneau te protègera-t-il des chasseurs. " Un peu effrayé du geste, Kila recule subrepticement d'abord, puis finit par se laisser caresser et glisser l'anneau doré autour du collet. Puis, comme toutes les autres fois, il s'enfuit ensuite entre les arbres, ne laissant de lui qu'une trace dans la neige fraîchement tombée et une lueur dorée.
Le lendemain, le convoi nuptial se met en branle. Aël a beau scruter les rebords du chemin dans la forêt, pas de trace de Kila. Il a neigé toute la journée. Les chevaux sont épuisés de marcher dans la haute neige. Il fait à présent nuit noire et le brouillard est descendu dans la vallée. On n'y voit plus à deux mètres. Il faut faire une halte pour la nuit en espérant que la brume se lèvera le lendemain matin pour leur permettre de repartir. Le bois est trempé. Le feu ne prend pas. C'est alors que les loups se font entendre. D'abord des hurlements lointains, puis plus proches et enfin des grognements distincts. Aël et ses compagnons de route tremblent soudain. Autour d'eux, des petites lumières jaunes semblent s'allumer dans la nuit. Ils sont encerclés. Et soudain, c'est l'attaque. Impitoyable, surprenante, rapide. Les bêtes affamées ne font pas de quartier. Son futur époux est tué sur le coup. Les serviteurs suivent rapidement.
Aël parvient in extremis à s'enfuir. Elle court et court encore. Comme elle peut à travers la neige et les congères. Elle court sans s'arrêter, en direction de la vallée, sans se retourner. Derrière elle, le tumulte d'une bataille sans pitié. Elle sent une présence derrière elle. Ils vont la rattraper. Elle se sent perdue. Elle trébuche et tombe face contre terre. Elle peut alors sentir une respiration sur son cou. Elle ferme les yeux. Elle attend le coup de grâce. Mais il ne vient pas. Le silence est retombé sur la forêt. Le brouillard se dissipe. Au lieu de la morsure de crocs, c'est la douceur d'une fourrure dont elle sent la présence sur sa peau. Les yeux embués, il lui semble décerner une teinte chaude dans la pénombre. En lieu de gris ou de noir, de l'ambre vif. Mais, les loups ne sont pas de cette teinte... Serait-ce le reflet de sa propre chevelure sur l'immaculé de la glace ? Elle repousse le poitrail animal qui se presse contre elle avec ses mains. Ses doigts rencontrent alors un métal froid. Malgré l' épouvante qui l'étreint de ce qu'elle va découvrir, elle ouvre les paupières, ne comprenant pas ce à quoi elle fait face. Elle tient dans sa main un anneau d'or... Son anneau d'or. Deux yeux de la même teinte que le métal la dévisagent d'un air narquois et immensément doux...
© Photos - Wikipedia & Weyrich
Je vous souhaite de douces fêtes de Noël. Pour que, où que vous soyez, qu'il y ait toujours un petit renard qui veille sur vous, et vous aide à retrouver votre chemin lors de vos périples.
Merry Christmas to all !
0 Comments
Leave a Reply. |
AuteurArchives
May 2023
Catégories
All
Suivez Rêves de Marins sur Twitter
|