Blanche-Neige, Hansel et Gretel, Les Musiciens de Brême, Raiponce, Le Vaillant Petit Tailleur, Le Joueur de flûte, Cendrillon, Le petit chaperon rouge. Vous les connaissez tous déjà? Je suis à peu près certaine que vous n'aurez pas lu celui que je désire vous narrer aujourd'hui. Et pour honorer le titre de ce blog, il aura, bien entendu, trait à la Mer...
Parlons tout d'abord de leurs auteurs : Jacob Grimm (1785-1863) et Wilhelm Grimm (1786-1859), sont originaires de Hesse (Allemagne). Leur diplôme de droit en poche, les deux frères débutent leur carrière: Jacob en tant que secrétaire à l’école de guerre de Kassel, puis du fait de la guerre napoléonienne contre la Prusse et la Russie, il est chargé du ravitaillement des troupes de combat. Les deux frères commencent à rassembler des contes et des histoires, et en 1811 Jacob fait paraître son premier ouvrage sur les fameux Maîtres troubadours allemands. Ensuite, tous deux devenus entre-temps secrétaires à la bibliothèque de Kassel, ils en profitent pour faire des recherches et trouver une documentation importante. En sus des nombreux récits et contines, on leur attribue aussi, chose moins connue, l'écriture du Dictionnaire d’Allemand.
Pas mal de contes ont été réécrits par plusieurs auteurs (par exemple, Cendrillon par Charles Perrault puis par les frères Grimm), ce qui fait que l'on se souvient souvent seulement de leur dernière version. Mais ils ne sont pas toujours aussi féériques que l'on imagine. Ceux d'entre vous qui ont eu l'occasion de lire leurs écrits dans leur langue originale vous clameront que ces soi-disant histoires douces et merveilleuses, se révèlent en réalité brutales, cruelles et souvent plus proches du cauchemar que du rêve. Plutôt étrange comme lecture enfantine "tout conte fait" : le Petit Poucet est abandonné par ses parents, les belle-soeurs de Cendrillon sont condamnées à danser avec des chaussures chauffées au fer rouge, et autres mutilations joyeuses... Pas mal de contes sont directement issus des anciennes traditions populaires et donc antérieurs aux versions courantes et ont été adaptés pour les enfants, alors qu'à l'origine ils servaient à véhiculer un certain nombre de principes, valeurs morales et sagesses.
Puis, les enfants n'adorent-ils donc pas les histoires qui leur font peur? La recherche de sensations... Durant ma tendre enfance, lorsque ce n'étaient pas les membres de ma famille, c'étaient ma gardienne et ses parents qui me gâtaient de récits fabuleux. Son père était un homme de connaissance, d'art et de littérature. Diacre à l'Eglise orthodoxe russe, une culture locale abondant en histoires plus belles et plus terrifiantes les unes que les autres. Le pauvre se faisait toujours gronder lorsqu'à la grande insistance de la petite fille que j'étais (je n'ai pas beaucoup grandi depuis, me direz-vous...), il me racontait l'un ou l'autre récit russe qui me donnait ensuite des cauchemars toute la nuit! La nature humaine m'étonnera décidément toujours... Mes chers parents, ne lui en voulez pas... L'infortuné vieil homme m'a ainsi laissé des souvenirs fabuleux... Mais revenons à nos moutons (puisque nous allons parler de mer, mmm?). Voici un résumé de ce très beau conte. Je possède encore l'édition originale (1942) de laquelle mon père me lisait le soir, qu'il avait probablement lui-même reçue de son propre père ou aïeul et que je conserve précieusement telle une relique de moments heureux de mon enfance. J'ai particulièrement apprécié les illustrations de cet ouvrage, qui rendaient le ridicule des situations encore plus marquant.
- Rien pris, mon homme? Dit la femme.
- Non, dit l'homme. Attrapé un turbot qui a prétendu être un prince changé en poisson. Je l'ai relâché. - Sot! Dit la femme. Lui as-tu au moins demandé quelque chose? - Non, dit l'homme. Que souhaiterais-je? - Ah, dit la femme. Tu trouves sans doute amusant d'habiter ainsi dans une vieille marmite! Tu aurais bien pu demander une cabane de pêcheur. Allons, retourne au bord de l'eau et dis- lui que nous aimerions bien avoir une hutte. Il t'écoutera certainement. - Il faut donc que je retourne? Dit le pêcheur. - Tu l'avais attrapé et tu l'as relâché. Il te doit bien quelque chose. Allons! En avant! Dépêche-toi! L'homme n'avait pas envie de rappeler le turbot mais il ne voulait pas non plus contrarier sa femme: c'est pourquoi il finit par se diriger vers le rivage. La mer, cette fois, n'était plus calme et scintillante, mais entièrement verte, jaune et glauque. Il s'approcha de l'eau et dit: - "Petit poisson, menu fretin, mon Isabeau crie et tempête, il faut bien en faire à sa tête!". Le turbot nagea vers le bord et dit: - Eh bien! Que veut-elle? - Voilà, je t'ai relâché tout à l'heure et maintenant mon Isabeau m'a dit que j'aurais dû souhaiter quelque chose. Elle ne veut plus habiter dans une vieille marmite. Elle veut une cabane. - Retourne-t'en, dit le poisson. Elle l'a déjà. L'homme prit le chemin de retour. A la place de la vieille marmite se dressait à présent une cabane et la femme était assise sur un banc devant la porte. Deux chambres, des lits, une cuisine, un jardinet, des poules, des canards et quelques arbres fruitiers. Tout alla à merveille pendant huit jours, quinze jours... Mais alors la femme dit: - Écoute mon homme. Cette cabane est très petite et le jardin fort étroit. Le turbot aurait tout aussi bien nous donner un beau château de pierre. Retourne au bord de mer et demande un château. - Mais, cette cabane est bien assez grande pour nous deux! Qu'irions- nous faire, grands dieux, dans un château? Et si ce poisson allait se fâcher? Je n'irai plus le déranger. - Ta, ta, ta! Dit la femme. Vas-y. Il le fera avec plaisir. Le pêcheur partit à contre-coeur, sentant que c'était là exiger beaucoup du turbot. Lorsqu'il arriva au bord de l'eau, il vit la mer non plus jaune et verte comme l'autre fois, mais violette, sombre, épaisse et grisâtre. Il appela: - "Petit poisson, menu fretin, mon Isabeau crie et tempête. Il faut bien en faire à sa tête!" - Et que veut-elle? - Voilà, dit l'homme embarrassé... Elle veut habiter un château de pierre... - Retourne! Elle t'attend déjà devant la porte. Une fois rentré, le pêcheur découvrit que son château était pavé de dalles de marbres, les murs couverts de tapis d'Orient, avec des lustres de cristal, de la vaisselle d'or et d'argent et un immense parc à gibier. Sa femme était ravie. Ils allèrent se coucher après avoir dégusté un repas plantureux. Le lendemain matin, sa femme lui donna un coup dans les côtes et lui dit: - Mon homme, cet endroit est merveilleux. Mais ne pourrions- nous pas devenir les souverains de cette belle région? Retourne voir le turbot et dis lui de nous faire empereurs. Vas-y! L'homme fut bien forcé d'obéir, très malheureux de cette soudaine exigence de sa femme. Ce n'est pas bien, ce n'est pas bien, ne faisait-il que répéter. Mais il y alla tout de même. Lorsqu'il arriva au bord de l'eau, la mer était cette fois tout noire et furieuse. Elle commençait à bouillonner et se couvrait de bulles et d'écume. Le vent se leva et et forma sur l'eau des tourbillons terribles. L'homme frissonna, parcouru d'un effroyable pressentiment. Malgré tout, il appela: - "Petit poisson, menu fretin, mon Isabeau crie et tempête. Il faut bien en faire à sa tête!" - Et que veut-elle encore? - Hélas, voilà qu'elle veut devenir empereur... - Retourne près d'elle. Elle l'est déjà. De retour chez lui, sa femme l'attendait dans une grande salle de réception, sur un trône de cent coudées, coiffée d'une couronne haute de six pieds et entièrement couverte de pierres précieuses. Devant le trône, toute une cour de rois, princes et ducs. Sa femme rayonnait.
Dehors, une tempête terrible faisait rage. Il pouvait à peine avancer: des maisons et des arbres étaient arrachés de terre. Les montagnes tremblaient sur leur base. Des rochers entiers étaient précipités dans la mer. Le ciel était d'un noir d'encre. Les éclairs sillonnaient l'air et la mer se soulevait en vagues aussi hautes que des tours d'églises. De leur sommet balayé par les vents jaillissaient des crêtes d'écume. Le pêcheur cria de toutes ses forces et entendait à peine ses propres paroles:
- "Petit poisson, menu fretin, mon Isabeau crie et tempête. Il faut bien en faire à sa tête!" - Et que veut-elle, enfin? - Hélas, elle veut être... Et il hésita un instant. Elle veut être le Bon Dieu... - Retourne-t'en, dit le petit poisson. Elle est de nouveau dans sa vieille marmite. Et c'est là qu'ils habitent encore aujourd'hui.
Aujourd'hui encore, cette histoire me rappelle à quel point nous vivons dans une société de consommation, de richesse et où l'on en veut toujours plus. Tout cela semble devenu tout à fait acceptable. Et je ne jette ici point la pierre car, si je travaille beaucoup, je jouis, moi aussi, des avantages de cette société de consommation. Le monde occidental d'aujourd'hui nous apporte tant de facilités et de confort, que nous avons tendance à considérer ce luxe comme la norme. Certains manifestent chez nous pour leurs soi-disant "droits acquis", là où d'autres ne disposent pas même des premières nécessités. En voyageant un peu, l'on se rend compte que l'on vit bien dans nos contrées et particulièrement grâce à des systèmes sociaux généreux. Quoi que l'on puisse en penser, il est, quelque part, un peu logique que d'autres nous envient.
En outre, tout cet environnement nous rend trop souvent aveugle aux bonheurs simples: la beauté d'un soleil couchant, de la rosée du matin, d'un regard, d'un sourire, d'une caresse. Et avant tout, à celui d'être en vie et en bonne santé.
Alors, la prochaine fois que vous lirez un conte à un enfant, j'espère que vous vous souviendrez du petit turbot. Et quant à vous, Messieurs, qui vous vous considérez parfois pauvres pêcheurs, si votre femme vous demande le soleil ou la lune... Prenez délicatement son visage entre vos mains, caressez lui la joue, serrez-la doucement dans vos bras, embrassez-la tendrement et glissez-lui à l'oreille, simplement, que vous l'aimez... Cela vaudra tous les châteaux du monde...
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AuteurArchives
August 2023
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