© Image (Extrait de l'article du magazine Yachting Sud nr 953 paru en avril 2018)
Un navire sans nom, c’est un peu comme une mer sans eau, un voilier sans voiles. C’est un enfant orphelin, un homme sans identité... Depuis des millénaires, les marins ont pris pour usage de nommer leurs fidèles destriers de qualificatifs variés et personnalisés, des plus modiques embarcations aux vaisseaux les plus prestigieux. Mais pourquoi cette tradition revêt-elle donc une telle importance pour les gens de mer ? Une coutume aux raisons multiples.
Besoin d’un Nom pour exister
« Quand une chose n'a plus de nom, elle disparaît… » (Pierre Turgeon)
Le nom, n’est-ce pas l’être ? Les noms sont des marqueurs d'identité primordiaux car ils situent les individus et leurs liens dans une communauté (historique ou actuelle), dans une terre (le port d’origine, le village), dans une lignée, celle par exemple d’un constructeur naval (Pen Duick). Avec le nom résonne une appartenance. Un bateau, c’est un individu à part entière. Avec son physique, son caractère, ses qualités, ses défauts, ses sautes d’humeur même parfois. Un être bien réel que son capitaine interpelle, complimente, courtise, houspille, implore, ou à qui il donne des noms d’oiseaux... à ses heures perdues. Un partenaire avec qui il converse, négocie, se querelle et se réconcilie. Un bateau sans nom, c’est morne et triste. Et lors de longues traversées, n’est-il pas désolant de passer tant d’heures ensemble sans même pouvoir s’appeler par son petit nom ? Un nom, c’est également une manière de se rassurer, de se dire que l’on n’est pas seul à bord. Lors de traversées en solitaire, combien de skippers ne parlent-ils pas à leur navire, voire à leur pilote automatique (qui lui aussi, sera parfois baptisé Nelson ou Archibald...), à leurs voiles, voire à leur gréement dormant. Un des équipages (Flicka III) de la toute récente Transquadra a ainsi affectueusement renommé son bout-dehors « Pinocchio »...
Qu’y a-t-il,dans un Nom ?
« Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose embaumerait autant sous un autre nom. Ainsi, quand Roméo ne s'appellerait plus Roméo Il conserverait encore les chères perfections qu'il possède... ». (Roméo & Juliette, William Shakespeare)
Comment choisir le nom d’un bateau ? Masculin, féminin ? Long, court ? Simple, tarabiscoté ? Un nom de bateau, on doit en être fier. C’est comme celui d’un enfant, d’une épouse. On doit l’aimer et le prononcer avec plaisir. On espère toujours qu’il portera bonne fortune à son équipage. Ainsi, parfois, il faudra faire fi du nom dont il a hérité. Un nom irrévérencieux ou à première vue un peu saugrenu ne signifie en rien que l’embarcation ne se révèlera pas en réalité un véritable petit bijou en mer. Il faudra savoir prendre le navire pour qui il est et non pour le concept qu’il représente à travers son patronyme. Le sobriquet du navire représentera un endroit, un souvenir, un événement historique, une marque, un être cher, une philosophie de vie, une mentalité, un caractère... Il pourra se vouloir hommage à son constructeur, à un personnage célèbre, à un héros fictif ou à quelque divinité dont on désire s’attirer les bonnes grâces. Il pourra même aller jusqu’ à traduire un sarcasme ou une plaisanterie pour les plus spirituels. Le choix demeure donc infini.
Un nom de bateau, c’est aussi un peu son histoire. Il doit idéalement raconter un récit, avoir un sens caché, tout comme un vrai prénom. Une raison de plus pour prendre le nom ou le baptême d’un vaisseau au sérieux. Que de navires aux noms évocateurs et prestigieux : La Marie-Galante, L’Etoile du Roy, l’Amerigo Vespucci, la Santa Maria, le Mayflower, le Sedov, le Simon Bolivar, Le Bounty, la Licorne, le Potemkine, le Pen Duick, le Faucon Maltais, le Karaboudjan, le Robertissima, le HMS Victory, la Recouvrance, le Normandie, le Cutty Sark, le Calypso, le Liberty of the Seas, le Redoutable, le Nautilus, le Pequod et tant d’autres...
© Photos - Rêvesdemarins
Baptême de l’Erre
Pourquoi renommer un navire ? En règle générale, il est recommandé aux bateaux de conserver leur nom même s’ils changent de propriétaires, ce qui n’est pas toujours au goût de ces derniers. Un peu comme un enfant adopté garde son prénom même si son nom de famille varie. Même si la mer engloutit le navire et l’homme, pour les grands navires, c’est bien leur nom, et non leurs prouesses que l’on retient souvent. Certains noms de navires perpétuent un parfum de regrets, d’émotions, voire de terreurs... Que ce soient le Titanic, la Méduse, le Pourquoi-Pas, le Mary Céleste ou ces fameux vaisseaux fantômes ou épaves dérivantes tels le « Flying Dutchman » ou le « Black Pearl » dont rien que le nom faisait trembler les matelots. Cependant, reprendre le nom d’un navire qui porte en lui des souvenirs amers s’avère parfois délicat. Qui aurait envie de renommer son navire « Titanic » ?
Et puis un nom, idéalement, doit être unique. Bien entendu, tout comme les monarques ou les papes, un navire peut bien entendu reprendre le nom de son ancêtre ou de ses versions antérieures (par ex. Kriter V). Certains constructeurs exigent d’ailleurs une référence à leur marque de fabrique dans le nom du navire, comme le fabuleux constructeur danois des X-Yachts : tout voilier sortant de leurs chantiers doit contenir la lettre « X » dans son nom.
Un Nom à coucher dehors
Alors, que faire au cas où le nom du navire que l’on vient d’acquérir déplaît à ce point qu’il en donne des cauchemars ? Il existe des solutions, à condition de respecter quelques règles élémentaires.
Même si les navires, d’habitude, couchent dehors, ce n’est pas une raison pour leur donner un nom digne de cette expression. Une bonne réflexion sur le prénom du nouveau-né s’impose. Et nul ne doute qu’elle donnera parfois du fil à retordre à son propriétaire avant de trouver le pseudonyme idéal. Ensuite, un peu de pragmatisme n’a jamais fait de tort à personne. Imaginez renommer votre voilier « Le Fou des Flots Surfant Sur les Vagues », « Quetzacoatl » (dieu mexicain) ou encore « Cwmystwyth » (village gallois). Bonjour les dégâts lorsqu’il faut le prononcer en urgence à la VHF ou même l’épeler selon l’alphabet maritime. Un peu d’indulgence sera donc la bienvenue pour les radiotélégraphistes qui devront le comprendre de l’autre côté de la ligne.
Éviter le Courroux des Dieux marins
Enfin, si l’administration maritime permet de changer le nom d’un navire en remplissant les formulaires prévus à cet effet (seul le numéro d’immatriculation d’un navire devrait être unique), renommer un navire a souvent été vu comme la source du courroux des dieux marins. La tradition maritime affirme en effet que cela porte malheur. Pour éviter tout désagrément de ce genre, une première sortie en mer respectant les rites initiatiques sera dès lors vivement conseillée, à savoir (cérémonie d’intronisation d’origine incertaine, mais appliquée dans certains ports) :
• Désigner une marraine • Afficher, sur le navire, le nouveau nom à la place de l’ancien • Embarquer une bouteille de champagne • Sortir en mer, la marraine à bord • Ensuite faire décrire un 8 au navire et par trois fois croiser son sillage (pour occire le fameux « macoui », ce serpent qui suit toujours le bateau, en l’endormissant avec un peu de champagne versé par-dessus bord), ou encore lui faire faire un tour sur lui-même et en croiser l’erre • Ne pas oublier d’embrasser la marraine... Pour se renseigner sur les noms de navires existants, il suffira de consulter la base de données de l’administration maritime locale. Cependant, elle n’indiquera souvent que la liste des bateaux immatriculés dans un même pays, voire une seule région. Gare donc aux doublons... Alors, si les noms potentiels de navires sont pléthore, le baptême d’un navire demeure sans aucun doute une chose sérieuse à méditer. Ne reste plus qu’à trouver le bon nom...
© Photos - Rêvesdemarins
À propos de trouver le bon nom... Ce WE, j ‘ai ainsi le grand plaisir d’assister au baptême d’un navire exceptionnel : AMALIA. Un très joli nom pour un bateau, n’est-ce pas ? Son origine ? Charlotte Amalie, dans les îles vierges américaines, que ses propriétaires aimaient bien... Je lui souhaite de fabuleuses navigations ! (Avec moi à bord, de temps à autre si possible... )
Ces quelques prochains jours de mai sont incroyablement riches en fêtes tels que baptêmes, repas, concerts, anniversaires, réunions et autres célébrations auxquelles je ne pourrai malheureusement pas toutes participer n’ayant pas encore le don d’ubiquité (il y a pourtant 365 jours dans un an ! Il faut toujours que tout tombe aux mêmes dates... ). Cependant, je serai en pensées avec chacun d’entre vous qui avez un évènement heureux à fêter auquel je ne peux me joindre. Ce n'est que partie remise ! Je vous souhaite un excellent dimanche ensoleillé de Nieuport.
© Photos - Rêvesdemarins
0 Comments
Leave a Reply. |
AuteurArchives
August 2023
Catégories
All
Suivez Rêves de Marins sur Twitter
|