Peut-être avez-vous déjà une indigestion des articles sur le sujet. Moi aussi, entre nous. Cependant, je ne résiste pas à la tentation de vous offrir un dernier et différent point de vue sur la question.
Elles m’ont toujours fascinée. Leur cocon de pierre m'apporte toujours quelqu' admiration et une certaine dose de sérénité. Et où que j'aille aux quatre coins du monde, j'y dépose toujours une petite flammèche pour un voeu. Et celle-ci plus que toutes ses sœurs... Leurs bâtisseurs ont toujours éveillé mon respect, mon admiration et mon émerveillement. Elles ont traversé les siècles, les combats et les catastrophes (qu’elles soient naturelles ou non). Et celle dont je compte vous entretenir ce dimanche vient de défier le sort... Elle est, à mon sens du moins, la plus Grande Dame de Paris.
Et pourtant, les images de son toit en flammes me touchent profondément malgré moi. Un sentiment bizarre. Un peu comme si une partie de moi s’envolait en fumée. Pourquoi ce malaise ? Alors qu’il ne s’agit rationnellement que d’un bâtiment (et heureusement, l'accident n’a causé aucune victime). Pourquoi cet événement a-t-il ému tant de personnes (avec l’aide subliminale des médias...) tandis que tant d’autres sujets méritent bien plus de considération ? Alors, j’ai cherché la réponse.
God help the Outcasts
Tout d’abord, Notre Dame, pour certains, c’est un navire, un refuge, un sanctuaire où pauvres hères et infortunés pouvaient jadis demander l’asile. C’est une nef, une mère, des bras de pierre où l’on pouvait venir se blottir et épancher ses larmes sans honte ni crainte. C’est une maison où l’on se sent chez soi... C’est une arche de Noé, un vaisseau à bord duquel toutes les couleurs de peau, langues et même religions peuvent monter s’ils le désirent. Au diable les différences de religions. La culture et la beauté architecturale, les vraies, n’ont pas de frontières ni d’opinions politiques. Tous ceux qui l’ont visitée sont tombés sous son charme ensorceleur. Ses tours et sa flèche comme des bras tendus vers le ciel. Ses vitraux comme un hymne à la lumière. Ses arcades comme un défi à la gravité. Ses gargouilles comme un clin d’oeil aux démons. Son parvis comme une ode à la pierre. Ses cloches comme un psaume à l’oreille. Sa silhouette comme un cantique à la ville... Sans oublier le fait que Victor Hugo (et Walt Disney....) ont fait d’elle une héroïne millénaire.
© Photos - Rêvesdemarins
Le Grand Feu
Ensuite, le fait que ce soit le feu qui l’embrase. Quoi de plus banal pour un vieux bâtiment ? Elle n'est ni la première, ni la dernière à subir ce péril. Bien d'autres églises, palais ou sites culturels d'exception sont passés par là : les illustres Troie, Rome, Alexandrie (et sa merveilleuse bibliothèque) et Constantinople, le Temple de Jérusalem, les cathédrales de Nantes, Chartres, et Reims, le Palais des Doges à Venise, le Mont St Michel, les villes de Rouen, Rennes, Londres, Lisonne, New York, Boston, Montréal, Chicago, Bergen, Hambourg, Troyes, St Malo, Heidelberg, Copenhague, le Théâtre du Globe à Londres, le Reichstag à Berlin, le magasin Printemps Haussmann à Paris ou l'Innovation à Bruxelles, le Grand Bazar de Constantinople, le Grand Théâtre de Marseille, le château royal de Stockholm, le Palais Royal et l'Hôtel-Dieu à Paris, les Palais de Westminster à Londres jusqu' à celui de Bruxelles, les tours du WTC à New York et des centaines d'autres encore. Et certains d'entre eux ont eu le privilège de brûler plus d'une fois !
Toutefois, ce détail me renvoie à des souvenirs d’enfance, ceux d’un autre lieu où je me sentais chez moi et qui fut étrangement détruit exactement de la même manière : mon école secondaire. Notre Dame de Jupille. Un bâtiment classé dont une tour (la Tour Charlemagne) datait du XVIe siècle mais dont on soupçonnait des origines du VIIIe déjà comme étant un des endroits favoris de Pépin Le Bref. Une bâtisse de charme, recoins et mystères, où j’ai même eu l’occasion de découvrir les parties les plus secrètes lors de quelques séjours en internat. Planchers de chêne centenaires, portiques à l’odeur de cire, greniers sombres et surtout combles aux charpentes alambiquées. Une chapelle majestueuse, un péristyle de colonnes et des orgues au son enchanteur. Bref, une mini Notre Dame, sans les touristes... Le soir du 30 avril 1990, le feu prend dans les combles et les chambres de bonnes de l’école dirigée par les chanoinesses. La bâtisse est heureusement vide. Les pompiers sont rapidement sur place, mais le brasier s’avère incroyablement destructif et les endroits touchés difficilement accessibles vu la hauteur du vieux bâtiment. La toiture succombe, les étages supérieurs aussi. C’est ensuite au tour de sa grande chapelle. Notre professeur de musique, désespéré, doit assister à l’agonie de ses chères orgues dans la chapelle, venant juste d’être restaurées. Les flammes dévorent tout l’intérieur sauf l’ancienne tour Charlemagne et l’aile attenante. Mes souvenirs s’envolent en fumée. Mes années et bonheurs de mon adolescence s’effacent soudainement sous l’éponge calcifiée du tableau de mon passé. Une page se tourne sur mon histoire. Des années durant, jusqu’à aujourd’hui encore, cette ancienne bâtisse continue de peupler mes rêves et ceux de mes anciens compagnons scolaires. Ce bâtiment d’exception nous a tous marqués.
© Photos - INDJ - Stephanegilson.be
Nothing can be destroyed...
J’ai peur pour elle. Je crains que ses cendres n’emportent avec elles une partie de mes souvenirs, de mes émois, de mon passé. Mais la Grande Dame de Pierre tient bon les flammes. Ses cheveux boisés se consument mais elle ne faiblit pas. Sa robe de tuiles se découd mais elle reste debout, telle un fier et preux chevalier millénaire à présent nu pieds et dévêtu de son bliaud. Et puis, personne ne peut me voler ma mémoire, mes bonheurs, cet émerveillement et ce ravissement sans fin face à ses trésors sculpturaux. Son image restera à jamais gravée dans ma pierre à moi, celle de mon cœur.
Ne soyez pas triste. Mon heure était venue. J'étais lourde de milliers de prières. J'ai traversé les siècles. Sans bouger, j'ai voyagé la terre entière grâce à vous. J'ai vu tous les visages et entendu toutes les langues. En attendant de renaitre de mes cendres, je reste dans vos images et vos souvenirs. Gardez à l'esprit que je suis dans toutes les pierres, le sol sur lequel vos pieds se posent, l'air que vous respirez et aussi dans l'odeur d'encens. La pluie terminera de diffuser ma mémoire dans toutes les artères du monde. (Nuit étoilée)
Les endroits se modifient. Les objets disparaissent. Les repères déménagent. Les sentiments se fanent. Les images ternissent. Les gens changent... Tout dans ce monde n’est que mouvance. Cependant rien ne peut détruire notre passé. On peut le renier, le bannir, l’oublier, l'enfermer, le mettre derrière nous. Mais il ne cesse d’avoir réellement existé. Tous ces évènements réels, émotions, sentiments et monuments de l’histoire d’antan continuent ainsi d’exister à travers notre mémoire, nos récits et nos cœurs. C’est pour cette raison qu’ils demeurent immortels. Ceux qui ont démantelé des temples pour en rebâtir de nouveaux avec les anciennes pierres ne l’ont pas compris. Ceux qui ont bombardé les merveilles construites par leurs ennemis sont des ignares. Ils n’ont pas réalisé qu ‘en croyant les faire ainsi disparaître, qu’en réalité, ils sublimaient leur souvenir et les rendaient impérissables.
Et quand bien même le brasier t’aurait consumée ce soir-là à Paris, Notre Dame, tu continuerais d’être là, en moi... « La jeune femme déroule alors l’écharpe de laine noire qu’elle porte, lui enroule et lui noue autour du cou avec une cajolerie déconcertante. La silhouette de la Cathédrale se profile dans son ombre. Le parvis est désert. Les pavés gris reluisent dans la lumière des lanternes. » (L’Autre Mer, P. M. )
Maîtres Bâtisseurs
Si les récits médiévaux et en particulier ceux à propos des bâtisseurs de cathédrales et maîtres verriers vous tentent, ma collection de romans historiques sur ce sujet vous tiendra encore souvent éveillés avant d’aller dormir (non, je ne lis pas que des ouvrages de mer). Quelques exemples : “Les Pilliers de la Terre” (Ken Follet). “Aubertin d’Avalon” ou “le Passeur de Lumière” (Bernard Tirtiaux), “le Grand Feu” (Jeanne Bourin), Le Printemps des Pierres” (Michel Peyramaure) ou encore l’indétrônable “Notre Dame de Paris” (Victor Hugo). Et j'ose espérer que la comédie musicale de Luc Plamondon vous plaira autant qu’elle ne m'a ravie pour invoquer la magie de la cathédrale dans le récit d'un grand auteur.
Alors, je vous partage ici quelques uns de mes souvenirs forts de Notre Dame. Peu importe les médias, peu importe l'image que la presse t'a donnée et peu importe tes détracteurs. Tu restes en moi une grande dame en souvenir, qui défiera les siècles à venir.
Je vous souhaite un excellent dimanche et de très joyeuses Pàques !
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AuteurArchives
August 2023
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