Que lisez-vous en ce moment ? Moi, je me suis plongée dans “Le Bathyscaphe d'Alexandre".
Un livre qui plaira probablement plus aux historiens qu'aux amateurs de croisière. Je prends néanmoins ma chance de partager ici mes impressions d'un ouvrage qui m'a étonnée et charmée de ses ressources et son caractère scientifique. Cette œuvre sur le monde maritime à l'époque médiévale est le résultat d’une écriture collégiale entre treize jeunes chercheurs historiens/littéraires médiévistes et publié sous le label du groupe Questes. Cet ouvrage allie deux sujets qui me passionnent : mer et une période de l’histoire bien moins noire et incroyablement riche en découvertes que l'on n'a souvent eu tendance à la dépeindre. Idéal pour me plaire...
La légende d’Alexandre
Le Roman d’Alexandre est un recueil de légendes concernant les exploits d'Alexandre le Grand. Source des différents miroirs des princes médiévaux, il fut, malgré la diversité des versions, l’un des livres les plus répandus au Moyen Âge, objet des premières traductions dans les langues vernaculaires d'Europe. Concernant la littérature française, le poème d'Alexandre de Paris (Li romans d’Alixandre) marque l’apparition du vers de douze syllabes, nommé depuis pour cette raison alexandrin. (Source Wikipedia)
© Image – Wikipedia
Ceux d’entre vous qui se souviennent un tout petit peu de leurs cours d’histoire clameront haut et fort qu’Alexandre le Grand n’a pas vécu au Moyen Âge. Et ils auront parfaitement raison. Alexandre le Grand, roi de Macédoine, a vécu au IVe siècle avant JC. Souvenez-vous, il est décrit comme un des plus grands conquérants de l’Antiquité, en prenant possession de l’empire perse et s’avancant jusqu’aux rives de l’Indus. Sur la route de ses conquêtes, il fonde des villes. La plus connue de ces cités serait Alexandrie d’Egypte, sa fabuleuse bibliothèque et son merveilleux phare.
De tous temps, son nom résonne comme celui d’un héros et ses conquêtes comme un mythe. Son épopée suscite dès l'Antiquité de nombreuses publications et légendes. Une de ces légendes se nomme “Le Roman d’Alexandre”, écrit par Pseudo-Callisthène. De tous temps, ses prouesses sont louées comme un idéal de souverain, promoteur d’une ouverture entre Orient et Occident. Au Moyen-Âge, on le représente comme un modèle de vertus chevaleresques (une image probablement loin d’une réalité bien plus excessive et autrement brutale).
Dans ce roman, on retrouve un épisode moraliste narrant une anecdote liée à la mer. On y dit que le grand roi aurait visité la mer dans un sous-marin de son invention. Durant sa descente dans les fonds marins, il aurait découvert une autre forme de vie et acquis un savoir politique important : les gros poissons mangent les petits. Et parfois, ce sont les petits poissons qui mangent les grands, à force de ruses et de stratagèmes. Alexandre représente le dirigeant assoiffé de découvertes et d’aventures. Et dans ce cadre, il décide d’explorer une partie du monde qui lui est encore inconnue à travers son voyage sous la mer. Pour y parvenir, il fait mander son maître-verrier et lui ordonne de fabriquer un tonneau de verre scellé de plomb pouvant abriter trois personnes, équipés de lampes et être immergé pour aller inspecter les abysses marines. Le projet est ambitieux, téméraire et visionnaire pour l’époque où les mers sont synonymes de monstres et de créatures inconnues toutes plus effrayantes les unes que les autres. On se croirait dans un scénario de science-fiction. Et Alexandre y trouve sa finalité morale : son expérience lui permet de s’interroger sur les responsabilités politiques des souverains et y est réconforté dans sa légitimité guerrière.
Six chapitres pour un royaume marin
Mais revenons au livre " le bathyscaphe d'Alexandre", dont ce billet fait l'objet.
L’ouvrage se divise en six chapitres couvrant chacun un aspect distinct lié à la mer à l'époque médiévale. 1. La perception de la mer Il débute par l'histoire de ses représentations ambivalentes à travers les écrits et les siècles : à la fois source de peur et de curiosité. La mer dangereuse et salutaire à la fois. On la représente comme un espace changeant. "La mer et l'amour ne sont point sans orage..." (A Philis, Pierre de Marbeuf)
Vous y retrouverez des contes, légendes et récits antiques faisant tous référence à des épisodes marins y compris leur lien à l'amour : L'Odyssée, Tristan & Yseut, le Déluge, Moby Dick et bien d'autres.
"Pas plus qu'on ne pourrait épuiser la vaste mer (...), pas plus ne pourrait-on détacher de vous mon coeur..." (Le Livre du Voir dit, Guillaume de Machaut)
2. Prendre la mer
L'occasion d’en apprendre sur les procédés de navigation et innovations techniques de la période, comme le gouvernail d’étambot, la création des navires d'Oseberg et de Snekkja... Les auteurs y mettent en évidence les apports (notamment linguistiques) des navigateurs venus de Scandinavie et d'Allemagne du Nord. 3. Vivre en mer Ce chapitre ouvre une parenthèse sur le quotidien des gens de mers, surtout à travers des récits de pèlerins. 4. La mer nourricière Cette partie nous décrit la pêche et des traditions alimentaires de l'époque. Ainsi, connaissez-vous l'origine du mot "marsouin" ? Il s'agit de "mar-svin", ce qui signifie "porc des mers" en langue germanique, un animal très recherché pour sa graisse, le "craspois". 5. Les ports et sociétés littorales ICe cinquième chapitre traite de la transformation des sociétés et des paysages liés à la mer. L’essor des activités portuaires, la création de villes nouvelles, comme Lübeck et Riga au XIIe siècle et l’apparition de piliers politiques et commerciaux, parmi lesquels Venise et Gênes. 6. A qui la mer ? Enfin, cette dernière section touche à la question de la propriété de la mer : batailles navales, taxes de commerce maritime, législations pour régir les relations en mer. On y aborde comment certaines puissances tentent de taxer la mer et de pousser les économies maritimes (Danemark, Egypte fatimide, Angleterre... ). Bref, un ouvrage complet pour faire un tour relativement complet du sujet. Et malgré le fait qu’il soit le résultat de treize visions différentes, il se lit comme le produit d’un et seul même auteur. Une belle prouesse littéraire.
© Questes, Le Bathyscaphe d'Alexandre. L'homme et la mer au Moyen Âge, Paris, Vendémiaire, col. « Chroniques », 2018, 211 p., ISBN : 978-2-36358-312-3.
To print this post only, first click on the Post Title, then on the print icon.
0 Comments
Leave a Reply. |
AuteurArchives
August 2023
Catégories
All
Suivez Rêves de Marins sur Twitter
|