Des lunes durant, les eaux sont paisibles dans une mer calme. Le bateau avance avec fluidité vers l'horizon. La vie est belle, les vents favorables. Les fortunes de mer sont loin derrière. Le navire poursuit sa route en paix vers la douceur du soleil levant.
Soudain, venu de nulle part, un remous brise le silence, brusque et violent. Comme un immense murmure, un seul. Un murmure qui hurle. Et la mémoire ressurgit. La vague remonte du fond des abysses. Et de ces profondeurs ressortent des créatures aux allures de monstres. La vague est lourde, écrasante, oppressante. Le marin se sent projeté dans l'onde et dans son passé. Il se revoit auparavant, déchiré par les éléments, jouet des déferlantes maglré lui, au bord de la noyade, qui jamais ne parvient vraiment à l'emporter. La lame de fond l'entraîne vers le tourbillon d'écume. Elle l'étouffe. Le marin happe l'air pour recouvrer sa respiration. Il voit désespérement son voilier poursuivre sa route sans lui. A-t-on seulement remarqué son absence à bord ? Il voudrait crier, mais l'eau a déjà empli sa bouche. Il voudrait nager et remonter à bord, mais les tumultes aqueux l'attirent toujours plus loin, toujours plus fort vers le fond de l'océan. Il entend le vacarme de son coeur qui tambourine en désordre dans ses tempes. La panique le gagne. Il halète frénétiquement sans parvenir à retrouver son souffle. Les flots fourbes le submergent lentement. Ses bras et ses jambes battent convulsivement sans parvenir à le ramener à l'air libre.
© Photos - Rêvesdemarins (Portugal : côte atlantique, Cabo San Vicente & Sagres)
Ses peurs ancestrales le rattrapent. Il revoit en un instant ces fortunes de mer qui l'ont autrefois terrifié. Il revit ces situations d'où il ne s'est jadis dépêtré qu'à grand peine et à forts coups de pieds dans l'eau. Ces naufrages qu'il avait espéré ne jamais plus revivre. L'histoire se répète, une, deux, trois fois, de manière inopinée, en dépit de ses actes de raison et de son extrême prévenance. Toutes les mers sont-elles donc les mêmes ? Je ne suis coupable de rien... Je n'ai pas même offensé les dieux des flots ! Tous les océans sont-ils donc tous impitoyables ? Pourquoi dois-je donc repasser par les mêmes vicissitudes ?
La mer a ses raisons que la raison ne connaît pas...
Alors, il ferme les yeux, et prend une grande inspiration lorsque son visage parvient enfin à brièvement sortir de l'eau. Il vient de décider de jouer avec la vague plutôt que de la laisser le malmener. "Si les poissons et les surfers le peuvent, je le peux aussi "! Il se débarrasse alors de ses vêtements. Un à un, il les enlève et les laisse s'enfuir dans l'onde. Il se retrouve nu. dans l'eau. Il se sent plus léger, plus libre de ses mouvements. Et lentement, son souffle se ralentit. Son coeur se tranquilise. Il retrouve peu à peu l'usage de ses membres. Et il se met à nager au coeur de la houle, sous l'eau, au creux de la vague scélérate. Mètre après mètre, il gagne du terrain. Il nage avec la mer. Il apprend à jouer avec la vague et à suivre ses ondulations. Puis, lasse de ce jouet qui ne joue plus son jeu, la lame de fond se fatigue de son pantin : elle le laisse prendre de l'écart. Et elle finit par repartir dans une autre direction. Et il reprend confiance en lui. Le navire se rapproche. La distance diminue. Et la vague se distancie de lui. Il sort du remous. Il revient vers des eaux plus sereines. Et là, son voilier le guette. Il l'a attendu. Il l'a tenu à l'oeil. Jamais, il ne l'a pas laissé s'enfoncer. Il pourra remonter à bord. Tout n'est qu'une question de temps, de courage, de persévérance et de patience. Avec un équipage de navire qui ne l'a en rien laissé pour compte à la merci des flots, prêt à le repêcher.
"Il y a souvent plus de choses naufragées au fond d'une âme qu'au fond de la mer... "(Les Contemplations, Victor Hugo)
La lame de fond ne l'engloutira pas, ni son voilier. Elle n'aura fait qu'une apparition, pour le tester, pour l'éprouver, ou par désespoir de trouver une autre marionnette. Surtout ne pas la laisser prendre possession de soi. Ne pas la laisser jouer son chantage. Elle finira par repartir, lasse, comme elle est venue. Et si elle revient, le marin aura enfin appris à la dompter, comme un animal traqué que l'on parvient à apaiser. Le marin sera devenu capable de nager et de négocier les la(r)mes de fond.
Bon dimanche à tous... Qu'il vous soit paisible et sans déferlantes.
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AuteurArchives
May 2023
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