Janvier. Il neige sur la ville aux mille tours. Le Pont Charles (Karluv Most) est encore désert, immaculé sous les flocons à cette heure, avant que la horde de touristes ne le noircisse de monde. De l'autre côté du fleuve se dresse fièrement le château. Le long de ses remparts s'y étire la ruelle d’Or et ses maisonnettes colorées. Construite, selon la légende, sur ordre de l’empereur Rodolphe II, un passionné de sciences occultes et d’arts ésotériques au XVIème siècle, elle y aurait abrité les alchimistes chargés de trouver la pierre philosophale permettant de changer le plomb en or et l’élixir de vie... Je vous emmène ce dimanche faire un voyage dans le passé de la romantique et très mystérieuse Prague.
La Ville des Fables
Les contes et légendes font partie intégrante de Praha. Partout où l'on pose le pied dans la cité tchèque, les vieilles pierres transpirent le mystère, la sorcellerie et l'occulte. Jusqu'aux enseignes des maisons, faute de numérotation jusqu'au XVIIIe siècle, qui portaient pour nom des signes dignes d'une fable de Jean De Lafontaine : le renard bleu, le lion d'or, la chaussure blanche, le raisin d'or, la licorne, les trois violons, l'arbre d'or, le soleil noir, la grenouille verte et bien d’autres encore.
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Chat noirs, magie noire... La cité regorge d’animaux les plus inattendus. Les frontons des bâtisses rivalisent d’imagination lorsqu’il s’agit de nommer leur huis d’un animal fantastique. Et en plus des chats noirs et autres reptiles en bocaux ou singes, compagnons (d’expérimentation) des maîtres alchimistes, j’y ai croisé ragondins, cygnes et même ours polaire (à mon avis, il s’était perdu celui-là...) !
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Festin médiéval
Mon premier souvenir culinaire de Prague m’avait laissée un peu sur ma faim. Mais ma seconde tentative de goûter à la gastronomie tchèque ne m’a pas déçue par contre (à condition de ne pas être végétarien ni trop regardant sur sa ligne). Travers de porc fondants, pain au goulash, volaille ou gibier rehaussé de raifort aux pommes (si, si, la combinaison est réussie), sans oublier les fameux pretzels locaux croquants ou les pains d’épices et une bonne rasée d'absinthe pour arrondir le tout. Une condition : oser la gargote du coin où la carte reste résolument un mystère en langue locale ou se décline en traductions anglaises ou allemandes pour le moins farfelues (celles en russe me demeurant un Code de Da Vinci tout aussi complexe à décrypter que la tchèque). En outre, comme la cité se révèle une incroyable machine à remonter le temps, j’ai résolument tenté un voyage vers le Moyen-Age en terminant mon séjour par un repas médiéval dans une cave chaleureuse sous l’oeil bienveillant du chevalier en armure aux pieds pointus gardant l’entrée et aux réserves bien arrosées : hydromel et alcool de prune local à la lueur des bougies, concert de ménestrels du pays en prime. Un festin !
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Cité légendaire et de Légendes
Les mythes et contes font partie intégrante de Prague. A chaque coin de rue, on risque de se retrouver nez à nez avec l'un de leurs personnages ! (Surtout en hiver lors de averses de neige ou du brouillard local qui reflète parfaitement bien l'ambiance fantasmagorique de la cité. ) Pour n'en mentionner que quelque uns : la légende de St Jean Népomucène, le patron des bateliers, ponts et toute autre personne ayant un quelconque rapport avec l'eau. Ou encore celle du Golem (un être fait de vase et d'argile ayant reçu la vie pour agir comme protecteur des Juifs de la cité contre les pogroms), le Templier sans tête, le Poilu, les Gnômes du château, Laura sans tête, l'Homme de fer, le Squelette de la colline, le Bébé du pont Charles, le Barbier Fou, le Marchand Obèse ou encore le Canal du Diable... Sans oublier la fameuse légende du docteur Faust, qui adepte de magie noire, au XVIe siècle, aurait vendu son âme au diable en échange du secret de l'amour et de la jeunesse éternelle. Bref, on ne s'ennuie guère à Prague.
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Les Artisans du Temps
Si le temps semble s’être figé aux siècles passés dans la vieille ville, les horloges, elles continuent inlassablement d’y tourner... Rouages, aiguilles, contrepoids et mécanismes complexes d’horlogerie passionnent les artisans du temps. Réminiscence d’une ancienne invasion helvétique ? L'horloge astronomique (en réalité un astrolabe sensé montrer la position des astres célestes), date de 1410 et est toujours fonctionnelle. Et lorsque toutes les cloches de la cité se mettent en branle pour sonner le méridien sur ordre de l'horloge, on se croirait au Vatican un jour de Pâques. Qui dit méridien, dit astronomie. Et qui dit temps dit... astrologie.
Copernic, Galilée et Kepler. Des noms qui résonnent toujours de nos jours. Tous ont travaillé à Prague. Et puis, un quatrième larron - Tycho Brahé, Tyge Brah de son nom danois - moins connu que ses illustres contemporains. Pourtant, à l’aide de quadrants (ancêtres du sextant) et systèmes de miroirs complexes, bien avant l’avènement du télescope, le mathématicien de la cour fut le premier à observer une supernova et à permettre la découverte des lois fondamentales du mouvement des corps célestes. Il est considéré comme le plus grand astronome du XVIe siècle. La légende raconte qu’il portait un nez en or, suite à une blessure encourue lors d’un duel. En 1601, il meurt subitement à la table de son mécène, l’empereur Rodolphe II, roi de Bohême et de Prague, dans des circonstances étranges faisant penser à un empoisonnement par des métaux lourds. Un geste de la part d’un rival astronome ? Des recherches et une exhumation en 2010 dévoileront un décès naturel coupant court aux spéculations d’intrigues de meurtre, à la légende, ainsi qu’à la nature de sa prothèse nasale, en réalité faite de cuivre/zinc. Le scientifique repose aujourd’hui dans l’église de Tyn, dont les deux flèches pointent vers le ciel en hommage à ses travaux sur la voûte céleste.
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L'empeur Rodolphe II, passionné de culture et de sciences, promeut un essor culturel sans précédent à la ville sortant d’une longue période de stagnation. Il possède une collection sans pareil d'oeuvres d'art. En en faisant le lieu de destination préféré d’intellectuels, scientifiques et d'artistes célèbres de l'époque, il lui vaudra le titre d’ « Âge d’Or ». Le peintre italien Giuseppe Arcimboldo (vous savez, ce peintre de tableaux souvent composés de fleurs, fruits et légumes), se risquera même à faire un portait de l’empereur lui-même sous les traits d'un jardinier. L’assemblage ingénieux de fleurs, de fruits et de légumes qu’on y voit à première vue se transforme ainsi sous un œil averti en Vertumne - un Dieu multiforme représentant les quatre saisons et surtout protecteur de l'alchimie... Ce qui nous amène au thème de ce billet...
L'Alchimiste des Sens
En plus de scientifiques, philosophes et savants, l'empereur Rodolphe II de Habsbourg s'est entouré de mages, astrologues et alchimistes. John Dee en fait partie. Dee est un mathématicien, géographe, astronome et astrologue britannique réputé pour ses connaissances en navigation, ayant lui-même formé toute une série d'équipages qui dirigèrent les grandes explorations et expéditions britanniques. Dee a collaboré avec Gerardus Mercator et possède une importante collection de cartes, globes et instruments astronomiques. Il invente des instruments et des techniques de navigation spécifiques pour la navigation polaire. John Dee aurait, dit-on, servi de modèle d'inspiration à William Shakespeare pour le personnage de Prospero dans sa pièce "La Tempête".
Ces équipes de savants ont pour mission de décrypter les mystères de la création et de découvrir les secrets de l'invisible. La légende raconte qu'ils habitent "la ruelle d'or", en référence à leurs travaux ésotériques, aux abords du château de Prague, pour y réaliser leurs travaux en toute discrétion. En réalité, la rue aux petites maisons colorées, est habitée à l'époque par les domestiques du château, puis la garnison et ensuite des orfèvres, d'où l'origine de son nom. John Dee est conseiller de la reine Elisabeth d'Angleterre. Il part donc en mission en Europe au service de Rodolphe. Mais s'il est un expert en navigation, ses dons en matière d'alchimie ne font de lui qu'un charlatan notoire. Il doit s'enfuir de la cour avec bon nombre de ses collègues alchimistes (et pour la plupart escrocs), par peur de la persécution. Son assistant, un certain Edward Kelley (alias Talbot), plus habile, devient magicien en titre de la cour en prodiguant à l'empereur un "Elixir Vitae" (Elixir de Vie), dont ce dernier se trouve tout à fait satisfait. Kelly prétend également avoir trouvé le secret de la transmutation des métaux en or via le biais d'une poudre secrète... Il affirme aussi pouvoir entrer en contact avec des anges par l'intermédiaire d'une boule de cristal. Cependant, ses recherches durent trop longtemps pour la patience du souverain et Kelley est mis en geôle. Ses secrets meurent avec leur père spirituel, lorsque l'alchimiste tente de s'échapper de prison, sans que le secret soit jamais révélé à ce jour... Faust pensait avoir obtenu le secret de la longévité et de l'amour en vendant son âme au diable...
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Enfin, des notes de musique, polkas de Bohème, airs aux consonances tziganes et vieux chants folks retentissent dans les auberges ou au coin des ruelles et de ses musiciens ambulants. Les fantômes de Dvoràk, Smetana et Janacek rôdent dans la cité et le long des rives de la magique Vltava. Tout pour me charmer...
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Si je n'y ai pas découvert le secret de la pierre philosophale, de la création de l'or ou de l'élixir de vie, j'y ai par contre revu une ville au charme fou, que je ne peux que conseiller de découvrir malgré le froid de canard en hiver (ce qui expique peut-être la présence de l'ours polaire... ). Saison qui, par contre, compense et réduit considérablement le nombre de touristes.
Alors, si entre-temps, vous trouvez le secret des alchimistes, faites-moi signe ! Un excellent dimanche à tous.
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August 2023
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