On ne parle plus que de cela depuis des semaines. Corona-ci. Corona-ça. La presse s’en délecte. Quarantaines et messages politiques semant le doute et la panique dans les esprits. Alors, j’ai choisi d’attaquer le sujet de face en nous rappelant que notre bon vieux monde n’en est pas à sa première frayeur face à la maladie, tout comme chez les marins. Et qu’il a en fin de compte, toujours trouvé une issue et le moyen de venir à bout de ses pires maux.
Le grand blond avec une augure noire
On la relate officiellement pour la première fois en 541. Elle durera jusqu’en 767 pour ensuite se rendormir durant six siècles. Elle ne se réveillera qu’á l’arrivée de navires génois. À leur bord, du blé bien blond, des vivres, des rats et... des malades en provenance de la mer noire... Noire comme son augure et ses conséquences. La peste se répandra alors en Europe durant pas moins de quatre siècles, comme un immense voile sombre à l’aube des grandes découvertes de notre monde. Elle touchera 25 millions de personnes. En 1348, elle frappe la Sérénissime de plein fouet.
Elle est arrivée par la mer...
Le spectacle doit être affolant si l’on en croit les chroniqueurs de l’époque. La peur de la contagion n’a pas de limites. La ville de Venise est déserte, les commerces fermés, les malades séquestrés et considérés comme des rejetons. La délation est encouragée pour dénoncer les foyers et les porteurs du mal. On va même jusqu’à placer des boîtes aux lettres « le Bocce » (« les bouches ») à cet effet. Plusieurs épidémies se succèdent et déciment la population. Les autorités vénitiennes décident alors de mettre en place des mesures sanitaires structurelles. C’est ainsi que naissent les premiers « lazarets », des hôpitaux ou îles villages pour accueillir les pestiférés, les personnes contaminées ainsi que les vivres suspects de porter les germes de la maladie. On nomme des inspecteurs sanitaires qui vont administrer les lazarets, contrôler les navires, leurs équipages et leurs marchandises. Ils obtiennent ainsi également des informations sur les zones et ports à risques, y compris à l'étranger. Ils vérifient les passeports de santé et ont le droit de recourir à des méthodes policières pour faire respecter les mesures sanitaires. Les périodes de quarantaine sont de plusieurs semaines à plusieurs mois (source : La Peste à Venise, Willy Burguet).
«... Beaucoup moururent de faim parce que, lorsque quelqu’un s'allongeait malade sur le lit, les gens de la maison disaient « je vais chercher le médecin » et ils fermaient doucement la porte de la maison et ne revenaient plus... » (Chronique florentine, Marchione di Coppo Stefani, 1380)
Les recherches thérapeutiques se suivent sans beaucoup de succès. On invente des remèdes plus farfelus les uns que les autres (parfums, élixirs à base de venin, régimes divers... ). Et il faudra attendre 1894 et Alexandre Yersin pour la découverte de l’origine bactérienne de la maladie (à savoir les puces des rats) et sa transmission à l'homme.
L’autre mal marin
Les épopées maritimes prennent forme autour du monde. Nous sommes au XVIe siècle, à l’âge d’or des grandes découvertes. Et les illustres noms sont liés à la mer. Mais si les voyages forment la jeunesse (et supposément la richesse, dans ce cas-ci), ils comportent leur lot de risques et de disettes à bord. Dans les cas les plus infortunés d'expéditions au long cours - sans possibilité de ravitaillement - , les vivres à bord sont difficiles à conserver. Les denrées fraîches manquent. Et les équipages en arrivent parfois à manger des rats. Le niveau d’hygiène et d’aération des cales sont loin d’être idéaux. Et les premières maladies font leur apparition à bord : « La peste de mer» (le scorbut, dû à une carence en vitamine C), la dysenterie, la fièvre typhoïde ou encore le choléra, ce dernier étant surtout présent sur la route des Indes. Les maladies voyagent elles aussi et ne connaissent pas de frontières...
Au fur et à mesure des siècles, les techniques et les instruments de navigation se précisent pour permettre des escales plus fréquentes et le ravitaillement en vivres frais. Les règles de bord et l’hygiène s'améliorent. On instaure par exemple la mise à disposition aux matelots de vêtements de rechange, des braseros pour se sècher ainsi que la distribution de vivres plus adaptés pour éviter les maladies de bord et surtout la séparation physique des malades et des sujets sains. En 1753, un médecin de la marine britannique, James Lind, publiera d'ailleurs le "Traité du Scorbut". Le grand navigateur James Cook, notamment, tentera de nouvelles mesures à bord pour éradiquer les maladies en mer, comme l'utilisation du jus de fruits (citron) ou de la choucroute (le chou étant un excellent anti-scorbutique).
« Harbert ne revenait guère d’une excursion sans rapporter quelques végétaux utiles. (…) un autre [jour], c’était une oseille commune, dont les propriétés anti-scorbutiques n’étaient point à dédaigner… « (L’Île mystérieuse -1874, Jules Verne)
© Photos – Wikipedia & W. Burguet
Cette maladie liée à des carences alimentaires, est devenue très rare dans les pays développés. Bien qu'on en ait recensé quelques cas pas plus tard qu'en 2016 encore, chez des adolescents aux mauvaises habitudes ou régimes très déséquilibrés. Ou dans le cas de personnes précarisées et isolées. Dans les régions du monde où frappe encore la famine de nos jours, par contre, la maladie n'a pas encore été totalement éradiquée (notamment dans les camps de réfugiés... ). Dans tous les cas, il existe des solutions. Mais, elles demandent des efforts et investissements de la part de l'environnement socio-économinique, voire des patients eux-mêmes.
C’est assez troublant de se dire que, tout comme il y a sept siècles déjà, le vent a soufflé des pays du Levant pour frapper à nouveau le Nord de l’Italie en premier. Alors, j’ai une pensée tendre pour tous ceux qui sont malades et ceux coincés en quarantaine, chez eux ou ailleurs. Tout particulièrement pour ma proche famille habitant à Milan et pour qui, par précaution, les quatre murs de leur appartement doivent leur sembler bien étroits depuis quelques semaines. On pense à vous d’ici ! Baci à distance !
Un excellent dimanche à tous. Prenez surtout bien soin de vous.
1 Comment
Jean-Francois Burguet
9/3/2020 12:37:55 pm
Très intéressant, merci Véronique !
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August 2023
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