Lettre d'Adieu d'un Marin
"Mon Amour,
J'avais espéré que ce jour-là ne viendrait jamais. Je m'étais bercé de la douce illusion que nos chemins ne se sépareraient jamais. Je me sentais prêt à affronter les pires tempêtes avec toi jusqu'au dernier souffle.
Lors de notre rencontre, tu m'as immédiatement envoûté. Notre première sortie ensemble m'a enchanté. Lorsque j'ai appris que ton coeur était à prendre, ma décision de faire de toi ma compagne de vie fut alors immédiate. Il me fallait te posséder. En plus de tes charmes, ton palmarès et tes performances m'impressionnaient. J'étais amoureux.
Je te trouvais toujours aussi belle malgré les années, tes quelques rides, tes cicatrices et tes formes qui s'étaient quelque peu transformées avec les épreuves et le poids du temps. Tu me charmais toujours autant au premier regard. La courbe de tes flancs, ta longue silhouette, la rondeur de tes formes, la blancheur de ta peau nacrée. La finesse de tes bras et ta longue chevelure immaculée volant dans la brise.
Jamais je ne me lassais de ta discrète coquetterie: de tes robes blanches à la trilogie de tes teintes, jusqu' au rubis et topaze de tes bijoux qui ne te quittaient jamais.
En toutes ces années, je me suis exercé à accorder nos deux caractères bien taillés et à les fusionner en parfaite harmonie. J'ai appris tes murmures, tes soupirs, tes silences. J'ai écouté tes plaintes, tes gémissements, tes sanglots. J'ai décrypté tes codes, tes secrets, tes ombres, tes mystères.
Inlassablement, tu m'as emmené à l'autre bout des vagues, par tous les temps. Et dès que j'en avais l'occasion, je m'enfuyais avec toi pour quelques heures en amoureux. Fidèlement, patiemment, tu es restée à mes côtés et jamais tu ne m'as abandonné dans la tourmente. Tu m'as protégé du mieux que tu pouvais, tu m'as consolé. Tu m'as époustouflé aussi de tes ressources insoupçonnées. Ensemble, nous nous sommes extasiés sur la magie des couchers du soleil, contemplé le firmament naissant et traversé des crépuscules incandescants. Ensemble, nous avons affronté lames de fond, coups de tabac, grains et pétoles. Et à deux, nous avons refait le monde durant des heures entières.
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Durant tout ce temps, je t'ai soignée chaque jour avec amour, tendresse et passion. J'ai pansé tes blessures, je t'ai refait une beauté, t'ai procuré de nouveaux atours. Chaque année en novembre, tu me faisais ton incroyable striptease. Ce déshabillé enivrant qui me donnait le tournis et m'émerveillait à chaque fois. Je redécouvrais tes dessous et tes formes les plus secrètes. Je m'extasiais sur ta beauté cachée. Et chaque hiver, nous allions refaire nos emplettes pour ta nouvelle garde-robe de la saison suivante. Au printemps, je t'offrais une cure de jouvence. Je passais des jours à te frotter, te maquiller, te coiffer, te choyer avec des crèmes rajeunissantes. J'aimais te ravigoter, passer des heures à te bricoler de nouvelles parures. Des semaines durant, je veillais à t'administrer ces bains revigorants pour que ta peau retrouve sa brillance et son tein de miel, malgré la fraîcheur piquante de la bise d'avril, jusqu'à ce que mes mains gelées ne sentent plus le froid. Tu étais l'élue de toute mon attention et de mon rare temps libre.
Au début, je te rejoignais dès que j'en trouvais l'occasion. J'étais accro. Tu m'avais ensorcelé. Tu avais un pouvoir envoûtant sur moi. Certains allaient même jusqu'à dire que tu avais fait de moi ton esclave. Et à chaque fois que je devais t'abandonner pour quelque temps, Dieu que les semaines me paraissaient longues avant de te revoir. A chaque avis de tempête, mon coeur se serrait de crainte qu'elle ne te blesse, ou pire, t'emporte loin de moi. A chaque réunion, mon coeur battait, inquiet de l'état dans lequel j'allais te retrouver. Et notre première nuit de retrouvailles me semblait alors comme notre première fois, magique, tout simplement, malgré l'inconfort relatif duquel nous devions parfois nous accommoder pour passer la nuit l'un près de l'autre. J'ai vécu avec toi des moments de très grand bonheur, d'extase et de plénitude. Je t'ai sussuré des mots doux à l'oreille, je t'ai crié mon amour en silence. Parfois et même souvent, aussi ma colère lorsque tu t'entêtais. Mais jamais, nous ne sommes restés sur une dispute. Toujours, nous nous retrouvions avec délice après nos débats. Je te caressais en signe de réconciliation sans me fatiguer de ton toucher. Je t'ai raconté tous mes secrets, t'ai fait toutes mes confidences, t'ai avoué mes peurs et mes regrets. Tu sais tout de moi. Et pourtant, j'ai encore tant à te dire...
Et bien sûr, tu as aussi eu tes instants de faiblesse, tes blessures et tes petits bobos. Tu m'as causé quelques frayeurs, voire quelques moments de rage où je t'aurais bien envoyée au diable. Capricieuse, têtue, forte tête. Mais, aussi cajoline, tendre et toujours ardente, intense. Une compagne sans cesse étonnante. Comment un homme pourrait-il donc se lasser de toi?
On m'avait prévenu de ta future décrépitude, de tes maux de vieillesse et probables rhumatismes. Et je n'en avais cure. Je continuais á te désirer tout autant à mes côtés. Je ne voyais pas en toi la vieille dame á la chevelure argentée un peu plus lourde, un peu moins svelte, et moins aisée á faire danser. Je me croyais encore capable de te faire tournoyer dans des tangos et des valses endiablées, même sous mes mains fatiguées. Je ne parvenais pas à m'ennuyer de nos moments en tête à tête.
Mais, en réalité, c'est moi qui ne pouvais plus garder la cadence. En réalité, c'était moi qui avais pris de l'âge. C'étaient mes mains qui ne pouvaient plus te tenir aussi longuement. C'étaient mes jambes qui ne me soutenaient plus lors de nos balades. C'étaient mes bras qui n'avaient plus la force de te serrer et de te porter dans les moments ardents. Je ne te suivais plus dans tes rythmes effrénés. Je me surprenais à te négliger, te rendre des visites plus rares. A ne plus trouver le courage de venir m'occuper de toi alors que tu m'attendais. A ne plus trouver l'énergie de te dorloter comme tu le valais. Mes priorités s'étaient enfuies ailleurs. Et ma vie s'écartait lentement de la tienne. Et j'ai alors réalisé avec tristesse que mon amour avait aujourd'hui trouvé ses limites. Et qu'il était peut-être temps pour moi de te laisser continuer ta vie dans les bras d'un autre homme, plus costaud, plus endurant, plus exclusif. Un homme à la santé et au physique de fer. Un homme qui n'aura que toi dans son existence. J'ai pris conscience qu'il me fallait peut-être te laisser continuer ta vie ailleurs, là où un autre pourra enfin s'occuper de toi comme tu le mérites. Car je n'y parviens plus aujourd'hui.
C'est la Mer dans l'Âme que j'ai décidé que ce moment-là était arrivé. Et je te jure de te trouver un nouvel amant qui te plaira et saura t'aimer autant que moi. Je te promets de ne pas te livrer aux mains d'un homme sans scrupules, dût-il quand bien même s'avérer séduisant et au portefeuille bien garni. Je le choisirai bien et je le supplierai de bien te traiter.
Je ne t'abandonne pas, mon amour... En te quittant, c'est bien une seconde chance que je t'offre et non le contraire. Tu resteras dans mon coeur comme un grand feu qui ne s'éteint pas et qui réchauffe mes nuits froides de ton souvenir. Sois heureuse ailleurs... Bon vent. Et reviens me voir de temps à autre au détour d'un port...
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Ce week-end, un insigne bateau à voile rencontrera son nouveau compagnon de vie.
Tu me manqueras, little Snekkja... Bon dimanche à tous.
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May 2023
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