Il y a lui. Il y a elle. L’homme et la mer. Le marin et sa sirène. Et lorsqu’ils se rencontrent, c’est tout l’univers qui bascule. C’est tout le cosmos qui s’unit. Un petit billet sur la femme qui se cache derrière chaque marin.
L‘élément féminin a depuis toujours fait partie inhérente des abords de la mer et de la vie des marins. Que ce soit dans la mythologie ou dans les légendes, sur les quais ou à bord des navires, à terre dans les maisonnées ou encore dans les bars des ports. Dans l’ombre ou en pleine lumière, la présence de la femme demeure inlassablement indissociable du monde maritime.
Croyances & superstitions
« Une femme à bord, cela porte malheur », disait l’adage… Cela n’apporte que querelles et convoitises entre les hommes, ennuis logistiques ou fortunes de mer. Homère a décrit les malheurs qui s’abattraient sur Troie si les marins ne ramenaient pas la belle Hélène à son époux, embarquée en cachette par son amant, à bord d’une frégate, vers la célèbre ville du roi Priam. Autre légende : celle de Thésée. Revenant de Crète à bord de son bateau, après avoir vaincu le Minotaure, il célébra tant et si bien son retour au pays en compagnie de la jolie Ariane, qu’il en oublia de changer les voiles noires - signe de deuil, par des voiles blanches - signe de victoire. Son père, le roi Egée, apercevant le gréement sombre à l’horizon, pensa ainsi son fils mort et se jeta dans la mer (qui porte aujourd’hui son nom). Et la liste s’allonge des récits où les femmes et les sirènes furent considérées comme portant la guigne en mer.
«Longues oreilles et robe noire, autant que cape et moire, mènent marin au désespoir. »
Alors, faute de les laisser déambuler sur leur pont, les frégates emmenaient souvent une belle à la chevelure d’écume, sirène de bois fièrement dressée à la proue, parfois même joliment dévêtue. Ainsi, la proue du Cutty Sark représente une sorcière nommée Nannie Dee tenant une queue de cheval dans la main gauche. Un poème de l’Ecossais Robert Burns conte l’histoire de Tam, un fermier à cheval poursuivi par la jeune magicienne portant une chemise courte (« cutty sark »), qui parvient à échapper à ses charmes grâce à son fidèle destrier. Nombre de grands navires célèbres arborent une figure féminine à la proue : l’Etoile du Roy, le Stad Amsterdam, la Recouvrance, le Christian Radich, le Libertad ou encore l’Antiguav et bien d’autres.
Femme matelot, femme chef de bord ou capitaine demeurèrent ainsi longtemps des exceptions dans l’histoire de la marine, boudées des encyclopédies. Cependant, certaines d’entre elles ont laissé leurs marques dans la communauté des gens de mer. Par exemple, la piraterie a connu une poignée de tigresses des mers. D’abord, deux bretonnes : Jeanne de Belleville, qui écuma la Manche vers 1350 et Anne Dieu-le-veut dont le terrain de jeu se trouvait dans les Caraïbes. En Méditerranée, Sayyida al Hurra s’est alliée au célèbre Barberousse vers 1530. Il y eut aussi Mary Read et Anne Bonny, l’épouse de Jack Rackham, capitaine du Revenge, vers 1700. En Chine, une boucanière redoutée de la fin du XVIIIe siècle, Ching Shih, possédait une flotte de pas moins de 300 navires et une armée de 30.000 hommes. Au tournant du XIXe siècle, des femmes d’officiers de frégates et de bricks de la marine royale française purent suivre leur époux en campagne. Entre 1897 et 1921, plus de quatre-vingts embarquements de femmes à bord furent enfin autorisés pour des voyages au long cours, notamment pour le passage du Cap Horn. La marine marchande à voile, moins coûteuse que celle au charbon, connaissant une recrudescence, une centaine de navires furent affrétés, pour lesquels il fallait recruter de jeunes capitaines. Ces derniers furent à l’origine d’un changement de mentalité en exigeant d’avoir leur femme et leur famille à bord pour ces navigations au long cours. Ces Cap-Hornières endurèrent ainsi les mêmes épreuves que le restant de l’équipage masculin pour des voyages de plus de dix mois en mer, accouchant parfois même à bord (à découvrir dans l’ouvrage « Les Cap-Hornières » d’Etienne Bernet, éditions Maîtres du Vent). «Croix du Sud, étoile du Nord et femme à bord conduiront navire à bon port.»
Ce n’est donc que depuis peu dans l’histoire internationale que quelques femmes d’exception ont redoré le blason de la galerie des grands navigateurs : Florence Arthaud, Isabelle Autissier, Ellen Mc Arthur, Maud Fontenoy, Alexia Barrier, Samantha Davies ou encore Jeanne Socrates. Bien d’autres ont suivi depuis et démontrent chaque jour leurs talents en mer, à la barre d’un voilier, d’un navire commercial ou militaire. Il faudra attendre 2002 en France pour que la première femme soit nommée vice-amiral. De nombreux pays comptent ainsi aujourd’hui des femmes pêcheurs, des officiers mariniers commandants et des capitaines de frégate féminins.
© Photos – Rêvesdemarins - Wikipedia
Une femme dans chaque port et un port dans chaque femme...
Mais qui sont donc ces femmes de l’ombre, que les marins évoquent souvent ? Celles qu’ils se languissent de voir ou de revoir à l’arrivée dans un port. Celles qui leur font oublier leurs longues heures de navigation dans la pluie et la tourmente salée. La véritable rivale des femmes de marins, c’est la mer. Celle contre laquelle on ne se bat pas. C’est le bleu profond de ses abysses, et non celui des prunelles d’une autre terrienne qui envoûte les gens de mer. Alors, faute de pouvoir le combattre, les femmes de marins apprennent à aimer l’océan en accueillant les marins à leur retour, comme un port où l’on aime jeter l’ancre.
« L’amour est une mer dont la femme est la rive » (Victor Hugo)
La femme à terre, c’est un amer, un port où l’on peut se réfugier, où l’on retrouve un repère, une certitude, une empreinte qui rassure et donne de nouvelles forces pour repartir affronter les facéties de la mer. Et plus longue ou pénible est la séparation, plus intense sera le besoin de retrouver ce port.
© Photos – Rêvesdemarins - Wikipedia
Capitaine à terre
Avant le départ du marin, la femme représente un associé précieux pour la préparation de son matériel, de son baluchon et quelques fois même des documents officiels nécessaires à la navigation. Une fois les amarres larguées, elle endosse la redingote de capitaine. Elle prend la barre des activités terrestres requérant une gestion intense durant les longs mois de navigation : la logistique, les enfants, la maison, la comptabilité, la gouvernance du patrimoine ou des terres et les activités additionnelles permettant de générer des rentrées financières. Au retour des hommes de mer, de nombreuses femmes de marins prouvent ainsi qu’elles sont particulièrement efficaces pour faire tourner les affaires, préparer et suivre la vente du produit des pêches. Si le métier de marin est laborieux, la navigation terrestre comporte pas mal d’écueils à travers lesquels leurs femmes tracent leur sillage avec brio. Etre femme de marin, c’est une vie indépendante et solitaire durant de longs mois. Il s’agit d’un métier en soi.
© Photos – Diego Delso CC BY-SA delso.photo)- Wikipedia
Longue est l’attente
La mer n’a pas de calendrier… Elle n’a d’empathie ni pour les anniversaires, ni pour les célébrations familiales, ni même pour les naissances ou les deuils. Seules comptent ses propres éphémérides. Il en faut de la patience pour être navigateur. Inutile de vouloir être rentré à une date fixe pour la réunion des parents à l’école ou à une heure donnée pour le repas du soir. Et tant pis si madame a mis le potage sur le feu. Monsieur arrivera lorsque les éléments en auront décidé ainsi…
Homère, une fois encore, dans son récit de l’Odyssée, nous fait l’éloge de Pénélope, la femme de marin par excellence, qui attendra patiemment vingt longues années le retour de son époux, prisonnier du jeu des Dieux en mer. L’attente à terre est longue et pesante, surtout sans nouvelles de celui qui est parti en mer. Les adieux sont souvent pénibles et l’angoisse profonde les soirs de tempête. Les technologies actuelles permettent de rester en contact bien plus aisément que par le passé. Les techniques de navigation et les modes de communication se sont foncièrement améliorés. Toutefois, un coup de tabac demeure un coup de tabac… Le danger ne s’en trouve pas amoindri. Les textos ont remplacé les prières et les bougies à la fenêtre. Internet a quelque peu évincé les émissions de radio Ostende pour obtenir des nouvelles de l’homme à bord. Mais rien encore n’a pu encore détrôner la bonne vieille communication par téléphone ou par VHF, permettant d’entendre la voix de celui qui se bat contre les éléments.
© Photos – Rêvesdemarins - Wikipedia
Le retour du guerrier de la mer
Femmes de marins, immuables amers des navigateurs...
Lorsqu’il rentre enfin du large, l’homme de mer a besoin de temps pour se réhabituer à la vie terrienne et digérer (au sens propre et au figuré) ses pérégrinations océanes. Les mauvaises langues raconteront que la première chose que fait un marin lorsqu’il rentre de la pêche – bien avant d’aller voir sa femme et ses enfants - , c’est se précipiter au café pour y boire le salaire qu’il vient de gagner et y vanter ses aventures en mer. Mais c’est loin d’être toujours vrai. Alors, la femme du marin profitera des moments de retrouvailles. Le mieux et le plus longtemps possible. Parce qu’elle sait qu’il finira par repartir en mer, quoi qu’il arrive. L’eau salée coule dans ses veines. Marin un jour, marin toujours… Et la passion des flots passe fréquemment d’une fratrie ou d’une génération à une autre. Difficile de ne pas y succomber. Et à la longue attente du père s’ajoutera alors celle des fils. On n’échappe pas à certaines vocations.
De nombreuses statues ont été érigées en l’honneur de ces femmes à la patience infinie et à l’inébranlable espoir du retour de leur marin. Comme la Fiskerkona (la femme du pêcheur), qui trône à l’entrée du petit port de Svolvaer dans les Lofoten (Norvège), ou ces autres femmes de pierre scrutant l’horizon bleuté au Grau-du-Roi (France) et à Cascais (Portugal).
Les femmes de marins et navigatrices d’aujourd’hui incarnent, chacune à leur manière, l’engagement pour les métiers de la mer et le dévouement à une passion. Elle prouvent ainsi que la détermination et le courage ne sont plus uniquement l’apanage des équipages masculins. Chapeau bas, les filles…
Un billet ce dimanche, dédié à ces femmes formidables, Malgré la mer et les tempêtes qui défient vos aimés ou le sort terrien qui vous a ravies beaucoup trop tôt de votre amour de marin : Sylvie, Dawn, Chantal, Josette, Marie-Jeanne, Catherine et tant d'autres.. Votre force, courage et endurance sont admirables.
Un excellent dimanche à tous. (PS. © Crédits - Ce texte est partiellement issu de mon article paru l'année passée dans Yachting Sud © nr 962 ).
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AuteurArchives
August 2023
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