Il y a deux ans, un marin au profil hors des sentiers battus, rencontré dans le cadre de mes activités à l'hôpital, me contait encore avec passion comment son rêve nautique avait dû prendre une pause à cause de la maladie. Un an et demi plus tard, Guy nous a quitté. Cependant, son rêve vit toujours... en nous et en moi. Et je compte bien le poursuivre avec ceux qui voudront encore y croire. L'occasion d'un billet pour le partager avec vous. (© Extrait de l'article publié dans Yachting Sud nr 952)
Dessine-moi un bateau, s’il te plaît, quémande l’enfant… Le Maître d’école trace quelques courbes sur le papier blanc et commence l’ébauche de ce qui deviendra un projet de vie…
Un instituteur, passionné de mer et de navires. Avide d’un monde meilleur, de liberté et surtout d’une existence plus en harmonie avec la nature profonde de l’homme, loin de notre monde de surconsommation, de plaisirs frivoles et d’enchaînements sociaux. Un homme proche de lui-même. Libre et autonome, simple. Un capitaine courage sans les galons. Un navigateur au long cours sans les généreux mécènes. Un skipper de régate sans les trophées. Simplement un marin. Un vrai.
Vaisseau d'Argent pour Rêve en Or
Il y a plus de treize ans, Guy avait imaginé un navire d’argent, pour parcourir les mers et emmener des jeunes en quête d’un avenir où ils pourraient enfin laisser parler leur véritable nature, face aux éléments et au dépouillement d’une existence en mer où l’on ne triche pas. Un projet : la construction du Voilier Pollen, pour « essaimer » à ces jeunes le courage de vivre leurs rêves à travers la voile en haute mer.
« Construire un bateau et voyager, ce fut d’abord un rêve d’enfant, ce rêve que tout le monde fait. A l’adolescence, il fut la réponse banale au manque de motivation ressenti face au moule dans lequel on tentait de me couler. Ce rêve était une échappatoire mais donnait néanmoins un sens à mes actions. Mes premières navigations furent l'occasion d'une première découverte : le bateau et sa lenteur me permettaient de vivre pleinement l'instant présent. » (Guy B.)
© Photos - Projet Voilier Pollen
Au départ, quelques croquis sur une table et de nombreuses discussions avec des amis de métier, dont un architecte naval. Les dessins se transforment ensuite en maquettes de carton, puis en technologie informatique 3D. Et le rêve commence à prendre forme. Après quelques années de cours du soir en soudure, le marin autodidacte se lance dans l’aventure durant son temps libre. Une entreprise qui se promet de longue haleine… Des tôles d’aluminium épais pour une coque, du matériel de soudure, des milliers d’heures de patience, des jours de méticulosité sans faille et une bonne dose de dérision de soi. Les voisins le voient un peu comme un original, mais le jour où son œuvre prend forme, ils restent ébahis du résultat de son travail : une coque argentée a pris naissance au milieu des vergers et des champs brabançons.
Autodidacte jusqu'au Bout des Voiles
Et la création se poursuit au milieu d’une ancienne fonderie devenue hangar agricole, ensuite reconvertie en chantier naval. En plus de son solide bagage de navigateur (géographie, orthodromie, météorologie, géométrie, astronomie, arithmétique, mécanique…), Guy fait partie de cette race d’hommes assoiffés d’apprendre. Le travail de conception et de construction d’un voilier requiert du savoir dans un nombre fastidieux de disciplines aussi variées que techniques : mathématiques, trigonométrie, machinerie, électricité, architecture, métallurgie, soudure, chimie, voilerie, et tant d’autres. La difficulté ne le décourage pas : au contraire, le défi motive le marin autodidacte. Il ne cesse de peaufiner son expertise dans chacun des domaines concernés. Chaque pièce, chaque courbe naît de ses mains : boîtes dorades (aérateurs), aileron d’étambot, bulbes de lest, coulée de gueuses, barrots de pont, safrans, coffres de cockpit, capot de descente, couronnes de hublots, régulateurs d’allure, accastillage, listons, roof, bossage, haubanage… Fusion, soudure, charpenterie, chaudronnerie, électricité, ferronnerie, rien n’est laissé au hasard.
Va sans dire, que l’ouvrage passe par des phases d’apprentissage, des erreurs et des corrections, comme tout bâtisseur en herbe. Une coque rentrée littéralement au chausse-pied dans son hangar agricole (en descellant quelques briques pour qu’il passe sous le linteau). Des plans et des projets revus vingt fois au fur et à mesure que le créateur échange des idées avec des professionnels du métier : un autre type de voile, une autre longueur de mât, mono-quille ou bi-quilles latérales lestées, gréement cotre avec ou sans bout-dehors… Tant de questions auxquelles Guy choisit toujours la solution la plus adaptée. Dix mètres de courage, d’inventivité et de ténacité. Sept tonnes de ferraille, de passion et de volonté infaillible d’un constructeur naval amateur prêt à tout pour concrétiser le rêve d’une vie.
© Photos - Projet Voilier Pollen
Un Projet qui a largué les Amarres
Il m'attend dans son hangar... Peu m'importent mes chances. Peu m'importe le temps, ou ma désespérance, mais mon cœur serait tranquille. » (Guy B.)
Et puis frappe la maladie, implacable et fatidique, mais sans parvenir à dominer le rêve, juste à le ralentir… Et le songe se poursuit, moins souvent, moins intensément, mais sans jamais se faner. Les années passent. La coque est prête, les plans sont dessinés, le choix des voiles établi. Et c’est là que le destin décide de mettre le rêve en berme… En novembre 2017, le Pollen perd son père et capitaine avant d’avoir pu goûter à la mer…
Cependant, le rêve du Voilier Pollen continuera. Il a également pour objectif la création de reportages sur d’autres cultures, modes de pensée et arts de vivre différents sur notre planète, dans un souci pédagogique d’ouverture au monde, d’appel à l’acceptation de l’autre et à la tolérance. « (…) Le Pollen naviguera à la rencontre et à la découverte de ceux-ci… Nous tenterons alors de montrer au travers de reportages que cette "autrement" fleurit et qu'il est prometteur d'avenir et d'espoir. D’escale en escale, d'école en école, ces reportages seront présentés à d’autres, enfants et adultes, et une dynamique d’échange sera initiée. Concrètement, les voyages du Pollen se feront par bonds successifs avec des retours au pays consacrés aux témoignages et à la préparation du prochain voyage. Le premier voyage verra certainement le Pollen en Méditerranée, berceau de notre civilisation. (…) » (Guy B.)
© Photos - Projet Voilier Pollen
Bon vent, capitaine… Bon vent. Ton projet a largué les amarres et il arrivera à bon port. Tes équipiers qui restent à quai derrière toi, croient aujourd’hui fermement au rêve du Pollen et t’ont promis de le mener à bien pour qu’il passe de l’espoir à la réalité. Tu peux compter sur ton équipage pour tenir parole.
Quelques treize ans après son lancement, ce projet peut encore se matérialiser en souvenir de son skipper. Après de longs mois de recherches, un chantier naval semblerait en effet enfin être ouvert à la finition de l'ouvrage. Bien entendu, il faudra encore quelques années de travail et de sueur, avec ceux que fait vibrer la philosophie de la mission du Pollen, avec ceux qui souhaitent participer, poursuivre ou tout simplement encourager une incroyable aventure digne d’attention. www.facebook.com/Projet-Pollen
Si vous êtes de ceux-là, l’équipe du Pollen, dont je fais partie, n’attend plus que vous. Un excellent dimanche à tous.
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August 2023
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